La contraction économique historique du premier semestre laisse planer de sérieux doutes sur la reprise à venir. Même si la phase de déconfinement s’est pour l’heure bien déroulée, l’emploi peine à se redresser. L’activité touristique reste sous la menace d’une résurgence de l’épidémie en Europe. Par ailleurs, le creusement du déficit public va obliger le Premier ministre, Pedro Sanchez, à dessiner un plan de relance serré, arbitrant entre urgence sociale et investissement d’avenir. Un équilibre difficile qui va cristalliser les tensions au sein de la coalition gouvernementale. Les fonds importants qui pourraient être alloués à l’Espagne via le plan de relance européen donneraient quelque marge budgétaire à l’exécutif, mais les modalités et l’enveloppe de ce fonds sont loin d’être finalisés.
La crise du Covid-19 aura balayé la dynamique économique plutôt encourageante que connaissait le pays ces dernières années. La contraction au T1 2020 (-5,2% t/t) sera suivi au T2 d’une chute bien plus marquée, au-delà de 10%. Le succès du déconfinement et le rebond mécanique de l’activité observé depuis fin mai reste à relativiser. L’Espagne aborde l’été avec un marché du travail qui peine à se redresser. Le nombre de travailleurs affiliés à la Sécurité sociale a augmenté faiblement en juin (+0,16%), ce qui porte néanmoins la chute sur le deuxième trimestre à 4,9% (-947 514), un record[1] (cf. graphique 2). Le nombre de demandeurs d’emploi a franchi en juin la barre des 4 millions.[2]
Pour faire face à la crise, le gouvernement espagnol a mis en place le 17 mars un plan d’urgence de EUR 117 mds en fonds publics (EUR 200 mds en incluant la contribution du secteur privé). Ce programme se compose de EUR 100 mds de garanties financières aux entreprises et EUR 17 mds en soutiens directs, principalement sous la forme de dépenses de santé, chômage partiel et reports de charges fiscales et sociales pour les entreprises et les particuliers.
Le premier ministre a, par la suite, annoncé des plans de relance pour les secteurs touristique et automobile qui ont été touchés durement par la crise. Le programme de soutien au secteur automobile s’élève à EUR 3,75 mds et inclut une part relativement faible de subventions (EUR 1,1 mds). L’industrie du tourisme recevra EUR 4,26 mds d’aide, ce qui inclut ici également une large proportion de prêts garantis (EUR 2,5 mds). EUR 850 millions seront alloués pour favoriser la numérisation des entreprises et EUR 300 millions en subventions[3]. Un fonds de solidarité pour les communautés autonomes, à hauteur de EUR 16 mds, sera également progressivement déployé, afin d’aider les localités à faire face à leurs obligations financières.
Le gouvernement doit calibrer minutieusement les aides aux entreprises, et notamment le chômage partiel (ERTE), pour éviter une vague de licenciements, tout en incitant au maximum les entreprises à reprendre l’activité, quand c’est possible. Le dispositif d’ERTE a été prolongé jusqu’au 30 septembre mais une extension (sous des conditions différentes et moins avantageuses pour l’employeur) est probable à l’automne. Selon le ministère du Travail, il y avait fin juin encore 1,83 millions de travailleurs en chômage partiel, soit près d’un travailleur sur dix.
Des difficultés palpables avant la crise
La crise sanitaire est intervenue dans un contexte économique déjà tendu, avec de nombreuses entreprises confrontées à de fortes mutations structurelles et en perte de compétitivité. Le Covid-19 a aggravé ces difficultés dans de nombreux secteurs (automobile, aéronautique, télécommunications), mais ces difficultés étaient antérieures à ’épidémie. Nissan a annoncé la fermeture de son usine à Barcelone, causant la perte de plus de 2 500 emplois, tandis que Airbus prévoit désormais de réduire ses effectifs de 900 personnes dans sa filière civile. Ainsi, une poignée de grandes entreprises a déjà annoncé plus de 5 000 licenciements au total dans le pays.[4] Le poids du secteur industriel est en chute constante depuis une vingtaine d’années. En effet, sa part dans la valeur ajoutée totale a atteint un nouveau point bas à 15,5% au T4 2019 (cf. graphique 3). Cette part était au-dessus de 20% au début des années 2000.[5]
La saison touristique reste également un casse-tête pour l’exécutif espagnol. Les mesures de reconfinement instaurées dans les localités de Leida (Catalogne) et d’A Mariña (Galice) montrent toute l’incertitude qui plane sur la reprise. La ministre des Affaires Etrangères, Arancha Gonzalez Laya, a en effet suggéré la mise en place de nouvelles restrictions à l’échelle locale si le taux de contamination dépassait le seuil de 50 pour 100 000 d’habitants.
Une relance économique sous contrainte budgétaire
Les prochains mois seront donc cruciaux pour le pays. Le gouvernement doit tracer un plan de relance ambitieux, dans un contexte budgétaire forcément difficile. De nouvelles opportunités de croissance s’offrent à l’Espagne, notamment dans les énergies renouvelables.[6] Il est probable que Bruxelles scrutera tout particulièrement le plan de relance espagnol, qui devrait de ce fait être en lien étroit avec les objectifs définis dans le Pacte vert européen. En effet, l’Espagne est pour l’heure, avec l’Italie, le plus grand bénéficiaire du fonds de relance européen annoncé fin mai par la Commission européenne. Le pays recevrait EUR 77,3 mds, soit 6,2% du PIB. Les modalités et l’enveloppe de ce fonds de relance européen seront discutés lors du sommet européen du 17 juillet.
Par ailleurs, Le gouvernement semble enclin à s’aligner sur les objectifs de Bruxelles : fin mai a été dévoilé un « plan national pour l’énergie et le climat » qui a comme objectif final la neutralité carbone d’ici à 2050. Ce programme doit encore être approuvé par le Parlement, mais il interdirait tout nouveau projet basé sur les énergies fossiles et il viserait à atteindre 100% d’électricité renouvelable d’ici à 2050. Dans le prolongement de ce plan, sept des quinze dernières centrales thermiques au charbon ont été fermées le 30 juin. Alors que cette énergie représentait en 2018 près de 15% des émissions de CO2 en Espagne, cette part n’était plus que de 1,4% en mai dernier.[7] L’Espagne reste pour l’heure l’un des pays européens ayant le plus avancé sur le développement d’un mix énergique plus propre.
Avec la crise sanitaire, les tensions au sein de la coalition se sont cristallisées. L’aile gauche radicale – menée par Podemos – met la pression sur le Parti socialiste de Pedro Sanchez afin d’instaurer des mesures sociales fortes pour les plus vulnérables. La création en urgence du revenu minimum vital (IMV, en espagnol), effectif depuis juin, était une mesure portée par Pablo Iglesias – chef de Podemos et ministre du Droit Social. Le Parti socialiste a pour l’heure écarté l’idée d’instaurer une nouvelle taxe sur les hauts revenus, comme préconisé par Podemos. Le Premier ministre a cependant admis qu’une grande réforme fiscale serait nécessaire.[8] Par ailleurs, un consensus est encore loin d’être achevé sur les contours du plan de relance, le Premier ministre devant faire face à l’opposition féroce du grand parti d’opposition, le Parti populaire, sur les mesures économiques à prendre.
Dans son plan soumis à la Commission européenne, le gouvernement prévoit désormais une hausse du déficit public de 2,8% du PIB en 2019 à 10,3% en 2020. Le niveau d’endettement du gouvernement central s’est accru très fortement depuis le début de la crise (cf. graphique 4). La dette publique pourrait au terme de cette année atteindre 115,5% du PIB, selon ces mêmes prévisions gouvernementales. Dans ce contexte, le fonds de relance européen offrirait quelques marges de manœuvre pour concilier urgence sociale et investissement d’avenir.