Après un choc récessif massif, l’économie française donne, depuis mai, des signes d’un redressement assez rapide, au point de réveiller les espoirs d’une reprise en V. Le rebond de l’indice composite PMI de Markit et de la consommation des ménages en biens est spectaculaire et encourageant. Mais il est largement mécanique et va se tasser à mesure que l’effet rattrapage s’estompera. L’écart restant par rapport au niveau d’avant-crise sera probablement comblé plus lentement que le terrain déjà regagné. En cause : l’hétérogénéité sectorielle, le risque sanitaire, les séquelles de la crise. Selon nos prévisions, la reprise aurait un profil en U (-11,1% en 2020, +5,9% en 2021). Nous voyons les risques équilibrés, notamment grâce aux mesures de soutien déjà prises et en préparation.
L’ampleur du choc sur le PIB
D’après la première estimation de l’INSEE, le PIB français s’est contracté de 5,8% t/t au T1 2020. Cette baisse donne un premier aperçu de l’ampleur du choc récessif provoqué par la pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement instaurées pour l’endiguer. Revue à -5,3% t/t en deuxième estimation, cette baisse est la plus importante jamais enregistrée depuis 1949, égalant le record de -5,3% t/t du T2 1968. Au niveau des composantes du PIB, seules les variations de stocks ont apporté une contribution positive. Consommation des ménages, consommation publique, investissement, exportations et importations ont lourdement chuté.
La contraction du T1 n’est toutefois qu’un avant-goût de celle attendue au T2. Le T1 porte, en effet, la trace d’une quinzaine de jours de confinement quand le T2, en plus de l’acquis négatif, porte la trace d’un mois entier de confinement – avril – plus une dizaine de jours en mai. De plus, la sortie du confinement a été progressive. Dans sa note de conjoncture du 27 mai, l’INSEE a d’abord avancé le chiffre de -20% t/t avant de le rehausser à -17% t/t dans sa mise à jour du 17 juin. Début juin, la Banque de France prévoyait une contraction autour de 15% t/t (prévision que nous retenons), légèrement révisée à 14% début juillet.
L’ampleur du choc, comparable à l’Espagne et à l’Italie mais plus importante qu’en Allemagne, tient à la sévérité et à la longueur du confinement, à la structure sectorielle de l’économie française (poids des services marchands) et à l’arrêt quasi-total de certains secteurs, en début de confinement, quand ils ont continué de fonctionner, même au ralenti, dans d’autres pays (exemple du BTP).
Les signes d’une amorce de reprise en V
La chute du PIB au T2 masque des évolutions mensuelles très différentes. L’essentiel du plongeon de l’activité s’est produit en avril, marquant le creux, et mai marque le début du redressement. D’après certains indicateurs, il est aussi spectaculaire que la chute qui l’a précédé et il a réveillé les espoirs d’une reprise en V, c’est-à-dire d’un retour rapide au niveau d’avant-crise.
C’est le cas, en premier lieu, de l’enquête sur le climat des affaires de Markit. En juin, l’indice composite PMI a, en effet, rebondi de 19 points (estimation préliminaire), après déjà +21 points en mai. Il atteint ainsi 51,3 et repasse donc, légèrement, au-dessus de la barre des 50, soit en zone d’expansion ; ce retour vaut pour le secteur manufacturier (52,1) comme pour les services (50,3). Ce faisant, l’indice composite revient aussi quasiment à son niveau d’avant-crise (52, au tournant de 2019-2020), après donc avoir récupéré la quasi-totalité du terrain perdu en mars-avril (-41 points). Ces résultats, une fois n’est pas coutume, sont meilleurs que ceux de l’Allemagne et de la zone euro dans son ensemble.
Un certain nombre d’indicateurs d’activité ont également enregistré un rebond spectaculaire : en mai, +37% m/m pour la consommation des ménages en biens, +76% m/m pour les déclarations d’embauche de plus d’un mois hors intérim[1], +60% m/m pour les créations d’entreprises ; en juin, +79% m/m (après +384% m/m en mai) pour les immatriculations de voitures particulières neuves, qui retrouvent ainsi leur niveau de février. Par ailleurs, d’après la première édition du baromètre de la reprise du Boston Consulting Group, la France aurait, comparativement à l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, redémarré le plus vite entre la mi-avril et la mi-juin, du point de vue des entreprises comme des consommateurs[2].
La chute d’activité entre la mi-février et la mi-avril ayant été plus importante, le bilan net est toutefois défavorable : la France a le moins rattrapé le terrain perdu. Dans le même registre, la consommation des ménages en biens reste 9% en-deçà de son niveau de fin 2019, les déclarations d’embauche 50% et les créations d’entreprise 25%. La reprise en V semble en bonne voie d’après ces indicateurs mais moins pour d’autres, comme les exportations de biens et la production (rebond plus limité de, respectivement, 17% et …% m/m en mai). Ces chiffres rappellent le chemin qui reste à parcourir : le rebond en mai ne présage pas de la suite, le « V » n’est pas complet ni acquis. Autre illustration de la même question : d’après la dernière estimation de l’INSEE, l’activité était, en juin, 12% en-deçà de son niveau en situation « normale » (9% pour la Banque de France). L’amélioration par rapport à avril et mai est sensible (perte d’activité estimée à 30% et 22%, respectivement) mais continuera-t-elle sur ce rythme les prochains mois ? Les 12% de perte qui restent à combler le seront-ils aussi rapidement ? Ce n’est pas sûr, la marche à franchir est haute.
Les raisons du U
Le signal moins optimiste des enquêtes de l’INSEE vient également tempérer les espoirs de reprise en V. En mai, l’amélioration de l’indice composite du climat des affaires était restée limitée (+7 points). Son redressement de 18 points en juin, bien qu’important, le laisse donc à un niveau seulement moins bas : à 78, il reste très en-deçà de sa moyenne de référence 100 (qui correspond au taux de croissance tendanciel de l’économie) et il a rattrapé à peine la moitié du terrain perdu en mars-avril (-52 points). Autre détail en demi-teinte à retenir : l’écart entre le vif redressement des soldes d’opinion relatifs aux évolutions futures et l’absence d’amélioration de ceux relatifs aux évolutions passées. La situation du côté de la confiance des ménages est, en apparence, meilleure. En juin, l’indicateur qui la synthétise se situe à 97, bien plus près du seuil des 100 que le climat des affaires. Or ce n’est pas à la faveur d’un rebond plus important (+4 points), mais au fait qu’elle ne s’est pas autant écroulée pendant le confinement (-11 points). De plus, si les ménages se montrent nettement plus optimistes concernant l’opportunité de faire des achats importants, ils se montrent encore un peu plus pessimistes vis-à-vis des évolutions du chômage.
L’incertitude sur le profil de la reprise reste grande. On s’attend à des rythmes de croissance très élevés au T3 (possiblement à deux chiffres) et, dans une moindre mesure, au T4 mais il s’agit d’un rebond largement mécanique. Il va se tasser à mesure que l’effet rattrapage va s’estomper, comme le souligne la Banque de France dans sa note de conjoncture de juillet. D’où un profil de croissance decrescendo, une sorte de reprise « tango » : vite, vite, lent.
Dans ce schéma, le retour au niveau d’avant-crise s’étire dans le temps. Il n’est pas envisagé avant 2022. C’est cette progressivité qui est derrière l’image de reprise en U (même s’il serait plus juste de parler de profil en « racine carrée » ou « aile d’oiseau »). Une première raison est l’hétérogénéité sectorielle : tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne en termes de vitesse de retour à la normale. C’est très clair dans la troisième édition de l’enquête Acemo-Covid réalisée par la Dares, dont on retiendra également la préoccupation, en hausse, des entreprises vis-à-vis du manque de débouchés[3]. Une autre raison est que la pandémie de Covid-19 n’est pas terminée, ni donc les freins et surcoûts à l’activité et les comportements attentistes et précautionneux associés. Enfin, les séquelles de la crise (défaillances, chômage, endettement, épargne de précaution, moindre productivité) risquent d’être importantes, malgré les mesures d’urgence déployées pour amortir le choc récessif, pesant aussi sur la reprise. Cette dernière nécessite donc d’être soutenue. Dans l’attente du plan global de relance, d’importantes mesures sectorielles ont déjà été annoncées et celles en faveur de l’emploi seront bientôt toutes connues (cf. encadré).