Alors que dans les pays membres de la zone euro la 1ère vague épidémique semble avoir être maîtrisée, ces derniers font désormais face à d’importantes difficultés économiques. Si les dernières nouvelles sur le front des indicateurs avancés de l’activité font état d’un début de redressement, la route sera longue. Les pertes d’activité enregistrées au plus fort de la crise seront difficiles à absorber intégralement. Les politiques publiques sont cruciales. La probabilité est importante de voir, dans les prochains mois, une forte hausse du chômage, notamment de longue durée, et se multiplier les faillites d’entreprises. La Banque centrale européenne assure aux États des conditions de financement très avantageuses. La réponse à l’échelle européenne doit aboutir et le fonds de relance voir le jour rapidement.
Il est encore trop tôt pour connaître l’ensemble des conséquences économiques de la crise sanitaire actuelle. À court terme, la chute de l’activité est massive mais les dernières informations conjoncturelles dont nous disposons semblent indiquer que le pire est derrière nous. Les mois qui suivent seront à haut risque sur le front des licenciements et des potentielles faillites d’entreprises. De plus, si une seconde vague épidémique devait apparaître, l’impact du Covid-19 sur la zone euro pourrait être durable.
Une perte d’activité durable ?
Au T1 2020, la zone euro a connu une baisse marquée de son PIB, de 3,6% (en t/t). Ce repli est supérieur à celui observé au T1 2009, au moment de la grande crise économique et financière. Le T2 2020 devrait enregistrer une chute encore plus prononcée, les populations européennes ayant été confinées plus longtemps au cours de ce trimestre. Le PIB de la zone euro devrait chuter de l’ordre de 13,5% au T2 2020. Déjà en net repli au T1, la demande interne, en particulier la consommation des ménages, devrait être tout particulièrement dégradée. Le rebond mécanique anticipé au 2nd semestre 2020 n’effacera pas la perte d’activité enregistrée du 1er semestre.
Au total, nous anticipons une croissance de -9,2% pour l’année 2020 en zone euro, puis un rebond en 2021 avec une croissance de +5,8%. La dynamique économique des prochains mois reste très incertaine. Au-delà de l’hypothèse de l’apparition d’une seconde vague épidémique, le rebond de l’activité serait d’autant plus robuste et durable que les agents économiques reprennent confiance. La crainte des ménages (hausse des licenciements, gel des embauches) et des entreprises (risque de liquidité et/ou de solvabilité, atonie de la demande anticipée) vis-à-vis des risques économiques et sanitaires peut conduire à la prolongation de comportements de précaution et à des reports, voire des annulations, des projets d’investissement. En tout état de cause, le PIB de la zone euro ne retrouvera pas son niveau d’avant-crise à l’horizon de notre prévision, fin 2021. Il est possible qu’il reste inférieur à plus long terme, selon le scénario retenu (cas d’une deuxième vague par exemple).
La question de l’impact de cette crise sur le potentiel de croissance reste également ouverte. À la suite de crises, les pays développés sont susceptibles d’enregistrer un ralentissement tendanciel de l’activité, notamment lorsque le choc sur la demande est important et durable. Cela pourrait être le cas aujourd’hui. Le potentiel de croissance de la zone euro pourrait être affaibli par une perte de capacité de production : une hausse marquée des faillites d’entreprises et du chômage de longue durée peut être envisagée. En outre, l’atonie de l’investissement peut peser durablement sur les gains de productivité. Jusqu’ici, les politiques publiques mises en place par les États membres de la zone ont permis de limiter ces conséquences négatives.
Redressement des indicateurs mais activité toujours dégradée
Pour l’heure, le pire semble être passé. Les indicateurs avancés de l’activité dont nous disposons renvoient, dans l’ensemble, un signal moins négatif. Ces indicateurs fournissent des informations statistiques plus en amont sur l’évolution de l’activité. Parmi les plus communément utilisés, on retrouve l’indice des directeurs d’achats (Purchasing Managers Index, PMI).
Cette enquête, réalisée auprès de chefs d’entreprises, offre une image fidèle de la santé économique des différents secteurs d’activité. Ainsi, l’indice PMI pour le secteur des services, après avoir atteint au mois d’avril 2020 son niveau le plus bas depuis la création de la zone euro, s’est redressé sensiblement. Il est en juin légèrement inférieur au seuil de 50 (47,3 après 12 en avril), séparant les zones de contraction et d’expansion économique. Le niveau d’activité reste ainsi très dégradé.
Le redressement des PMI ne signifie pas que les pertes enregistrées lors des mois de confinement précédents sont effacées. Même constat lorsque l’on observe le sentiment économique : l’indice a rebondi depuis son point bas d’avril mais reste à un niveau faible au regard du passé.
Enfin, la confiance des consommateurs, qui se redresse également depuis avril, sera déterminante. Si certains ménages ont subi des pertes de salaires, celles-ci ont été limitées pour d’autres par les mesures mises en place (dispositifs d’activité partielle notamment). Dans la mesure où une partie de la consommation était contrainte pendant le confinement (biens non essentiels) et pourrait le rester dans certains secteurs (services de loisirs), une épargne dite « forcée » a été constituée et pourrait être utilisée en phase de reprise (pour un effet bénéfique à la fois sur l’activité et sur les finances publiques). Une reprise robuste de la consommation des ménages dépendra de leur confiance dans la situation économique, et dans la réponse apportée par les politiques budgétaires qui devraient aller dans ce sens afin d‘éviter tout comportement de précaution. Un manque de confiance et d’opportunité de consommation devrait faire augmenter sensiblement le taux d’épargne des ménages, qui atteindrait 19% du revenu disponible brut en zone euro en 2020. Ce niveau est nettement supérieur à la moyenne de long terme, de l’ordre de 13%.
Banque centrale européenne : plus et pour plus longtemps
“Our reaction function should nonetheless be clear: the ECB will respond to any significant tightening in financing conditions for as long as the negative effects of the COVID-shock persist”[1]. Dans cette crise, la Banque centrale européenne (BCE) a adopté, et conservera, une approche flexible. À ce titre, l’institution monétaire de Francfort a augmenté l’enveloppe de rachats de titres dans le cadre de son programme d’urgence PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme), qui atteint désormais EUR 1350 mds. L’horizon du PEPP a également été étendu à fin juin 2021 et les remboursements, au titre du principal, des titres arrivant à échéance, seront réinvestis au moins jusqu’à fin 2022. De plus, les conditions assorties aux opérations de refinancement à long terme ciblées des banques de la zone euro (TLTRO-III) ont une nouvelle fois été assouplies. Pour les établissements de crédit qui dépasseront les seuils de performance en matière d’octroi de prêts, le taux des nouvelles TLTRO-III ne sera pas calculé à partir du taux moyen des opérations principales de refinancement mais de celui de la facilité de dépôt. Ainsi, sur la base du niveau actuel du taux de la facilité de dépôt, (-0,5%), le taux d’intérêt des nouvelles TLTRO III s’établirait, par exemple, à -1%.
L’agrégat monétaire M3 a sensiblement accéléré depuis le début de l’année 2020. Le crédit aux administrations publiques explique une large part de cette dynamique, sous l’influence notamment de l’intensification des rachats de titres souverains par l’Eurosystème. L’accélération marquée des crédits aux entreprises non financières pourrait refléter uniquement des besoins de liquidité à court terme[2]. Malgré l’expansion monétaire, l’inflation totale baisse nettement (+0,1% en mai après 1,4% en janvier) sous l’effet de la faiblesse des prix de l’énergie, tandis que la composante sous-jacente reste atone. Ces développements seront à suivre de près.
Réponse européenne : encore un petit effort
L’Europe semble aujourd’hui davantage proactive et contracyclique qu’elle ne l’était par le passé. La Commission européenne a notamment formulé ses propositions concernant le futur fonds de relance (Recovery Fund), doté de EUR 750 mds. Il s’agit d’une avancée remarquable qui va au-delà du budget européen, celui-ci ne tenant pas compte de l’état de la conjoncture économique. Le financement du fonds est basé sur une émission de dette sur les marchés financiers au nom de l’Union européenne. Le plan global comprend une part conséquente de transferts (EUR 500 mds), soit environ 3,5% du PIB de l’UE à 27 pays. Ces transferts seront versés au cours des premières années du prochain budget de l’UE, entre 2021 et 2024, et ne devront pas être remboursés individuellement. Les EUR 250 mds restants seront distribués sous forme de prêts aux États membres. Cette proposition de fonds de relance, si elle est acceptée par l’ensemble des autres États membres, ne fera pas de l’Europe une union budgétaire. Néanmoins, un accord rapide entre les 27 est nécessaire et attendu.