En partie paralysée par l’épidémie de Covid-19, l’économie américaine aura connu, au printemps 2020, sa pire récession depuis 1946. La perte d’activité, proche de 10% au deuxième trimestre, se réduit toutefois depuis le mois de mai, la principale question étant de savoir ce qui pourra, in fine, être récupéré. À l’approche de l’été, l’amélioration des enquêtes auprès des chefs d’entreprise, tout comme le rebond boursier, témoignaient d’anticipations assez optimistes, peut-être trop. Dopés par les injections de liquidité de la Réserve fédérale, les marchés sous-estimeraient le risque de défaillance d’entreprises, dont la dette s’est beaucoup alourdie. Les dernières statistiques concernant la progression de la maladie étaient, quant à elles, mauvaises.
La population comme l’économie des États-Unis payent un lourd tribut à l’épidémie de Covid-19. Arrivée outre-Atlantique un peu plus tard qu’en Europe, longtemps minimisée par le président Trump, celle-ci a déjà causé le décès de quelque 130 000 Américains, un bilan, hélas, provisoire. Au moment d’écrire ces lignes, la maladie connaissait une recrudescence inquiétante, en particulier dans les États du Sud comme la Floride, le Texas ou la Californie (cf. graphique). Avec près de 50 000 nouveaux cas par jour recensés début juillet, la première vague épidémique reste donc active, au point que autorités sanitaires la jugent « non maitrisée ».
Conséquence des mesures de confinement ou de distanciation physique, l’économie a connu sa pire récession depuis 1946. Selon les évaluations de la Réserve fédérale d’Atlanta, le PIB des États-Unis aurait plongé de 12% (40% en rythme annuel) au deuxième trimestre de 2020, témoignant d’une chute d’activité somme toute comparable à celle qu’aurait connu l’Europe. En l’absence de chômage partiel, les implications pour l’emploi ont été lourdes, de l’ordre de 20 millions de postes détruits ; au mois de mai, le nombre d’inscriptions au chapitre 11 de la loi sur les faillites avait, quant à lui, bondi de 50% sur un an.
Fort heureusement, ce passage à vide économique n’aura pas été aggravé par l’interruption des circuits de financement - l’ingrédient commun à toute grande crise - l’action conjointe du Trésor et de la Réserve fédérale (Fed) s’avérant, à cet égard, déterminante.
La Fed réanime les marchés
Dans les premières semaines du mois de mars, la réappréciation du risque associée à la perspective d’un plongeon de l’activité s’est en effet traduite par un repli général vers la liquidité, des demandes de conversion monétaire d’actifs (actions, obligations, parts de fonds...) et la mise sous pression d’acteurs indispensables au financement de l’économie, tels les Primary Dealers ou les Money Market Funds. Afin d’éviter l’embolie, la Fed a engagé des moyens considérables, pour la plupart inédits. Les limites à sa politique d’assouplissement quantitatif ont été levées, ce qui a conduit l’Institution à racheter depuis quatre mois pratiquement l’équivalent de PIB annuel de la France[1]. Les programmes de refinancement ad hoc se sont multipliés, la Fed se montrant aussi moins exigeante en matière de garanties. Ce faisant, elle s’est positionnée comme prêteuse en dernier ressort sur absolument tous les compartiments du marché de la dette, primaire ou secondaire, investment grade ou high yield. La crise de liquidité en dollar ayant été mondiale, ses interventions ont largement dépassé les frontières, la Fed nouant des accords de swap avec les principales banques centrales de la planète. Au total, les lignes de financement ouvertes par la banque centrale américaine ont pu dépasser le trillion de dollars d’encours ; comme toutes n’ont pas servi, les montants potentiellement disponibles vont en réalité bien au-delà.
C’est donc à la faveur d’une réassurance publique quasi illimitée que les marchés ont pu connaître un redressement aussi rapide que spectaculaire, l’illustration la plus marquante étant donnée par le coût des CDS (Credit Default Swap). Après s’être envolées, jusqu’à atteindre 1 000 points de base sur le compartiment de la dette à haut rendement, les primes de risque ont commencé à refluer dès le 23 mars, date d’activation des principales mesures de soutien de la Fed (assouplissement quantitatif illimité, programmes d’achats de dette d’entreprise à l’émission et sur le marché secondaire, cf. encadré). Elles ont aujourd’hui retrouvé des niveaux quasi normaux, en dépit du fait que les évènements de crédit se multiplient aux États-Unis et promettent d’augmenter en Europe (FT, 24/06)[2]. Les marchés d’actions, qui leur sont très corrélés, ont récupéré tout ou partie des pertes induites par le Covid-19, certains indices sectoriels, comme ceux des valeurs technologiques ou de la santé, dépassant leur cotation d’avant-crise.
Au-delà du rebond économique du troisième trimestre
Le rétablissement de l’économie passant par celle des circuits de financement, la Réserve fédérale aura beaucoup fait pour tirer les indices de conjoncture hors de la zone dépressionnaire. Le déficit budgétaire aussi, les quelque USD 1 000 milliards consacrés au Paycheck Protection Program (prêts garantis) ainsi qu’à l’extension des indemnités chômage ayant permis de maintenir les revenus au plus fort de la récession[3]. Dès le mois de mai, avec la levée progressive des barrières de protection sanitaire, la consommation privée s’est inscrite en hausse, l’emploi s’est redressé[4]. Le climat des affaires s’est éclairci, l’embellie se prolongeant en juin, qui a notamment vu l’indice ISM (Institute for Supply Management) des directeurs d’achat repasser au-dessus de la barre des 50 dans l’industrie. Après sa chute du printemps, il est donc acquis que l’activité se raffermira au troisième trimestre, rattrapant une partie du terrain perdu.
Mais ensuite ? Au-delà du fait que l’épidémie n’a pas disparu, un certain nombre de déséquilibres, déjà présents avant la crise, se sont accentués, qui compliqueront la récupération. Partant d’un niveau record[5], la dette des entreprises s’est encore alourdie, ce qui pose la question de sa soutenabilité dans les secteurs où la baisse des chiffres d’affaires n’est pas que transitoire (transports aériens, commerce de détail, gaz et pétrole de schistes…). Nourris du sentiment d’avoir évité le pire, également portés par la conviction d’une accommodation monétaire sans fin, les rallies obligataire et boursier des dernières semaines n’ont, en réalité, qu’un lointain rapport avec les fondamentaux économiques.
Rebondiraient-ils fortement au cours du second semestre, que les bénéfices annuels des grandes sociétés cotées (celles appartenant à l’indice Standard & Poor’s 500) se trouveraient encore multipliés par 30 en Bourse. Le modèle de valorisation du Fonds monétaire international (FMI) conclut, quant à lui, à une surévaluation historique des actifs risqués, actions ou obligations d’entreprise[6]. Si la situation conjoncturelle s’est améliorée aux États-Unis, du moins au strict plan des affaires, elle parait aussi très vulnérable face à d’éventuels accrocs à la reprise ou déplacements d’anticipations.