Eco Perspectives

Changement de décor

16/12/2020

C’est peu dire que le mandat du 46e président des États-Unis, Joe Biden, s’annonce compliqué. Au moment d’être investi, le 20 janvier prochain, celui-ci héritera d’une économie en rechute, conséquence d’une épidémie de Covid-19 qui s’emballe et promet d’aggraver un bilan humain déjà lourd. Au-delà de l’urgence sanitaire, la nouvelle administration démocrate devra faire face à des antagonismes politiques et sociaux qui n’ont jamais paru aussi profonds qu’à l’aube de cette nouvelle décennie. Réputé homme de dialogue, Joe Biden n’aura pas trop de sa longue expérience politique et de sa science du compromis pour parvenir à apaiser l’Amérique.

CROISSANCE ET INFLATION (%)

Même moins large que promise par les sondages, la victoire est nette : avec 81,3 millions de voix (51,4% des suffrages exprimés) et 306 grands électeurs sur un total de 538, le démocrate Joe Biden remporte le scrutin du 3 novembre et est élu 46e président des États-Unis, fonction qu’il occupera dès le 20 janvier 2021, date d’investiture. Également élue, Kamala Harris sera la première femme à accéder à la vice-présidence.

Quelles marges de manoeuvre pour le président Biden ?

Et ensuite ? La capacité à agir du président Biden dépendra de l’équilibre des forces au Congrès. Or les élections n’ont pas engendré de « vague bleue » : selon le décompte arrêté au 6 décembre, le parti démocrate conserve de peu la majorité à la Chambre des représentants (222 sièges pour 218 requis), les républicains y gagnant 10 sièges.

RÉSULTATS DES ÉLECTIONS DU 3 NOVEMBRE 2020

Dès lors, l’enjeu se concentre sur le Sénat, sans qui les lois, traités, ou nominations à certains postes clés (juges à la Cour suprême, juges fédéraux, Procureur général…) ne peuvent être approuvés. Pour l’heure, le parti républicain y détient 50 sièges, contre 48 au parti démocrate, les 2 sièges restant à pourvoir étant ceux de l’État de Géorgie, où un second vote (runoff elections) est organisé le 5 janvier 2021, après que le premier eut échoué à départager les candidats (aucun d’entre eux n’obtenant la majorité requise de 50%).

Si, en bout de course, le Sénat devait se répartir à égalité de 50 sièges entre démocrates et républicains, la vice-présidente Kamala Harris (également présidente du Sénat de par la Constitution) emporterait les décisions en se voyant attribuer un droit de vote. Aux États-Unis, une grande partie de la politique gouvernementale des prochaines années se jouera donc en Géorgie, le 5 janvier.

Qu’elles aient trait à la santé publique (réhabilitation de l’Obamacare, accès facilité à Medicare et Medicaid, instauration d’une couverture universelle pour la petite enfance, aides fédérales à la souscription d’assurance privée…), aux conditions de travail (hausse du salaire minimum fédéral de USD 7,5 à USD 15 de l’heure, amélioration du statut des indépendants, doublement de la participation fédérale à la State Small Business Credit Initiative...), ou à l’éducation (augmentation du nombre des bourses, gratuité des études jusqu’au community college pour les élèves issus de familles modestes, effacement des dettes étudiantes après 20 ans de remboursement...) les propositions du président Biden sont ambitieuses et n’auront que peu de chance d’aboutir en cas de Sénat républicain.

Au sein du camp démocrate lui-même, elles devront faire l’objet de compromis. Des marges de manœuvre plus importantes existent en revanche dans d’autres domaines, comme la politique étrangère, où le président Biden est susceptible d’agir par décret. Le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris sur le climat, qui n’est pas un traité et n’exige donc pas de vote au Sénat, s’inscrit par exemple dans la liste des promesses qui seront tenues. Les programmes en matière de politique industrielle(durcissement des règles d’origine appliquées au made in USA, achats fédéraux de matériels américains, investissements en recherche et développement) ou d’infrastructures (réfection des réseaux routiers, déploiement du haut-débit, encouragement du ferroviaire et des transports publics) peuvent aussi faire l’objet d’accords bipartites.

Urgence sanitaire et économique

RECHUTE DE LA CONSOMMATION

Dans l’immédiat, la priorité de l’administration Biden sera de combattre une épidémie de Covid-19 qui s’emballe et promet d’aggraver un bilan humain (près de 300 000 morts) et socio-économique (près de 10 millions d’emplois perdus) déjà lourd. Au moment d’écrire ces lignes, le taux d’incidence de la maladie (le nombre d’infections rapporté à la population), accentué par les fêtes de Thanksgiving, battait des records : avec 175 000 nouveaux cas par jour, soit 53 pour 100 000 habitants, il indiquait une propagation du virus deux fois plus rapide qu’en Europe1.

D’abord active dans les États ruraux (Dakota du Nord, Indiana, Kansas, Utah, Colorado…), la vague épidémique gagnait à nouveau dans les grands centres urbains. Un vaccin serait-il disponible vers la fin d’année 2020 ou début 2021 que la situation empirera tout de même dans les semaines à venir. Dans une intervention récente devant le Bay Area Council Economic Institute, le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, envisageait des prochains mois « très difficiles ». Dans l’État de New-York, où le combat contre le coronavirus est l’un des plus âpres, les écoles ont été fermées, au même titre que la plupart des commerces et lieux publics en Californie.

LA CONSOMMATION À LA TRACE

Les rapports de mobilité fournis par les moteurs de recherche sur internet indiquent, de leur côté, un tassement de l’activité. En novembre, la consommation privée se serait ainsi contractée de 1% à 1,5%, après plusieurs mois de rebond (cf. encadré et graphique 3) ; son recul devrait s’être accentué en décembre. Avant même d’être élu, Joe Biden s’était employé avec la présidente de la Chambre Nancy Pelosi à faire adopter par le Congrès un plan additionnel de lutte contre la pandémie. Le climat préélectoral autant que le rebond économique des mois d’été avaient cependant joué contre un accord budgétaire et favorisé le statu quo. Maintenant que l’horizon conjoncturel s’assombrit, celui-ci paraît de moins en moins tenable. Récemment, une initiative bipartisane a vu le jour au Sénat, qui vise à débloquer près de USD 1 000 milliards de fonds d’urgence.

Au-delà des mesures purement sanitaires (généralisation des tests et procédures de traçage, aides à l’accès aux soins…) il serait question d’accroître et de prolonger au-delà du 31 décembre 2020 le complément fédéral d’indemnités chômage (actuellement réduit à USD 400 par semaine) ainsi que d’amplifier le Paycheck Protection Program, un dispositif de soutien aux petites entreprises.

1 Au 05/12/2020, le taux d’incidence la Covid-19 était de 23 nouveaux cas quotidiens pour 100 000 habitants dans l’Union européenne (moyenne sur 7 jours en Allemagne, France, Italie, Espagne, Portugal, Pays-Bas, Belgique, Autriche, Irlande) contre 53 nouveaux aux

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Global
Après une année éprouvante, un espoir prudent est de mise pour 2021

Après une année éprouvante, un espoir prudent est de mise pour 2021

Jusqu’au bout, 2020 aura été une année pour le moins difficile. À certains égards, un espoir prudent est néanmoins de rigueur en ce qui concerne l’économie en 2021 [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Dosage subtil de la politique monétaire et de crédit

Dosage subtil de la politique monétaire et de crédit

Le rebond de l’activité depuis mars a été rapide et s’est étendu progressivement de l’industrie aux services [...]

LIRE L'ARTICLE
Japon
Normalisation très progressive de la situation économique

Normalisation très progressive de la situation économique

Comme partout, le Japon enregistrera une récession historique en 2020. Le chemin vers un rattrapage complet de l’activité perdue pourrait être plus long qu’ailleurs et la croissance devrait rester très modérée [...]

LIRE L'ARTICLE
Zone euro
Entre prudence et espoir

Entre prudence et espoir

Avec le rebond épidémique, le processus de rattrapage économique est enrayé en zone euro. La fin de l’année 2020 s’annonce plus difficile qu’attendu en raison des nouvelles restrictions sanitaires mises en place dans la plupart des États membres [...]

LIRE L'ARTICLE
Allemagne
Face à l’incertitude sur les revenus, l’épargne de précaution s’envole

Face à l’incertitude sur les revenus, l’épargne de précaution s’envole

Le deuxième confinement a interrompu une reprise économique qui s’essoufflait déjà. Le climat des affaires ne tardera cependant pas à s’améliorer, porté par les anticipations relatives à la disponibilité prochaine de plusieurs vaccins [...]

LIRE L'ARTICLE
France
De la lumière au bout du tunnel

De la lumière au bout du tunnel

Le choc récessif massif du S1 a été suivi d’un rebond tout aussi spectaculaire de l’activité économique au T3 (18,7% t/t) mais de courte durée [...]

LIRE L'ARTICLE
Italie
Aux prises avec la deuxième vague

Aux prises avec la deuxième vague

Après la chute impressionnante enregistrée au premier semestre 2020, l’économie italienne a rebondi durant l’été [...]

LIRE L'ARTICLE
Espagne
Une relance budgétaire sous l’œil attentif de Bruxelles

Une relance budgétaire sous l’œil attentif de Bruxelles

Les prévisions du début d’année semblent se confirmer. L’Espagne devrait être le pays de la zone euro le plus touché économiquement par la crise de la Covid-19 [...]

LIRE L'ARTICLE
Belgique
L’impact structurel reste limité, mais il faudra tôt ou tard payer l’addition

L’impact structurel reste limité, mais il faudra tôt ou tard payer l’addition

D’après nos prévisions, l’économie belge devrait se contracter de 7,2 % cette année, puis progresser de 3,8 % en 2021 [...]

LIRE L'ARTICLE
Autriche
Les entreprises très fragilisées par la crise de la Covid-19

Les entreprises très fragilisées par la crise de la Covid-19

Le gouvernement autrichien a décrété un deuxième confinement en novembre dernier en raison de la forte résurgence des contaminations. Les indicateurs conjoncturels font état d’une chute de l’activité économique [...]

LIRE L'ARTICLE
Finlande
Une économie résiliente, mais peu dynamique

Une économie résiliente, mais peu dynamique

Au deuxième trimestre, la Finlande s’est distinguée en Europe comme le pays ayant enregistré la plus faible baisse de son PIB, avec une chute de « seulement » 4,4% [...]

LIRE L'ARTICLE
Grèce
Un redémarrage en 2021 plus lent qu’ailleurs ?

Un redémarrage en 2021 plus lent qu’ailleurs ?

La reprise de l’activité sera pavée d’incertitudes en 2021. Le tourisme, secteur très important de l’économie grecque, pourrait être impacté plus durablement que d’autres industries par la crise actuelle [...]

LIRE L'ARTICLE
Royaume-Uni
Une rechute en fin d’année, avant la reprise définitive ?

Une rechute en fin d’année, avant la reprise définitive ?

La baisse record du PIB du Royaume-Uni au deuxième trimestre a laissé place à un rebond lui aussi inédit au troisième, et l’arrivée prochaine d’un vaccin efficace contre la Covid-19 laisse penser que l’économie entrera dès 2021 dans sa phase de reprise définitive. Cependant, le Royaume-Uni n’est pas encore tiré d’affaire. Au regard de la réimposition d’un confinement généralisé durant le mois de novembre, il fait peu de doute que l’activité économique chutera de nouveau au dernier trimestre. De surcroît, l’intensité de la reprise est, du fait du Brexit, plus incertaine qu’ailleurs. Cela est dû non seulement au caractère inédit de la décision du Royaume-Uni de sortir du marché unique et de l’union douanière de l’UE, mais aussi aux incertitudes quant à la signature d’un accord de libre-échange.

LIRE L'ARTICLE
Suède
Une économie durement touchée

Une économie durement touchée

Depuis mars 2020, la Suède se distingue des autres pays européens par l’absence de confinement et connaît actuellement une reprise des infections [...]

LIRE L'ARTICLE
Norvège
Une économie touchée, mais loin d’être coulée

Une économie touchée, mais loin d’être coulée

Par rapport à ses voisins européens, la Norvège a été relativement peu affectée par la pandémie de Covid-19. De plus, l’économie a pu compter sur les mesures de soutien considérables mises en place par les autorités fiscales et monétaires [...]

LIRE L'ARTICLE
Danemark
L’incertitude demeure

L’incertitude demeure

L’économie danoise s’est rapidement redressée après la réouverture des frontières mais un rattrapage complet prendra du temps puisque la recrudescence de l’épidémie de Coronavirus maintient la situation économique du pays dans l’incertitude [...]

LIRE L'ARTICLE