La discussion du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 vient de débuter à l’Assemblée nationale. Le contexte qui sous-tend ce PLF doit être rappelé. La France s’engage dans un effort de consolidation budgétaire nécessaire et important, mais incertain étant donné les rapports de force à l’Assemblée nationale. Ces dernières années ont conduit à un niveau élevé du déficit budgétaire : son niveau en 2024 ainsi que celui de la charge d’intérêt (qui devrait augmenter de près de 1 point de PIB d’ici à 2027) ne laissent pas de choix. Pour stabiliser son ratio de dette publique, la France devra ramener son déficit budgétaire sous les 3% du PIB et donc le réduire chaque année pendant au moins cinq ans. Quels que soient la voie (une hausse notable des impôts) ou le moment choisis (concomitamment à des premiers signes de détérioration de la situation financière des entreprises), cette consolidation budgétaire ne devrait pas être différente des précédentes : l’impact sur la croissance française sera négatif, même s’il devrait être amorti par la détente monétaire.
Le budget pour 2025 devrait, selon toute vraisemblance, engager un effort de consolidation budgétaire relativement important. Cet effort était déjà inscrit dans la dernière mouture du programme de stabilité que la France a transmis à la Commission européenne en avril dernier, afin de revenir à terme sous la barre des 3% de déficit budgétaire. Mais en France, les périodes de consolidation budgétaire sont l’exception plutôt que la règle. Cela fait même près de 10 ans que le pays n’a pas procédé à une telle consolidation (le retrait en 2022-23 des mesures temporaires mises en place pendant la période de Covid ne pouvant être considéré comme tel). L’absence de majorité à l’Assemblée nationale pourrait compliquer encore les choses. Pourtant, cette consolidation est d’autant plus nécessaire que la trajectoire budgétaire s’est sensiblement éloignée des objectifs (6,1% de déficit en 2024 selon le gouvernement, contre 4,4% dans le projet de loi de Finances initial et 5,1% dans le programme de stabilité d’avril). L’effort à accomplir s’en trouve accru : le projet du gouvernement comporte 1,4 point de PIB d’ajustement structurel hors charge d’intérêt en 2025.
Pourquoi un tel effort ? Parce que la France, à travers son budget, a été parmi les pays à prendre le plus de mesures pour limiter leur inflation, soutenant ainsi le pouvoir d’achat des ménages. Ceci a été fait par le biais de mesures qui ne peuvent pas toutes être retirées aujourd’hui (notamment celles ayant bénéficié du mécanisme d’indexation sur l’inflation, dont les retraites et les barèmes d’imposition sur le revenu), et qui devaient être financées par une reprise de la consommation qui se fait toujours attendre. Le ratio dépenses publiques sur PIB s’est peu accru (54,6% hors crédits d’impôts et hors charge d’intérêts en 2023 et 54,9% en 2024 selon le gouvernement) mais le ratio recettes publiques sur PIB (51,6% en 2023, pas d’amélioration probable en 2024) a nettement fléchi et se trouve même inférieur de près de 1,5 point à ce qu’il était avant-Covid, en 2019. Pour ne citer qu’un exemple, les chiffres de la consommation des ménages ayant déçu, il n’est pas surprenant que les recettes de TVA déçoivent tout autant. En 2024, les prestations sociales de toute nature auraient contribué à la hausse du revenu disponible brut (RDB) des ménages à hauteur de 1,8 point (à égalité avec les salaires), alors que les prélèvements ne lui retiraient que 0,9 point. Le gain net est donc significatif. Et il l’avait déjà été en 2023 (+1,6 point contre -0,9 point). La consommation aurait donc pu rebondir.
Le soutien budgétaire apporté ces dernières années à l’économie française devait être financé, au moins pour partie, par la croissance. Cette dernière devrait, à notre sens, être pourtant légèrement supérieure à l’objectif révisé à 1%, au printemps dernier, par le gouvernement (nous prévoyons 1,2%). Mais c’est à peu près la seule bonne nouvelle, car le contenu de cette croissance, bien différent des attentes, n’aura in fine pas délivré les recettes attendues. En matière de demande, les exportations constituent le seul élément qui aura évolué conformément aux attentes, au contraire de tous les autres, dont la consommation des ménages et l’investissement privé. Si la France a connu une croissance finalement assez proche des attentes, c’est parce qu’elle a moins importé : la baisse des importations est la conséquence positive du repli de la demande intérieure de biens, ainsi que du déstockage des entreprises (qui ont acheté moins d’intrants industriels). Or, si une diminution des importations n’apporte rien aux ressources de l’État, la baisse de la consommation lui en enlève, au travers des moindres rentrées de TVA déjà évoquées. L’autre support aura été la consommation publique, soutenant in fine la croissance en 2024 à hauteur de près d’un tiers selon nos estimations. Une contribution qui n’est pas inédite mais qui est néanmoins plutôt élevée.
Et maintenant ? Il ne faut pas remettre au lendemain ce que l’on peut faire le jour même. Il est donc important d’entamer une consolidation budgétaire dès l’année prochaine. Pourquoi ? Pour revenir, à terme, à ces fameux 3% de déficit public qui permettront de stabiliser le ratio dette publique sur PIB, eu égard à une croissance nominale du PIB qui devrait graviter entre 2,5 et 3% dans les prochaines années, soit peu ou prou le niveau actuel du taux d’intérêt à 10 ans (qui se situe même plutôt dans le haut de la fourchette).
Mais il est important de lisser l’effort afin de ne pas trop pénaliser la croissance. Plus personne ne réclame un retour sous les 3% de déficit en 2027 et le gouvernement cible d’ailleurs 2029. Cela parait lointain, mais c’est en réalité demain. Et puisque la charge d’intérêt devrait augmenter de 0,3% de PIB par an d’ici à 2027, l’effort à faire afin de réduire le déficit n’en sera que plus important. Commencer dès 2025 apparaît donc indispensable. La potion risque toutefois d’être amère. Le rapport économique, social et financier attaché par le gouvernement à son projet de budget intègre EUR 29,5 mds de mesures nouvelles en prélèvements obligatoires en 2025, soit près de 1 point de PIB, dont EUR 22 mds concerneraient les entreprises. Si les lignes vont bouger lors du débat parlementaire, il faut s’attendre, au moment où les entreprises voient déjà diminuer leurs marges (à 30,8% au 2e trimestre 2024, contre 33,3% un an plus tôt) et leur épargne (79,4% de leur investissement, un plus bas hors pandémie depuis le 3e trimestre 2008), à ce qu’une telle augmentation de la fiscalité pèse sur la croissance française.