Concilier fin du mois et «?monde fini?»
S’il est deux thèmes qui structurent la politique économique depuis cinq ans (et devraient continuer de le faire), c’est bien le pouvoir d’achat des ménages et l’adaptation au changement climatique. Or, il peut être difficile d’articuler ces deux problématiques : la hausse des prix de l’énergie est la meilleure des incitations en faveur d’une frugalité énergétique, mais cette hausse s’avère dans le même temps préjudiciable au pouvoir d’achat.
La problématique du pouvoir d’achat sur fond de choc inflationniste
Depuis 2018, la France a vu s’enchaîner un premier choc inflationniste ponctuel (le prix du pétrole a atteint 80 USD en 2018 et l’inflation a culminé à 2,3% en août 2018), la crise des gilets jaunes, la pandémie de Covid-19 et désormais un choc inflationniste d’une ampleur inédite depuis près de 40 ans. La politique économique a été contrainte de réagir dans l’urgence afin de soutenir les revenus des ménages affectés par cette succession de difficultés, que ce soit par le biais de subventions directes ou de limites à la hausse des prix de l’énergie.
Le choc inflationniste n’est pas terminé. La politique économique devrait donc continuer de traiter ses conséquences. Le retour de l’inflation, avec une telle ampleur, a largement été non anticipé. L’inflation - principalement énergétique - devrait atteindre 5,3% en moyenne en 2022, un niveau qui n’a plus été observé depuis 1985. Nous avons simulé l’impact des hausses du cours du baril de pétrole sur l’inflation domestique, au travers d’un modèle de markup, qui permet de décrire la dynamique de la transmission4.
Cette estimation suggère que la hausse du prix du pétrole permet d’expliquer 3,2 points d’inflation moyenne en 2022. L’’inflation aurait donc atteint 2,1% sans cette hausse, un chiffre qui aurait permis de maintenir une croissance positive du pouvoir d’achat des ménages en 2022.
L’accélération de l’inflation intervient dans un contexte de modération salariale observée depuis près d'une décennie. En comparaison, les années 70 avaient été marquées par un gain de pouvoir d’achat, malgré une inflation souvent à deux chiffres, en raison de l’indexation des salaires sur celle-ci (ils progressaient même fréquemment plus rapidement). En 2022, le SMIC (qui reste indexé à l’inflation) aura connu trois revalorisations en 2022 (+0,9% en janvier, +2,65% en mai et +2,1% en août). Les salaires de branches devraient de plus en plus combler une partie de leur retard sur l’inflation. Ainsi, la Banque de France a estimé en mai dernier que les négociations de branche, qui seront menées en 2022, devraient conduire à une augmentation de 3% des minimas, contre 1% pour les négociations menées en 20215. Toutefois, cette évolution devrait intervenir a posteriori, alors que la hausse des prix de l’énergie (première cause d’inflation) est essentiellement intervenue entre l’été 2021 et mars 2022. De plus, la transmission des hausses de minimas à l’ensemble des salaires devrait rester partielle. Il en résultera une perte de pouvoir d’achat en 2022, que nous estimons à 0,8% (graphique 8)6.
Le bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité, la ristourne sur le prix du carburant, les subventions (chèques énergie et inflation) et les différentes mesures de revalorisation des revenus (retraites, fonctionnaires, prestations sociales), décidés pour contrecarrer ce choc, devraient in fine nettement limiter la perte de pouvoir d’achat, plus que dans tout autre pays européen7. En effet, sans ces mesures, nous estimons que les ménages français auraient subi un recul de 3,1% de leur pouvoir d’achat en 2022.
Il convient de noter également que la période de Covid-19 continue de jouer sur l’évolution du pouvoir d’achat des ménages. Les prestations sociales supplémentaires versées en 2020, dans le cadre du mécanisme de chômage partiel, ont apporté près de 4,4 points de pouvoir d’achat. Elles ont ainsi évité une perte pour les ménages quand l’arrêt progressif de ces mesures a, à l’inverse, pesé statistiquement sur ce même pouvoir d’achat des ménages en 2021 et 2022 (à hauteur de 2,2 points en 2021 et de 1,2 point en 2022 selon nos estimations) au travers d’une baisse des prestations sociales. Concernant 2022, l’effet net entre mesures anti-inflation et arrêt du « quoi qu’il en coûte » reste positif, à près de 1,1 point (graphique 9).