Le début d’année a été marqué par la tenue des élections présidentielles les 23 et 24 février. Alors que l’on s’attendait à un scrutin serré, le président sortant, Muhammadu Buhari, a obtenu une victoire assez nette avec 56% des suffrages contre 41% pour son principal opposant. Peu après, les autorités monétaires ont abaissé le taux directeur de 50 points de base (pb). Si les évènements n’ont en apparence aucun lien entre eux, la décision de la banque centrale pourrait cependant indiquer une réorientation des objectifs de la politique économique vers plus de soutien à la croissance après un premier mandat essentiellement centré sur le renforcement de la stabilité des comptes extérieurs. Mais les marges de manœuvre sont étroites. Surtout, sans réformes structurelles la reprise sera timide.
Baisse du taux directeur : une mesure symbolique
La Banque centrale du Nigéria (CBN) a surpris en décidant fin mars de baisser le taux directeur de 14% à 13,5%, une première depuis juillet 2016. De fait, l’inflation, bien que stable à 11%, se situe en dehors de la cible de 6-9% fixée par les autorités monétaires. L’inflation risque même de repartir à la hausse après l’augmentation du salaire minimum des fonctionnaires de NGN 18 000 actuellement (USD 60 au taux de change officiel) à NGN 30000 (USD 98). La portée de cette mesure reste difficile à mesurer tant les écueils à son application sont nombreux, à commencer par la situation financière très délicate de nombreux Etats.
Selon le gouverneur de la CBN, l’assouplissement de la politique monétaire est censé relancer l’activité économique en stimulant le crédit bancaire. Mais à ce stade, cette décision nous apparaît avant tout comme symbolique. D’une part, la CBN pilote essentiellement la gestion de la liquidité via des émissions de titres. Depuis 2016, les taux interbancaires sont ainsi régulièrement supérieurs au taux directeur, ce qui réduit les signaux envoyés par ce dernier. D’autre part, les canaux de transmissions à l’économie réelle sont limités. Le Nigéria est non seulement peu bancarisé mais le choc pétrolier a aussi fragilisé un système financier qui n’a pas encore achevé sa phase de correction. La croissance du crédit au secteur privé était toujours négative à fin février 2019 (-2,6%). Les indicateurs de solidité financière ont commencé à s’améliorer mais ils restent encore dégradés. En particulier, le ratio de créances douteuses demeure élevé, à 12,4% contre 3% à fin 2014.
Dans un tel contexte d’aversion au risque des banques, une politique monétaire plus accommodante sera sans doute nécessaire pour avoir des effets. Mais aux pressions inflationnistes latentes s’ajoute une autre contrainte. Les titres émis par la CBN sont détenus à presque 30% par des non-résidents, ce qui implique de maintenir des rendements suffisamment élevés pour asseoir leur attractivité. La brutale remontée des taux à court terme (interbancaires, bons du Trésor) au second semestre 2018 est en effet venue rappeler à quel point la situation macro-financière du Nigéria demeurait fragile.
Stabilité macroéconomique : encore fragile
Le rééquilibrage des comptes extérieurs a subi un coup d’arrêt en 2018. En plus d’une contraction significative de l’excédent du compte courant (1,2% du PIB en 2018 contre 2,8% en 2017) en raison d’une envolée des importations de services, le Nigéria a été affecté par des sorties massives de capitaux à partir d’avril (USD 9 mds selon le FMI) dont les effets n’ont été que partiellement amortis par une nouvelle émission euro-obligataire en novembre (USD 2,86 mds) après celle de février (USD 2,5mds). Les réserves de change ont ainsi diminué de 10% sur les 9 derniers mois de l’année, concluant 2018 sur une quasi-stabilité alors qu’elles avaient doublé entre octobre 2016 et fin 2017.
Depuis les élections présidentielles, la pression s’est allégée. Rien que sur le mois de mars, les réserves de change ont repris USD 2mds. La baisse de 100 pb des taux des bons du Trésor à 1 an atteste d’un retour des investisseurs étrangers sur le marché de la dette. En levant les incertitudes sur l’évolution du naira, la victoire de M. Buhari semble avoir été décisive dans ce regain d’attractivité. Le système actuel fait coexister plusieurs taux de change dont les cours sont stables contre le dollar. L’écart est de 20% entre le taux officiel, fixé à NGN/USD 305 (utilisé pour les importations de produits pétroliers et le service de la dette extérieure), et le taux NAFEX qui oscille autour de NGN/USD 360 (70-80% des transactions commerciales et financières). Malgré les distorsions que cela implique, le président Buhari et le gouverneur de la CBN ne sont pas favorables à une convergence des taux qui selon eux aurait surtout des effets inflationnistes. Par ailleurs, les réserves de change demeurent importantes (couvrant 7 mois d’importations de biens et services à fin 2018) et le compte courant devrait rester légèrement excédentaire. Tout laisse donc à penser que le statu quo sera maintenu sur les deux prochaines années.
Au total, la stabilité des comptes extérieurs, bien qu’encore fragile en raison de la proportion de plus en plus élevée des investissements de portefeuille dans les flux de capitaux, ne nous semble pas menacée à court terme.
En revanche, les inquiétudes sur la situation des finances publiques demeurent fortes. L’incapacité des autorités à améliorer la collecte fiscale obère en effet toute perspective de consolidation rapide des comptes publics. Tombées à un niveau historiquement bas de 5,6% du PIB en 2016, les recettes consolidées de l’Etat au sens large se sont quelque peu redressées depuis grâce au rebond des cours du pétrole. Néanmoins, elles n’atteignaient que 8,7% du PIB en 2018, soit l’un des niveaux les plus faibles en Afrique sub-saharienne. Le contexte actuel sur le marché du pétrole ne laisse pas beaucoup d’espoir de potentiels gains budgétaires. Or, l’Etat doit aussi faire face à d’importantes contraintes financières. Le creusement du déficit budgétaire depuis 2014 s’est accompagné d’un renchérissement du coût de la dette sur le marché domestique. Les charges d’intérêts absorbent désormais plus de 20% des revenus du gouvernement contre 9% en 2014. Le gouvernement cherche à contourner le problème en sollicitant davantage les marchés financiers internationaux. Cette stratégie est en apparence cohérente au regard des conditions financières proposées (environ 6% contre 15% sur le marché domestique) et du faible niveau de la dette publique en devises (5% du PIB) mais elle exposera les finances publiques au risque de change. Surtout, avec un déficit budgétaire encore supérieur à 4% du PIB en 2019-2020, l’Etat devra continuer de couvrir une grande partie de ses besoins de financement sur le marché domestique à des taux qui resteront élevés (pressions inflationnistes, défense du peg). La capacité des autorités à avancer sur des projets économiques structurants reste ainsi sujette à caution. L’investissement public n’a atteint que 3,3% du PIB en 2018, ce qui là encore est extrêmement faible par rapport aux autres économies africaines. La nécessité d’assainir les finances publiques pourrait même voir ce ratio retomber sous les 3% à horizon 2020.
Perspectives de croissance : vers une reprise lente
Comment, dans un tel contexte, relancer l’activité économique ? Le Nigéria est certes sorti de récession en 2017 mais la croissance demeure faible à 1,9% en 2018. Sans le net regain de dynamisme du secteur des technologies de l’information et de la communication à partir du second trimestre, le panorama serait encore plus sombre avec une progression du PIB réel de seulement 0,9% contre 1,1% en 2017. Le FMI n’entrevoit pas d’amélioration significative. Malgré l’apport de 200,000 barils par jour (10% de la production nationale) dû à l’entrée en production du champ pétrolier Egina, la croissance économique ne se redresserait que timidement pour atteindre 2,5% en 2020 avant de se stabiliser par la suite. A ce niveau-là, le PIB réel par habitant continuerait de se contracter. Toujours selon le FMI, un autre scénario est envisageable. Une intensification des réformes pourrait permettre au Nigéria de revenir à son potentiel de croissance de 4,5% à moyen terme sous réserve d’une stabilisation de l’environnement macroéconomique et externe. La feuille de route est connue de longue date et peut se résumer en deux points : l’amélioration du climat des affaires, y compris pour le secteur pétrolier, et la mise à niveau des infrastructures. Or, sur ces aspects, les avancées durant le premier mandat du président Buhari ont été limitées.