Croissance et inflationLa vigueur relative de l’économie britannique au premier trimestre de 2019 (où le PIB a crû de 2% en rythme annuel) ne doit pas faire illusion. Le rebond s’est d’abord nourri d’une intense activité de stockage, en prévision d’un Brexit qui n’a finalement pas eu lieu, et s’est inscrit à contre-courant des enquêtes auprès des chefs d’entreprise, plus pessimistes Sur le fond, la tendance n’est pas bonne. Les flux d’investissements directs étrangers se sont inversés et indiquent des sorties nettes ; le déficit commercial s’est creusé ; la livre ne s’est pas redressée (graphique 1).
Mauvaises pentesPar ailleurs, les flux migratoires en provenance de l’Union européenne (UE) se sont raréfiés (moins de 60 000 entrées nettes recensées en 2018, soit l’étiage de 2009), ce qui pèse sur l’immobilier. Qu’il s’agisse de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, ou de son successeur, Jeremy Hunt, pour succéder à Theresa May, le futur Premier ministre britannique héritera d’une conjoncture dégradée ; il aura, en outre, très peu de temps pour agir, la nouvelle date butoir fixée pour le Brexit étant le 31 octobre 2019.
Un changement de Premier ministre, mais pour quoi faire ?
Ayant déjà déclaré que, suite au Brexit, le Royaume-Uni aurait, « le beurre et l’argent du beurre » du marché unique, le candidat Boris Johnson se fait fort d’obtenir des vingt-sept chefs d’Etat ou de gouvernement de l’UE (ci-après, les 27), de nouvelles conditions de sortie, plus avantageuses pour son pays.
Les chances qu’il y parvienne sont voisines de zéro. En acceptant de reporter au 31 octobre 2019 la date du Brexit, les 27 ont été clairs sur le fait que l’accord de retrait conclu avec Mme May en novembre 2018 ne serait pas renégocié. Cela concerne notamment la question du backstop nord-irlandais[1] qui achoppe côté britannique mais garantit, côté européen, l’intégrité du marché unique. Si une (petite) marge de réécriture existe concernant la Déclaration politique (qui n’est pas juridiquement contraignante et fixe le cap pour l’après Brexit), le futur Premier ministre ne peut guère escompter soumettre à la Chambre des communes autre-chose que l’accord existant.
Or, celui-ci ayant déjà été rejeté par trois fois, une ratification avant la date du 31 octobre apparait très peu probable, surtout dans la configuration actuelle, où le Parti unioniste irlandais joue les arbitres et empêche tout compromis.
Lucide, Jeremy Hunt fait le constat que le Royaume-Uni n’est pas, aujourd’hui, en mesure d’acter les termes du divorce avec l’UE. Il milite pour un nouveau report du Brexit qui, s’il devait être Premier ministre, n’interviendrait pas avant 2020. Face à lui, Boris Johnson s’engage à ce que le retrait ait lieu le 31 octobre à minuit, devrait-il se passer d’un accord.
Un simple aperçu des complications réglementaires et tarifaires découlant d’un no deal suffit pourtant à convaincre qu’une telle option, même assortie de mesures de sauvegarde (continuité des activités de paiements et de compensation, extension temporaires des licences, etc.) serait économiquement la pire pour le Royaume-Uni (encadré 4). D’après une estimation récente du NIESR[2], elle provoquerait une perte cumulée de 5 points de PIB à l’horizon 2021. Au plan politique, un no deal aurait, en outre, d’énormes difficultés à passer, cela pour deux raisons.
Paysage fracturéD’abord parce qu’il n’est pas sûr qu’une majorité de Britanniques y soient favorables. Certes, lors des élections européennes du 23 mai, un bon tiers des électeurs a voté pour les partis extrémistes du Brexit ou pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), réfractaires à l’UE et prônant une rupture radicale avec celle-ci.
Conséquences réglementaires et tarifaires découlant d’un no deal (liste non exhaustive)Mais face à eux, les différentes formations pro-européennes (Libéraux Démocrates, Verts, Change UK, Parti national écossais) ont recueilli davantage de voix (6,7 millions au total, soit 40% des suffrages). Sanctionnés pour leur indécision, les partis travailliste et conservateur rallient moins d’un électeur sur quatre et ressortent grands perdants du scrutin (graphique 3). Les élections européennes montrent donc un paysage morcelé, mais délivrent aussi un message important : au Royaume-Uni, les partisans d’un Brexit dur (sans accord avec l’UE), s’ils sont nombreux, n’en sont pas moins minoritaires
Ensuite parce que la Chambre des communes a elle-même signifié, lors d’un vote indicatif qui s’est tenu le 14 mars, qu’elle s’opposerait à un no deal en toute circonstance. Un Premier ministre qui voudrait tenter le saut dans le vide aurait ainsi de fortes chances d’être mis en minorité, suite à un vote de défiance. Il lui resterait comme ultime option de proroger la session parlementaire au-delà du 31 octobre minuit, arguant de l’impératif de négocier avec les partenaires de l’UE jusqu’à la dernière minute[3]. Un hard Brexit interviendrait alors par défaut, mais dans un trouble politique tel que la question de sa viabilité, en même temps que celle de la tenue d’élections générales anticipées, se poserait aussitôt.
Vers des élections anticipées ?
En effet, si la Chambre des communes n’est pas en mesure de ratifier l’accord de retrait mais qu’elle s’oppose aussi à un no deal, seul son renouvellement parait offrir une chance de sortir de l’impasse. Aussi la question est-elle moins de savoir si, mais quand et à quelles conditions, des élections générales anticipées peuvent se tenir. Si la date butoir du 31 octobre parait trop proche, les Vingt-Sept accepteraient sans doute de la repousser au motif que des élections générales au Royaume-Uni peuvent changer la donne et permettre de progresser vers un retrait ordonné, voire de reposer la question du Brexit.