Selon toute vraisemblance, la Réserve fédérale des Etats-Unis (Fed) baissera ses taux d’intérêt d’ici à la fin de l’année. Non que l’économie semble aujourd’hui aller mal. Consommation et emploi solides, chômage bas : l’instantané pris par le Comité de politique monétaire (FOMC) à l’occasion sa réunion du 19 juin est plutôt flatteur. Mais les « vents contraires » se renforcent, à commencer par ceux qui entravent le commerce et préoccupent, chaque jour un peu plus, les producteurs américains[1].
Baisse des taux annoncée
Croissance et inflationMême s’il ne transparaît pas encore dans le PIB (en hausse de 3,1 % en rythme annualisé au premier trimestre) le tassement des échanges mondiaux a déjà déprimé quelques indices de conjoncture. Celui de l’Institute for Supply Management (ISM), qui fait référence, a chuté depuis l’été dernier, son niveau de juin (51,7 dans le secteur manufacturier) n’étant plus très loin de la zone d’inconfort, là où les volumes d’affaire stagnent.
Fin de cycleLa dichotomie entre les données d’enquêtes et de comptabilité nationale ne durant jamais très longtemps, la Fed s’attend à ce que les chiffres « durs » d’activité soient moins bons, et communique en conséquence. La baisse annoncée de ses taux directeurs (ils fluctuent actuellement dans une fourchette de 2,25% à 2,50%) est d’autant plus crédible qu’elle rejoint les anticipations du marché : depuis le printemps, la courbe des taux est inversée sur toutes les échéances jusqu’à 5 ans, ce qui, par le passé, a toujours précédé ou accompagné l’assouplissement de la politique monétaire (cf. graphique 2).
Taux de la Fed, qu’indique la règle de Taylor ?Ce n’est pas tout. Bien qu’il ait peu révisé ses prévisions d’inflation (1,8% en 2019, 1,9% en 2020[2]), le FOMC indique que la dynamique des salaires et des prix est loin de lui apparaître excessive à ce stade du cycle, notamment en regard de la cible officielle de 2%[3]. De fait, les coûts salariaux unitaires (les salaires, primes et charges rapportés à la productivité) ont baissé au premier trimestre (-0,8% sur un an dans le secteur non agricole), ce qui n’est pas si fréquent et annonce une modération de l’inflation.
Dans une règle de Taylor (cf. encadré 3 et graphique 2), l’inflation gap (l’écart entre la hausse des prix observée et anticipée) basculerait en territoire négatif ; l’output gap (l’écart du PIB à son potentiel) indiquerait un relâchement des tensions sur les capacités. La Fed serait incitée, au minimum, à marquer une pause, plus vraisemblablement à baisser ses taux directeurs. Voyant bientôt ses vœux exaucés, le président des Etats-Unis, Donald Trump, aurait pourtant tort de se réjouir : en devenant plus accommodante, la banque centrale obéit moins à ses injonctions qu’à la nécessité d’accompagner l’atterrissage, de plus en plus vraisemblable, de l’économie américaine.
Pas d’apaisement avec la Chine
En dépit d’une trêve obtenue le 29 juin au G20 d’Osaka et alors que les Etats-Unis viennent d’imposer de nouvelles taxes à la Chine[4], tabler sur une modération de la politique commerciale américaine est vain. D’abord parce que le calendrier politique ne s’y prête pas. En campagne pour sa réélection en 2020, le président Trump escompte bien retirer de sa ligne dure un gain politique, le pari fût-il économiquement risqué. Ensuite et surtout parce que les relations commerciales sino-américaines ont profondément changé de nature au cours des dernières années, jusqu’à aboutir à une compétition désormais ouverte pour le leadership technologique.
Si les Etats-Unis conservent de l’avance, notamment dans les microprocesseurs, leurs chaînes de valeur intègrent une part croissante et désormais incontournable de composants chinois, telle que 85% des biens taxés entrent dans le processus de production des grands groupes américains (Lovely & Liang [5]). Le stéréotype d’échanges de textile ou d’appareils ménagers (chinois) contre des produits électronucléaires ou aéronautiques (américains), qui prévalait encore en 2001 lorsque la Chine a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce, ne correspond plus à la réalité. En 2018, l’habillement, la chaussure, les articles de maison et de voyage ne représentent plus que 14% des achats américains à la Chine, un poids divisé par deux en vingt ans. Ils ont été supplantés par les équipements de télécommunication (premier poste d’importation) et de transports, les machines et autres appareils industriels, qui totalisent 30% des achats et se destinent à tous les usages, civils ou militaires.
Avec une telle redistribution des cartes, il est probable que les négociateurs américains, lorsqu’ils font face à leurs homologues chinois, se préoccupent moins du déficit que d’enjeux de cyber-sécurité ou de défense ; et lorsqu’ils se réunissent entre eux, les représentants du Pentagone « sont dans la salle [6]».