L’aplatissement de la courbe de taux américaine a suscité bien des commentaires car, d’après les corrélations historiques, le risque de récession serait en hausse. Il convient néanmoins de se garder de conclusions hâtives. Les anticipations d’inflation basées sur le marché, actuellement très élevées, devraient reculer après plusieurs relèvements de taux. Cela pourrait tirer vers le bas les rendements obligataires nominaux à long terme et entraîner un ré-aplatissement, voire une inversion de la courbe. Cependant, la baisse de l’inflation est favorable à la croissance.
Autre raison de se montrer prudent : du fait des achats d’actifs effectués par la banque centrale antérieurement, la courbe de taux est moins pentue. Cet indicateur avancé de la croissance économique pourrait donc donner un signal de moins bonne qualité en raison de l’assouplissement quantitatif des années précédentes. C’est la raison pour laquelle un autre indicateur a été construit : le spread forward à court terme. Il compare les anticipations basées sur le marché, relatives aux taux d’intérêt à court terme à l’horizon de 18 mois, aux taux courts actuels. Il offre de meilleurs résultats en qualité d’indicateur avancé et, qui plus est, le spread actuel est très large. Autrement dit, il n’y a pas encore de raisons de s’inquiéter.
La courbe de taux américaine donne un fort sentiment de déjà-vu. Son aplatissement marqué, ces dernières semaines, a rapidement donné lieu à des commentaires dans la presse selon lesquels il pourrait annoncer une récession.
Une telle réaction se justifie d’un point de vue théorique. Les rendements des obligations à maturité longue reflètent essentiellement les anticipations de taux courts à plus long terme, qui dépendent des anticipations de politique monétaire, ainsi qu’une prime de terme1. Une courbe de taux pentue correspond à une orientation de politique monétaire accommodante avec des taux directeurs bien inférieurs à leur valeur anticipée à long terme. Un aplatissement de la courbe, qui implique une réduction du soutien monétaire, peut entraîner une révision à la baisse des perspectives de croissance. Cette révision sera plus nette lorsque la courbe s’inversera. Dans ce cas, les taux courts dépassent leur valeur attendue à long terme, la politique monétaire est restrictive et on s’attend à un assouplissement de cette dernière quand la croissance et l’inflation auront diminué.
L’argument théorique peut convaincre mais les données empiriques sont une base encore plus solide pour les journalistes comme pour les analystes. La qualité perçue du signal de l’inversion de la courbe, comme indicateur avancé d’une récession, est telle qu’un simple aplatissement suscite déjà des inquiétudes, tant le sentiment d’une inversion imminente domine. Cependant, mieux vaut rester prudent et de ne pas partir du postulat que ces faits stylisés, valables hier, le sont tout autant aujourd’hui.
En effet, les anticipations d’inflation basées sur le marché sont aujourd’hui très élevées, les investisseurs craignant que l’inflation continue de surprendre à la hausse. Lorsque qu’ils auront changé d’idée, le point mort d’inflation (break-even inflation, BEI) – soit la différence entre le rendement d’une obligation nominale et celui d’une obligation indexée sur l’inflation de même échéance – fléchira, tirant vers le bas, toutes choses étant égales par ailleurs, les rendements des obligations nominales sur les échéances plus longues. S’ensuivra alors un nouvel aplatissement, voire même une inversion de la courbe de taux.
Une telle évolution réduirait cependant le risque de récession au lieu de l’augmenter : la baisse de l’inflation est favorable à la croissance dans la mesure où elle accroît le pouvoir d’achat des ménages. De plus, la Réserve fédérale pourrait s’autoriser à mener une politique monétaire moins restrictive que prévu. Autre raison de se montrer prudent : l’effet exercé par la taille du bilan de la Fed sur le niveau des rendements des Treasuries. Les achats d’actifs par la banque centrale visaient à influencer les rendements des obligations à maturité longue en abaissant la prime de terme, de sorte que la courbe de taux est moins pentue qu’en l’absence d’assouplissement quantitatif.
Analyser les perspectives de croissance à travers la focale de la pente de la courbe de taux revient à déterminer si la politique monétaire est favorable à la croissance ou si elle constitue une menace. L’examen de la partie courte de la courbe de taux est, à cet égard, pertinent. Compte tenu de sa plus forte amplitude cyclique, par rapport à la partie longue de la courbe, elle est plus sensible aux changements des perspectives de croissance et d’inflation. Elle pourrait, par conséquent, offrir un signal de meilleure qualité. Telle était l’approche de la Réserve fédérale dans un document de 20182. Cependant, la comparaison entre un rendement à deux ou trois ans et le taux d’intérêt à court terme peut toujours être influencée par la prime de terme.