La sortie du Royaume-Uni du marché commun européen et de l’union douanière le 31 janvier 2020 a provoqué un choc économique important qui pèse sur la croissance et l’inflation outre-Manche, et tout particulièrement sur le commerce extérieur. Depuis le 1er janvier 2021 et l’entrée en vigueur de l’Accord de coopération commerciale (ACC) consécutif au Brexit, le commerce bilatéral de biens entre le Royaume-Uni et l’Union européenne a nettement reculé. Le Royaume-Uni a réorienté une partie de ses importations de biens vers les pays hors Union européenne.
Le Brexit constitue un évènement inédit de sortie d’un pays d’une zone d’intégration économique aussi importante et profonde que le marché commun européen. Cette désintégration affecte lourdement l’économie britannique à plusieurs niveaux.
Premièrement, les fortes incertitudes qui ont régné tout au long des négociations sur la sortie de l’Union européenne (UE) ont pesé sur l’investissement des entreprises et, par ce biais, sur la croissance économique. Selon une étude réalisée par le think tank Centre for European Reform (2022), le PIB britannique au T4 2021 serait inférieur de 5,2% par rapport à un scénario contrefactuel sans Brexit[1].
Cette croissance moindre s’explique en partie par une baisse de la productivité, due au Brexit, de l’ordre de 2 à 5% entre 2016 et 2019[2]. Les entreprises auraient, entre autres, consacré un volume horaire important à prévoir et réorganiser leurs activités en vue de la sortie de l’UE au détriment du reste de leurs affaires.
Deuxièmement, si le Brexit tire la croissance vers le bas, il pousse aussi l’inflation à la hausse. La mise en place de barrières douanières et non douanières avec le premier partenaire commercial du Royaume-Uni a inévitablement entraîné une hausse du coût des importations, qui s’est répercutée sur les prix à la consommation outre-Manche[3]. Selon le think tank The UK in a Changing Europe, cette hausse serait de l’ordre de 6% pour le seul secteur de l’alimentaire[4]. Par ailleurs, la sortie du marché unique a réduit l’offre sur le marché du travail britannique.
En 2020, environ 94 000 travailleurs européens ont quitté le pays, ce qui a conduit à des pénuries de main d’œuvre, notamment dans les emplois peu qualifiés.
Plus largement, le vieillissement de la population entraîne une baisse structurelle du nombre des actifs, que l’immigration ne compense pas, ce qui pèse sur la croissance potentielle[5]. Enfin, la sortie de l’UE limite la capacité du Royaume-Uni à recourir à la main d’œuvre européenne, ce qui accroît les tensions à l’œuvre par ailleurs sur le marché du travail.
Troisièmement, et c’est le sujet central de cet article, le Brexit a causé un choc important sur le commerce extérieur britannique. Entré en vigueur le 1er janvier 2021, l’Accord de coopération commerciale (ACC) définit le nouveau cadre réglementaire des futurs échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’UE.
Alors que l’UE est le principal partenaire commercial du Royaume-Uni, l’ACC introduit des barrières commerciales (mise en place de quotas, introduction de normes réglementaires et sanitaires, etc.) qui, non seulement freinent les échanges commerciaux, mais en augmentent également le coût.
La sortie du Royaume-Uni du marché commun a cependant rendu possible la négociation de nouveaux accords commerciaux entre le Royaume-Uni et les pays hors UE[6], ce qui pourrait contrebalancer à terme la sortie du marché unique et renforcer les relations commerciales non européennes.
Une diminution des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’UE est déjà clairement perceptible depuis l’entrée en vigueur de l’ACC, diminution que l’on peut imputer au moins en partie à l’ACC, même si le contexte économique difficile (crise sanitaire, conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie) peut jouer également.
Avant la mise en place de l’ACC, l’impact du Brexit sur le commerce extérieur était difficile à déterminer mais les effets sur l’investissement sont bien perceptibles
Depuis le début des années 2000, les échanges commerciaux du Royaume-Uni ont été principalement tournés vers l’UE. Toutefois, l’écart entre les échanges avec les partenaires européens et non européens avait tendance à se réduire depuis les années 2010, jusqu’à s’inverser en 2021.
Du point de vue du solde extérieur, c’est-à-dire les exportations moins les importations de biens et services, la situation du Royaume-Uni vis-à-vis de l’UE, d’une part, et vis-à-vis des pays hors UE, d’autre part, a largement évolué (graphique 1). D’un côté, le solde extérieur avec les pays membres de l’UE était largement déficitaire et tendait à se creuser depuis les années 2000 ; les exportations de services ne suffisaient pas à compenser les fortes importations de biens. De l’autre côté, le solde extérieur vis-à-vis des pays hors UE était excédentaire, avec une dynamique nettement à la hausse. En effet, les exportations, principalement de services, contrebalançaient aisément les importations de biens.
Le vote en faveur du Brexit en 2016 a constitué un choc politique et économique majeur (cf. encadré 1). Face aux nombreuses incertitudes portant alors sur les négociations à venir, le Royaume-Uni a connu, de 2016 à 2019, une baisse de l’investissement privé d’environ 11%[7].
Cette diminution, importante, a toutefois mis plus de temps à se matérialiser que ce qui avait été anticipé à l’annonce du résultat du référendum, ce qui suggère que l’ampleur et la persistance des incertitudes ont pu retarder les choix d’investissement des entreprises. L’incertitude élevée et l’anticipation de futures barrières douanières et non douanières ont conduit, en revanche, à une augmentation du nombre d’investissements directs étrangers (IDE) du Royaume-Uni vers l’UE d’environ 17% (ce qui équivaut environ à GBP 21,2 mds)[8]. À l’inverse, les IDE des pays membres de l’UE vers le Royaume-Uni ont diminué de 9% (GBP 13,1 mds).
Du côté du commerce extérieur britannique, le référendum a eu un effet en apparence limité jusqu’à la mise en place effective du Brexit en 2020-2021[9].
Le déficit extérieur avec les pays de l’UE a légèrement diminué pour s’établir en dessous des GBP 20 milliards, alors que l’excédent vis-à-vis des pays hors UE a nettement chuté, en dessous des GBP 10 milliards. Face aux incertitudes des termes de l’accord de sortie de l’UE, les importations en provenance de l’UE se sont contractées plus fortement que les exportations à destination du continent, ce qui explique la réduction du déséquilibre du solde extérieur.
Durant les négociations sur la sortie du marché unique (2020), la balance des biens et services a réduit son déficit qui a atteint un niveau faible, une évolution difficilement interprétable par rapport au Brexit compte tenu de la crise sanitaire concomitante et des perturbations induites du commerce mondial. La pandémie de Covid-19 et les mesures de restriction prises au niveau du Royaume-Uni expliquent en grande partie cette amélioration en trompe-l’œil du solde extérieur : les importations de biens ont diminué plus fortement que les exportations de services. Fin 2020, l’approche de la sortie effective du marché unique a toutefois renforcé les inquiétudes d’une sortie du marché unique sans accord[10]. Dans ce contexte, les entreprises ont stocké massivement, entraînant une forte hausse des importations, principalement européennes (mais également non-européennes), au T4 2020[11].
Depuis l’ACC, les échanges entre le Royaume-Uni et l’Union européenne se sont plus nettement contractés
La sortie effective du Royaume-Uni du marché unique (2021) a provoqué un choc plus net sur les échanges commerciaux avec les pays de l’UE. La sortie de l’union douanière européenne s’est accompagnée de la mise en place de barrières non tarifaires, comme des contrôles sanitaires et phytosanitaires, ou encore de vérifications de provenance et de destination. Bien que les douanes britanniques n’appliquent pas encore l’ensemble des contrôles prévus par l’ACC (contrairement aux douanes européennes), la mise en place de ces barrières a réduit déjà considérablement les échanges commerciaux (allongement des délais de livraison, augmentation du coût, etc.).
Au niveau du solde extérieur (échanges de biens et services), l’ACC a entraîné une baisse des échanges avec les pays membres de l’UE au profit d’autres pays. Dans l’ensemble, les exportations de biens et de services ont nettement reculé par rapport à leur niveau d’avant-Brexit en 2018[12]. Les exportations de biens, à destination de l’UE comme hors UE, étaient en 2021 inférieures de 8,3% à leur niveau pré-Brexit (graphique 3).
Selon l’INSEE[13], la chute est plus marquée pour les exportations de biens en valeur vers l’UE (-14,3% entre 2018 et 2021) que vers les pays hors de l’UE (-9,8%). Cette baisse importante des exportations britanniques de biens vers l’UE s’explique principalement par le choc de la crise sanitaire, mais elle peut également être mise sur le compte de l’entrée en vigueur de l’ACC. Alors que les exportations de biens des principaux pays de la zone euro ont rebondi en 2021, les exportations britanniques ont, en effet, continué de baisser. Selon une étude récente de la London School of Economics, ce déclin des exportations de biens vers l’UE pourrait n’être que temporaire[14], sauf pour certains produits confrontés à des barrières non douanières particulièrement importantes.
Du côté des échanges de services (graphique 4), les conséquences du Brexit sont moins lourdes que pour les biens mais elles n’en restent pas moins significatives. Les exportations vers les pays hors UE continuent de progresser tandis que celles vers les pays de l’UE baissent nettement. Ce recul s’explique en partie par le transfert d’activité du Royaume-Uni vers l’UE, notamment dans les secteurs de la finance et des services aux entreprises.
Les conséquences de l’ACC sur les échanges commerciaux avec l’UE sont encore plus importantes du côté des importations britanniques. La contraction des importations de biens et services en provenance de l’UE est particulièrement forte (-19,8% entre 2018 et 2021) alors que les importations hors UE progressent (+10,9%). Selon une étude contrefactuelle, l’introduction de l’ACC aurait réduit les importations britanniques en provenance de l’UE de 25% en 2021 par rapport aux importations britanniques en provenance de pays hors UE[15]. Toujours selon l’INSEE, les importations de biens provenant de l’UE ont nettement chuté (-18,4% par rapport à 2018) au profit de celles en provenance des pays hors UE (+6,3%). Du côté des services, le report des importations vers les pays hors UE est également perceptible. Les importations de services en provenance des pays hors UE ont augmenté au point de presque retrouver, au T4 2021, leur niveau d’avant crise (T4 2019). En revanche, les importations de services provenant de l’UE ne parviennent pas à se redresser depuis la crise du Covid-19 et restent nettement en dessous de leur niveau pré-Brexit.
Le recul moindre des exportations relativement à celui des importations peut s’expliquer par un effet de change, à la faveur de la dépréciation de la livre sterling, qui a suivi le référendum. Le National Institute of Economic and Social Research (NIESR) souligne que cette dépréciation a également rendu le Royaume-Uni plus compétitif sur le plan des exportations, tout en réduisant la demande intérieure à cause de l’augmentation du coût des importations[16].
Derrière la baisse générale des échanges avec l’UE, les échanges bilatéraux entre le Royaume-Uni et les différents partenaires européens n’ont pas évolué dans les mêmes proportions. Les importations de biens provenant d’Allemagne et de France ont connu les plus fortes baisses, respectivement -18,6% et -14,1% entre 2018 et 2021 (contre -10,7% en moyenne pour l’ensemble de l’UE). Dans l’autre sens, les exportations britanniques à destination de la France ont moins reculé (-13,5%) que celles à destination du reste de l’UE (-25,2%).
En définitive, l’entrée en vigueur de l’ACC a entraîné un choc négatif important sur les échanges commerciaux du Royaume-Uni avec l’UE, notamment de biens. La mise en place de barrières non douanières avec son premier partenaire commercial a également provoqué une hausse du coût des importations et une baisse de la croissance britannique, effective comme potentielle.
Si Boris Johnson et Liz Truss avaient annoncé leur volonté de renégocier l’ACC (ou de le dénoncer en cas de refus de l’UE) lorsqu’ils étaient Premier ministre, le sujet reste sur la table pour le nouveau, Rishi Sunak. Ce dernier décidera-t-il de rouvrir les discussions sur l’ACC et le Protocole nord-irlandais (cf. encadré 2)? Quelles nouvelles mesures commerciales, industrielles et budgétaires pourraient être mises en place pour atténuer les impacts du Brexit sur l’économie ? En somme, le Brexit est loin d’être fini.