Edito

Décalages longs et variables dans la transmission de la politique monétaire : le cas de la zone euro

28/02/2023
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La politique monétaire influence l’économie avec des décalages variables et longs. Ces décalages devraient être pris en compte lors de l’évaluation des effets des hausses de taux écoulées sur l’inflation et ses facteurs. Les enquêtes sur les prêts bancaires peuvent constituer un indicateur avancé. Historiquement, le resserrement des conditions d’octroi de crédit et la faible demande de crédit escomptée ont précédé une croissance plus lente des investissements des entreprises et de l’investissent des ménages dans le logement. Cependant, la relation entre la demande de crédit et les facteurs d’offre et la consommation des ménages est très faible. Compte tenu des conditions d’octroi des crédit actuellement relativement strictes et de la faible demande de crédit attendue, un impact négatif sur les investissements des entreprises et des ménages dans le logement au cours des prochains trimestres est à prévoir.

La politique monétaire influe sur la demande et l’activité à travers différents canaux de transmission : le niveau des taux d’intérêt (qui a une incidence sur la demande de crédit), le canal du crédit bancaire (disponibilité du crédit et conditions appliquées), le canal du bilan (côté emprunteur, via la valeur des actifs acceptés en collatéral?; côté prêteur, via l’impact des coûts de financement), le canal de la prise de risque (via l’évolution des cours des actifs financiers, et son impact sur le financement basé sur les marchés financiers, et via l’évolution du sentiment des emprunteurs, des investisseurs et des banques à l’égard du risque), ainsi que le canal du taux de change. Compte tenu de la diversité des mécanismes de transmission, les effets des changements des taux directeurs ne se matérialisent qu’au bout de délais longs et variables. D’où la question qui se pose aux banques centrales : lorsque l’inflation est élevée et que plusieurs relèvements des taux ont déjà eu lieu, combien faudra-t-il de hausses supplémentaires pour ramener l’inflation sous contrôle sans risquer un resserrement excessif ou «?overkill?»?? À l’évidence, la réponse est également cruciale pour les décisions des ménages, des entreprises et des investisseurs.
La surveillance de l’inflation — objectif final des banques centrales — ou des conditions de la demande et de l’offre de l’économie — qui agissent sur l’évolution des prix —, doit tenir compte des délais de la transmission monétaire. Lorsque les relèvements de taux antérieurs n’ont eu qu’un impact limité sur l’inflation et ses facteurs, cela peut être dû à une efficacité limitée de la politique monétaire ou au fait que leurs effets ne se sont pas encore matérialisés en raison de délais longs et variables. À cet égard, les enquêtes sur le crédit bancaire peuvent fournir des informations utiles et faire office d’indicateur avancé : on peut s’attendre à un durcissement des critères d’octroi de prêts par les établissements bancaires en réaction au relèvement des taux par la banque centrale.

Critères d’octroi de prêts Demande de crédit

Les établissements de crédit sont aussi idéalement placés pour informer sur la réaction de leurs clients à la hausse des taux d’intérêt. Ces facteurs liés à l’offre et à la demande influeront probablement sur le volume des nouveaux prêts et, par conséquent, sur la croissance économique. Cela devrait, en particulier, être le cas dans la zone euro, compte tenu de l’importance du secteur bancaire dans le financement de l’économie européenne. Les graphiques 1 à 6 permettent d’explorer cette question en montrant la relation entre, d’une part, la demande de crédit attendue par les banques au prochain trimestre ainsi que les critères d’octroi de prêts qu’elles envisagent d’appliquer — dans les deux cas d’après l’enquête de la BCE sur le crédit bancaire — et, d’autre part, la croissance moyenne du volume des investissements des entreprises et des ménages ainsi que le volume de la consommation des ménages au cours des quatre prochains trimestres1. Le tableau 1 présente également le coefficient de régression et le coefficient de détermination R² pour des périodes plus longues en termes de croissance du crédit. Les conclusions que l’on peut tirer sont les suivantes : premièrement, comme on pouvait s’y attendre, le durcissement des critères d’octroi a tendance à être suivi d’un ralentissement de la croissance des investissements des entreprises et des investissements des ménages dans le logement. Cependant, la relation avec la consommation des ménages est très ténue. Deuxièmement, comme on pouvait également s’y attendre, lorsque les banques tablent sur une demande de crédit faible (forte), la croissance ultérieure des investissements des entreprises et des investissements des ménages dans le logement a tendance à être faible (forte). La relation avec la consommation des ménages est, dans ce cas également, très ténue. Troisièmement, on observe la relation la plus forte entre les critères d’octroi de prêts et les investissements des entreprises sur une période de six trimestres, mais même sur huit trimestres, le R² reste relativement élevé par rapport à ceux de l’investissement dans le logement et de la consommation. Quatrièmement, la corrélation entre la demande de crédit attendue et les investissements des entreprises est bonne sur quatre et six trimestres, mais beaucoup moins sur une période de huit trimestres. Cinquièmement, l’investissement dans le logement est davantage corrélé à la demande de crédit qu’aux critères d’octroi de prêts. Dans les deux cas, la corrélation est très faible pour une période de huit trimestres. Enfin, la corrélation entre les critères d’octroi de prêts, la demande de crédit attendue et la croissance de la consommation est faible pour les différents horizons. Cela tient probablement au rôle limité du crédit bancaire dans le financement de la consommation des ménages, par rapport au revenu de ces derniers.

Sur chaque graphique, la ligne verticale indique les résultats de la dernière enquête (1er trimestre 2023). De manière générale, les critères d’octroi de prêts sont déjà plus restrictifs et la demande de crédit attendue plutôt faible, mais sans atteindre, dans les deux cas, les extrêmes historiques. Quoi qu’il en soit, au vu de l’analyse de la corrélation sur plusieurs périodes, il faut s’attendre à un effet négatif sur l’investissement des entreprises et l’investissement des ménages dans le logement au cours des prochains trimestres, même en l’absence de nouvelle détérioration des données d’enquête sur le crédit. Avec le temps, l’impact des relèvements de taux par la BCE devrait être de plus en plus visible.

1 Les résultats de l’enquête sur le crédit bancaire sont présentés sous forme d’un indice de diffusion : le pourcentage net de banques appliquant des critères plus restrictifs ou encore le pourcentage net de banques s’attendant à une forte demande de crédit. Un chiffre négatif dans ce dernier cas signifie que les banques s’attendant à un ralentissement de la demande de crédit sont plus nombreuses que celles s’attendant à un accroissement de cette demande.

Zone euro : variation nette de la demande de crédit des entreprises au prochain trimestre

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