Eco Conjoncture

Fragilisée par la pandémie mais suffisamment solide pour faire face aux nouveaux chocs

19/06/2022
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Le pays sort fragilisé de l’épidémie de Covid-19. Deux ans après la crise, le PIB indonésien a retrouvé son niveau de 2019. Néanmoins, le marché du travail demeure fragile, les ménages se sont appauvris et les investissements restent modestes. Selon la Banque mondiale, l’épidémie va coûter 0,1 point de croissance potentielle au pays en raison de ses conséquences durables sur l’éducation et le marché de l’emploi. Aujourd’hui, le pays doit faire face à un nouvel environnement économique extérieur complexe avec la hausse des prix des matières premières induite par le conflit en Ukraine et les sanctions prises à l’encontre de la Russie. Même si le conflit en Ukraine ne sera pas sans conséquence sur la croissance, les comptes extérieurs devraient rester solides et la hausse des prix contenue. En effet, exportateur net de matières premières, le pays devrait bénéficier de la hausse des prix des produits exportés. Par ailleurs, pour limiter l’impact de la hausse des prix internationaux sur les prix domestiques, le gouvernement a d’ores et déjà augmenté les subventions sur les prix de l’énergie et maintient le contrôle sur les prix de l’essence.

L’économie indonésienne au sortir de la crise de la Covid-19

Perte durable de croissance induite par l’épidémie

PIB ET PIB PAR TÊTE

L’économie indonésienne n’a pas été épargnée par la crise de la Covid-19. Pour la première fois depuis 1998, elle a enregistré une récession en 2020 (-2,1%). L’ampleur du recul économique a toutefois été sans commune mesure avec celui enregistré au moment de la crise asiatique (-13,1%). Par ailleurs, la contraction économique a été moins forte que dans les autres pays d’Asie du Sud-Est comme les Philippines (-9,6%), la Thaïlande (-6,2%) et la Malaisie (-5,6%). En 2021, le rebond de l’économie, bien que modeste (+3,7%), a toutefois permis au PIB (à prix constants) de retrouver, et même de dépasser, son niveau d’avant la crise de la Covid-19 (+1,5%).

Néanmoins, fin 2021, le PIB par tête était encore inférieur de 0,4% au niveau de 2019. De plus, on estime que sans le choc induit par l’épidémie, le PIB aurait été supérieur de 11% à ce qu’il a été fin 2019. Par ailleurs, bien que le gouvernement ait adopté d’importantes mesures de soutien à la population, la crise de la Covid-19 a fait augmenter le taux de pauvreté[1] (de 9,2% en 2019 à 10,2% en septembre 2020, ramené à 9,7% en septembre 2021 selon l’institut national de la statistique). La Banque mondiale estime par ailleurs que la crise a généré une baisse de la croissance potentielle de 0,1 point de pourcentage. Les conséquences de l’épidémie en termes d’éducation, d’accès au marché de l’emploi et, dans une moindre mesure, d’accumulation du capital, ne sont pas négligeables et vont perdurer.

Le marché du travail, structurellement fragile, reste moins dynamique qu’avant la crise

MARCHÉ DU TRAVAIL ET PAUVRETÉ

Le marché du travail en Indonésie est structurellement fragile. Le faible taux de participation des femmes, le niveau d’éducation relativement bas et la part élevée du travail informel sont des contraintes importantes pour l’économie, et notamment pour le développement de secteurs à forte valeur ajoutée qui nécessitent une main d’œuvre qualifiée. En outre, ces fragilités se sont accentuées pendant l’épidémie de la Covid-19 et le marché du travail n’est pas encore revenu à son niveau d’avant-crise. Le taux de chômage a diminué de 7,1% mi-2020 à 5,8% en février 2022 mais il reste supérieur de 0,9 point au niveau d’avant-crise et atteint plus de 17% chez les jeunes (vs. 13,4% en 2019).

La part de l’emploi informel, en hausse pendant l’épidémie, reste supérieure à son niveau précédant la pandémie. Elle s’élevait à 59,5% en 2021, selon la dernière enquête sur le marché du travail publié par l’institut national de la statistique (BPS), soit +3,6 points par rapport à 2019). Par ailleurs, les disparités par sexe, niveau d’éducation et zone géographique restent extrêmement élevées. Près de 94% des actifs sans aucune formation scolaire travaillent dans le secteur informel.

L’emploi des femmes reste modeste (leur taux d’emploi[2] n’était que de 51,6% en 2021 alors que celui des hommes était de 77,8% selon l’Organisation internationale du Travail) et elles occupent à près de 64% un emploi dans le secteur informel selon le BPS.

La fermeture des écoles (estimée en moyenne à 18 mois, voire 2 ans, selon les provinces) aurait selon l’OIT entraîné une perte de 0,9 à 1,2 année d’éducation effective (« learning adjusted years of schools »). Structurellement, le niveau d’éducation des jeunes Indonésiens est faible, légèrement inférieur à celui de la fin du secondaire. La baisse du niveau d’éducation induite par l’épidémie va peser sur la productivité des nouveaux entrants sur le marché du travail mais aussi sur leurs revenus. Selon la Banque mondiale, la baisse du niveau réel de qualifications pourrait entraîner un manque à gagner compris entre 7 à 10% sur la durée de vie professionnelle des étudiants confrontés à la crise.

Par ailleurs, la part des jeunes (15-24 ans) qui ne sont ni en activité professionnelle, ni en formation, était encore structurellement élevée (22,4% selon le BPS) et supérieure de 0,7 point au niveau d’avant-crise en 2021. De plus, les jeunes qui trouvent aujourd’hui un travail gagnent en moyenne 19% de moins qu’auparavant.

Le taux d’investissement toujours en recul

INVESTISSEMENTS

L’épidémie de la Covid-19 a aussi pesé sur l’investissement déjà structurellement faible. En 2021, le taux d’investissement n’était que de 31,5% du PIB alors qu’il s’établissait à 33,8% du PIB avant la crise. Selon le FMI, ce taux ne devrait pas augmenter avant 2023 et ne retrouverait pas les niveaux enregistrés sur la période 2015-2019 (34% du PIB). Les taux d’utilisation des capacités de production restent bas (au T1-2022, il était de seulement 73,1% alors qu’il s’établissait en moyenne à 76% sur la période 2015-2019). De plus, les conditions monétaires et financières (hausse des coûts de production, des pressions inflationnistes et des taux d’intérêt) sont plutôt de nature à freiner les investissements des entreprises indonésiennes.

En outre, plus de 74,5% des investissements sont concentrés dans les logements et les infrastructures. Les investissements en machines et biens d’équipement restent modestes (10,7% du total).

Un secteur bancaire solide mais des entreprises domestiques fragilisées

Fin 2021, la situation économique et financière des entreprises était globalement satisfaisante et le secteur bancaire était suffisamment solide pour soutenir l’économie indonésienne.

Des entreprises globalement plus solides fin 2021 qu’à la veille de la pandémie

La situation financière des entreprises s’est globalement améliorée en 2021. À la fin de l’année, elle était même plus confortable qu’à la veille de la pandémie, hormis dans certains secteurs fortement fragilisés par les confinements successifs comme la construction ou les activités de services. Ces secteurs seront, en outre, les plus affectés par la hausse des prix des matières premières.

Les ratios de levier des entreprises (dette rapportée aux capitaux propres) restent dégradés par rapport à leurs niveaux de fin 2019 (ils étaient en moyenne de 69,9% fin 2021 contre 65% fin 2019). Toutefois, les entreprises sont aujourd’hui plus en capacité de faire face à leurs engagements à court terme qu’elles ne l’étaient fin 2019. Les ratios de liquidité (actifs liquides rapportés aux besoins de financement à court terme de l’entreprises) se sont consolidés (ils s’élevaient en moyenne à 1,4 fin 2021) et les bénéfices avant impôts couvraient en moyenne 2,3 fois les paiements des intérêts fin 2021 (contre 2,2 en 2019).

En revanche, il existe une grande disparité entre entreprises exportatrices et celles dont l’activité est essentiellement tournée vers le marché domestique. Selon le dernier rapport de la banque centrale, le ratio de dette rapportée aux capitaux propres et le ratio de liquidité s’élèvent respectivement à 84,3% et 1,3 pour les entreprises non exportatrices, contre 62,8% et 1,4 pour les entreprises exportatrices. Ainsi, dans le secteurs des services et le commerce, les bénéfices avant impôts suffisent à couvrir le paiement des intérêts (les ratios étaient fin 2021 de seulement 0,89 et 0,95 dans ces deux secteurs d’activité). En outre, les entreprises des services seront plus affectées par la hausse des prix des cours des matières premières que les entreprises exportatrices qui vont, à l’inverse, en bénéficier.

Rapportée au PIB, la dette extérieure des entreprises non bancaires est modérée même si elle a légèrement baissé depuis fin 2019. Elle s’élevait à seulement 14,2% du PIB au T1 2022 (soit 0,6 point de moins que fin 2019). Cependant, là encore, le risque est principalement concentré sur les entreprises domestiques endettées en devises dont l’activité ne leur assure aucune couverture « naturelle » contre le risque de change.

DETTE DES ENTREPRISES
COUVERTURE DES INTÉRÊTS PAR LES BÉNÉFICES AVANT IMPÔTS

Le secteur bancaire reste solide

Le secteur bancaire et financier indonésien a bien résisté à la crise induite par l’épidémie de Covid-19. Même si officiellement, une légère dégradation a été enregistrée par rapport à la situation qui prévalait fin 2019, la qualité des actifs est restée satisfaisante et les ratios de solvabilité se sont maintenus à des niveaux confortables.

Globalement, le ratio de créances douteuses s’est élevé à seulement 3,1% en février 2022, soit seulement 0,6 point de plus qu’avant la Covid-19. Néanmoins, les banques ne sont pas obligées de reporter les retards de paiement de leurs clients avant 2023. Par ailleurs, il existe une grande disparité selon les secteurs d’activité.

Les créances douteuses sont supérieures à la moyenne du secteur bancaire dans son ensemble dans quatre secteurs : l’industrie manufacturière (5,2%), le secteur minier (5,4% en février), le commerce de gros et de détail (4,1%) et l’hôtellerie-restauration (6,3%).

CRÉANCES DOUTEUSES PAR SECTEUR D’ACTIVITÉ (%)

Les ratios de solvabilité restent élevés et sont suffisamment confortables pour absorber les pertes potentielles. Le Capital Adequacy Ratio était de 26% en février 2022. La profitabilité des banques a globalement sensiblement diminué (ROA et ROE étaient de respectivement 1,8% et 9% fin 2021) mais elle reste supérieure à celle des banques thaïlandaises et malaises, comme c’était déjà le cas fin 2019. Le secteur bancaire indonésien est donc suffisamment solide pour financer les besoins de l’économie et faire face au choc induit par le conflit en Ukraine. En revanche, pour contrecarrer la faiblesse structurelle des investissements, le gouvernement doit poursuivre les réformes. C’est notamment ce qu’il a tenté de faire pendant la pandémie. Pour autant, leur application reste difficile.

INDICATEURS DU SECTEUR BANCAIRE

D’importantes réformes ont été adoptées pendant la pandémie mais leur application reste délicate

À l’automne 2020 le gouvernement a adopté d’importantes réformes structurelles Cet ensemble de lois, appelé « Omnibus Law », visait à lever les contraintes structurelles qui pèsent sur l’économie indonésienne, en particulier le marché du travail. L’objectif était d’assouplir les contraintes bureaucratiques, les rigidités sur le marché du travail et les réglementations multiples et contradictoires qui entravaient les créations d’emplois et les investissements, notamment dans le secteur formel et pesaient in fine sur la compétitivité.

Mais en novembre 2021, la Cour constitutionnelle indonésienne a déclaré que la loi Omnibus n'avait pas fait l'objet d'une délibération et n'avait pas été ratifiée conformément au processus législatif officiel. Toutefois, sur le fond la loi n'est pas entachée d'inconstitutionnalité. La Cour constitutionnelle a fixé un délai de deux ans aux législateurs pour la présenter de nouveau dans le cadre d’un processus législatif conforme à la Constitution en vigueur. Si les changements requis par la Cour ne sont pas adoptés avant fin novembre 2023, la loi sera alors jugée inconstitutionnelle.

La Cour constitutionnelle a ordonné au gouvernement de retarder la mise en œuvre de toute nouvelle politique relative à la loi sur la création d'emplois qui aurait un impact important. Par ailleurs, le gouvernement ne peut plus émettre de nouvelles réglementations pour faciliter la mise en place de zones économiques spéciales, la réouverture de nouveaux secteurs d'investissement et l'attractivité pour les investisseurs étrangers. Toutefois, les décisions de la Cour constitutionnelle n'ont pas d'effet rétroactif. Cela signifie que les décisions prises par le gouvernement ou, en l'occurrence, les entreprises, depuis l'adoption de la loi ou des règlements et avant novembre 2021, seront maintenues. La suspension de cette loi va peser sur les investissements, les créations d’emplois et la croissance à moyen terme.

Finances publiques mises à mal

Les marges de manœuvre du gouvernement indonésien pour soutenir la croissance et accroître ses dépenses de développement sont limitées. Même si la dette publique reste relativement modeste, la base fiscale est structurellement faible et le poids des dépenses « rigides » (paiement des intérêts, subventions, masse salariale des agents de l’Etat) a augmenté conjointement à la charge de la dette. Par ailleurs, le gouvernement reste structurellement dépendant des investisseurs étrangers pour financer son déficit, ce qui contraint sa stratégie, en particulier en période de forte volatilité sur les marchés financiers

Les finances publiques indonésiennes ont été fragilisées par la crise. En 2020, le déficit budgétaire du gouvernement central s’est élevé à 6,1% du PIB alors qu’il atteignait en moyenne seulement 2,3% du PIB sur la période 2015-2019. Dans le même temps, a dette a atteint 38,6% du PIB, soit près de 9 points de plus qu’en 2019.

En 2021, les finances publiques se sont consolidées. Elles sont toutefois plus fragiles qu’avant l’épidémie de la Covid-19. Par ailleurs, la politique de soutien à l’économie dans le contexte du conflit en Ukraine va ralentir la consolidation des finances.

Une faible base fiscale

Les marges de manœuvre budgétaires du gouvernement sont contraintes par sa faible base fiscale. En 2021, les recettes, bien qu’en hausse par rapport à 2020, sont restées contenues à seulement 11,8% du PIB (vs. 12,7% du PIB sur la période 2015-2019). Pour accroître les recettes budgétaires, le gouvernement a adopté une nouvelle réforme fiscale en octobre 2021 (« Tax regulation Harmonization Law »). Dans ce cadre, le taux de TVA a été augmenté de 1 point le 1er avril 2022 (passant à 11%) et il sera porté à 12% en 2025.

FINANCES PUBLIQUES

Les biens et services exemptés de TVA seront également fortement réduits. Le projet de loi de finances prévoit aussi d’introduire un nouveau taux d’imposition de 35% sur les très hauts revenus (supérieurs à IDR 5 mds par an), d’inclure les avantages sociaux reçus dans l’assiette fiscale, d’annuler la baisse de l’impôt sur les sociétés de 22% à 20%, d’élargir la taxe d’accise sur les produits en plastique, d’introduire une taxe carbone et enfin de réintroduire une amnistie fiscale, comme en 2016, pour inciter à déclarer des actifs non déclarés, avec des taux d’imposition de 6% à 18% de leur valeur. D’un autre côté, le gouvernement a relevé le plancher d’imposition des bas revenus de IDR 50 millions à IDR 60 millions.

Au total, le gouvernement espère augmenter ses recettes de près de 1 point de PIB en 2022. Elles resteront toutefois bien inférieures au niveau qui prévaut dans les autres pays de la zone (16,1% du PIB en Malaisie sur les cinq dernières années).

STRUCTURE DES DÉPENSES PUBLIQUES

Une forte hausse de la charge d’intérêt

En 2021, la part des dépenses rigides dans le total des dépenses du gouvernement est restée modeste (5,8%), grâce, notamment, à la stratégie adoptée en 2014 de réduction drastique des subventions. En revanche, la charge d’intérêts sur la dette a progressivement augmenté depuis 2013-2014. Alors qu’elle s’élevait à seulement 1,2% du PIB en 2013, elle a atteint 2% du PIB en 2021, soit l’équivalent de 17,2% des recettes budgétaires (contre seulement 7,9% en 2013). La charge d’intérêts constitue donc une nouvelle source de rigidité qui réduit d’autant la marge de manœuvre du gouvernement pour faire face à un nouveau choc.

En outre, alors même que la banque centrale indonésienne a maintenu une politique accommodante, le durcissement de la politique monétaire américaine et la hausse des pressions inflationnistes ont généré une augmentation des rendements sur les obligations du gouvernement indonésien. Au cours des douze derniers mois, les taux à 10 ans ont augmenté de 75 points de base pour s’élever à 7,3% au 31 mai 2022.

Vers un arrêt du financement par la banque centrale

Depuis 2020, la banque centrale indonésienne (Bank of Indonesia, BI) a financé une grande partie des émissions de dette du gouvernement dans le cadre d’importants programmes d’achats d’actifs sur le marché primaire, comme ce fut le cas en Inde. En 2020 et 2021, la banque centrale a ainsi acheté l’équivalent de 3,7% et 1,3% du PIB, respectivement. Pour autant, fin 2021, la dette détenue par les investisseurs étrangers représentait encore 30,1% de la dette totale contre 37,9% à la veille de la crise de la Covid-19. En 2022, la Bank of Indonesia devrait acheter un montant relativement similaire à celui de 2021 (IDR 224trn, soit 1,2% du PIB).

DETTE DU GOUVERNEMENT

Ces achats permettent à l’État de contenir le coût de financement. Néanmoins, ces achats de dette par la banque centrale devraient s’arrêter en 2023. À cette date, le gouvernement devra non seulement réduire son déficit sous le seuil de 3% du PIB mais aussi le financer sans faire appel à la banque centrale. Il redeviendra dépendant des investisseurs étrangers, ce qui entraînera une hausse de ses coûts de financement et réduira d’autant ses marges de manœuvre pour soutenir son développement. D’ici-là, le gouvernement doit faire face à un nouveau choc : celui du conflit en Ukraine et de la hausse des prix des matières premières.

Conséquences limitées du conflit en Ukraine

L’impact direct du conflit en Ukraine sur l’économie de l’Indonésie sera faible car les relations commerciales avec l’Ukraine et la Russie sont limitées. En revanche, la hausse des prix des matières premières se répercutera directement sur la balance commerciale et indirectement sur l’inflation, à moins que le gouvernement ne décide de subventionner les produits importés.

Ces effets dépendent de deux facteurs : la durée de l’interdiction d’exporter de l’huile de palme (en vigueur depuis le 28 avril 2022) et l’adoption de mesures budgétaires pour contenir l’inflation importée. Jusqu’à présent, le gouvernement a choisi de soutenir son économie, au risque de ralentir la consolidation budgétaire en cours.

Comptes extérieurs : impact globalement positif si l’interdiction d’exporter de l’huile de palme est levée rapidement

La guerre en Ukraine et les sanctions à l’égard de la Russie n’affecteront pas directement les échanges commerciaux de l’Indonésie. En 2021, ses importations en provenance de ces pays constituaient respectivement seulement 0,5% et 0,6% de ses importations totales. De même, ses exportations à destination de ces deux pays étaient extrêmement modestes (0,2% et 0,6% des exportations étaient vers l’Ukraine et la Russie en 2021).

En revanche, d’un côté, le pays importe des céréales et du pétrole (dont la moyenne des prix sur les cinq premiers mois de l’année est supérieure de 25,4 et 65,7 % par rapport à 2021), de l’autre il exporte de l’huile de palme et du charbon.

PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES

La hausse des prix des céréales aura un impact modeste sur la balance commerciale car les importations de céréales sont faibles au regard du total des importations (2%). Toutefois, le pays importe la totalité de sa consommation de blé. En outre, 23% de ses importations proviennent d’Ukraine (l’Australie étant son premier fournisseur). Le pays va donc devoir trouver un autre fournisseur pour substituer ses importations d’Ukraine.

La hausse des prix des céréales aura un impact modeste sur la balance commerciale car les importations de céréales sont faibles au regard du total des importations (2%). Toutefois, le pays importe la totalité de sa consommation de blé. En outre, 23% de ses importations proviennent d’Ukraine (l’Australie étant son premier fournisseur). Le pays va donc devoir trouver un autre fournisseur pour substituer ses importations d’Ukraine.

Par ailleurs, l’envolée des prix du pétrole va détériorer sensiblement la balance commerciale car les importations nettes de pétrole et de produits pétroliers ont représenté en 2021 14,7% des importations totales. Une hausse des prix du pétrole de 10% pourrait avoir un impact négatif de 0,1 point sur le solde courant. En supposant que le prix du pétrole s’élève en moyenne à USD100 le baril sur l’année 2022 (+41% par rapport à la moyenne enregistrée en 2021), le solde courant se dégraderait donc de 0,4 point de PIB.

Dans le même temps, le pays devrait bénéficier de la hausse des prix des produits exportés, et en particulier ceux de l’huile de palme et du charbon, lesquels constituaient chacun 11,6% de ses exportations en 2021 (soit 2,2% du PIB pour chaque produit exporté). Selon les prévisions du FMI publiées dans le WEO en avril 2022, les prix du charbon et de l’huile de palme augmenteraient de 179% et 35% sur l’année 2022, ce qui générerait un effet comptable positif sur le compte courant de 2,2 points de PIB.

BALANCE DES PAIEMENTS COURANTS

Au total, en dépit de la hausse des prix du pétrole, la balance des paiements courants de l’Indonésie pourrait afficher un excédent pour l’année 2022 si les prix des produits qu’elle exporte se maintiennent, comme cela semble se profiler, à des niveaux élevés. Sur les quatre premiers mois de l’année 2022, le pays a déjà enregistré un surplus commercial record de près de USD17 mds (l’équivalent de 4% du PIB annualisé). Même si les importations ont sensiblement accéléré par rapport à la même période en 2019 (l’année 2020 étant biaisée par l’épidémie de la Covid-19), l’augmentation des exportations a été encore plus marquée, car favorisée par la très forte hausse des prix de l’huile de palme et du charbon.

Encore faut-il que le gouvernement lève l’interdiction d’exporter de l’huile de palme, effective depuis le 28 avril 2022. Cette mesure, adoptée afin de limiter la hausse des prix des huiles de cuisson sur le marché domestique, devrait être levée dès lors que le prix domestique de l’huile de cuisson sera ramené à 14 000 IDR (vs. 19700 IDR fin avril). Le manque à gagner induit par la suspension des exportations d’huile de palme est estimé à 0,2% du PIB chaque mois.

L’association indonésienne GAPKI estime que les stocks d’huile de palme seront entièrement reconstitués fin mai (la consommation domestique ne représente que 40% de la production totale). L’interdiction d’exporter de l’huile de palme pourrait ainsi être limitée à un seul mois.

La hausse des prix domestiques devrait rester contenue grâce au contrôle des prix du fioul domestique

INFLATION

Sans politique de contrôle des prix, la hausse attendue des prix des matières premières alimentaires et celle de l’énergie sur l’ensemble de l’année 2022 (respectivement +14% et +88% selon les prévisions du FMI d’avril 2022) pourrait générer une augmentation de l’indice des prix à la consommation de 1 point. En effet, les prix énergétiques et les prix alimentaires constituent respectivement 12,2% et 22,4% de l’indice des prix à la consommation. Par ailleurs, leur élasticité aux prix internationaux est estimée à respectivement 0,15 et 0,2 (i.e. des hausses des prix internationaux de 1% de l’énergie et de l’alimentaire entraînent une hausse des prix domestiques de 0,15 et 0,2 respectivement).

Cependant, le gouvernement contrôle les prix domestiques du fioul, et même s’il n’existe pas de contrôle des prix alimentaires, l’interdiction d’exporter de l’huile de palme devrait permettre de contenir la hausse des prix de l’huile de cuisson domestique.

Jusqu’en avril la hausse des prix est restée globalement contenue (+3,5% en glissement annuel). Elle se situe toujours dans la cible et la fourchette fixées par les autorités monétaires (3% +/-1%). Les prix alimentaires et ceux des transports ont néanmoins enregistré une hausse de 5,3% et 4,8% respectivement en glissement annuel. La hausse des prix des transports reflète essentiellement l’augmentation des prix du GPL 12kg et 50kg (+27% en moyenne sur les quatre premiers mois de l’année 2022). Les prix des carburants les plus utilisés, autres que le GPL, sont globalement restés stables[3] (seuls les prix du Pertamax et du Pertamina Dex, peu consommés, ont augmenté de 39% et 23% respectivement). Le gouvernement a également maintenu inchangés les prix de l’électricité. Ainsi, l’inflation hors énergie et alimentaire est restée contenue à 2,6% en g.a.

Cette politique de contrôle des prix de l’essence devrait perdurer. En effet, en mai dernier, le ministère des Finances a soumis un nouveau budget au Parlement pour l’année 2022. Celui-ci intègre la hausse des subventions sur l’énergie aux ménages ainsi que les compensations financières auprès de Pertamina (qui distribue plus de 90% de l’essence dans le pays), afin de ne pas répercuter la hausse des prix internationaux sur les prix domestiques de l’essence.

Même si les prix domestiques du fioul devraient rester contenus, la hausse des prix alimentaires devrait se poursuivre au cours des prochains mois, obligeant la banque centrale à relever ses taux directeurs pour contenir les pressions inflationnistes, d’autant plus que les pressions à la baisse sur la roupie devraient être fortes compte tenu du durcissement monétaire américain.

Sur l’ensemble de l’année 2022, on estime qu’en moyenne, la hausse des prix devrait rester modeste (entre 3,5% et 4%, contre 1,6% en 2021).

Un coût budgétaire maîtrisé

Sur les quatre premiers mois de l’année 2022, le solde budgétaire a enregistré un surplus équivalant à 1,6% du PIB. Les recettes ont sensiblement augmenté (+45,9% par rapport à la même période en 2021) alors que les dépenses sont restées contenues (+3,7%), en dépit de la forte augmentation des coûts de subventions (+39%), celles sur l’énergie ayant augmenté de près de 26%.

En mai dernier, le gouvernement a révisé son budget 2022 en supposant que le prix moyen du baril de pétrole pourrait atteindre USD100 en moyenne sur l’année 2022 contre USD63 prévu initialement. Le ministère des Finances estime que le coût généré par la hausse des subventions (directes et indirectes) pour limiter la hausse des prix domestiques de l’énergie sera de IDR392 trillion, soit l’équivalent de plus de 2,2% du PIB. Cependant, cette hausse des dépenses par rapport au budget initial devrait être compensée par l’augmentation des recettes sur les taxes douanières et les hausses de dividendes générées par la hausse des prix des produits exportés. Le gouvernement prévoit en effet un surplus de revenus de IDR420 trillions.

Selon les estimations du ministère des Finances, le déficit budgétaire pourrait ainsi être contenu à 4,5% du PIB sur l’ensemble de l’année 2022 (en supposant que le prix du pétrole n’excède pas USD100 le baril en moyenne sur l’année et que la croissance du PIB s’établisse entre 4,8% et 5,5%).

À plus long terme, le gouvernement a réitéré son engagement de réduire le déficit sous le seuil légal de 3% du PIB en 2023 (le plafond légal avait été levé en raison de la pandémie).

Conclusion

En dépit d’un environnement économique international complexe dû au conflit en Ukraine, la croissance économique devrait rester robuste en 2022-2023, soutenue par le dynamisme de la demande intérieure. Le gouvernement a adopté une politique de contrôle des prix pour contenir l’impact de la hausse des prix internationaux sur les prix domestiques, limitant ainsi les conséquences pour les ménages déjà fragilisés par l’épidémie de Covid-19. La hausse des recettes budgétaires, générées par l’augmentation des prix des produits exportés, devrait permettre de contenir le déficit budgétaire malgré la hausse des subventions et l’alourdissement structurel de la charge d’intérêts.

À court terme, le principal risque pour l’économie indonésienne réside dans le financement du déficit budgétaire du gouvernement en 2023 lorsque les achats de sa dette par la banque centrale cesseront. À moyen terme, le gouvernement doit parvenir à lever les contraintes structurelles qui pèsent sur la compétitivité du pays et notamment sur le marché du travail. L’adoption de l’ omnibus law pendant la pandémie va dans le bon sens. Mais la récente décision de la Cour constitutionnelle de suspendre son application (son adoption ayant été jugée non conforme au processus législatif) illustre la difficulté de réformer le pays.

30/05/2022

[1] Le BPS définit le seuil de pauvreté à un revenu inférieur à 486 168 Rupiah par mois soit l’équivalent de 33 USD.

[2]Le taux d’emploi est défini par la part des femmes en âge de travailler qui exercent une activité ou sont à la recherche d’un emploi rapportée à la population totale des femmes en âge de travailler.

[3] Le prix du Pertalite, qui représente près de 90% de la consommation totale d’essence, est resté stable.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE