Une période de quasi-stagnation prolongée
Selon les statistiques et les indicateurs conjoncturels les plus récents, l’activité économique progresse à peine au T4 2019. La production industrielle pourrait même s’être contractée encore, le PMI manufacturier, malgré une amélioration timide, restant nettement en dessous de la barre des 50. Le secteur automobile, qui est important en Allemagne, a été particulièrement pénalisé. En octobre et novembre, la production du secteur était inférieure d’environ 20 % à celle réalisée deux ans plus tôt.
En revanche, dans la construction et les services, l’activité a plutôt bien résisté, selon les enquêtes IFO. Dans le tertiaire, l’indicateur a même augmenté en décembre pour atteindre son plus haut niveau des six derniers mois. Dans le secteur de la construction, les entreprises sont restées optimistes quant à leur situation actuelle, mais elles sont plus pessimistes quant aux perspectives des prochains mois.
Malgré la quasi-stagnation, les conditions sur le marché du travail se sont très peu dégradées. En novembre, le taux de chômage n’était que de 3,1 %, soit seulement 0,1 % de plus qu’au mois précédent. En outre, les offres d’emploi demeurent à un niveau relativement élevé. Même dans le secteur manufacturier, de nombreux employeurs déclarent encore que la pénurie de main-d’œuvre bride leur production. Néanmoins, les organisations patronales et les syndicats se sont adaptés à la dégradation du climat des affaires, les récents accords salariaux ayant été moins généreux que ceux conclus un an plus tôt. Les barèmes salariaux négociés au cours de la période août-octobre 2019 sont supérieurs de 2,4 % en glissement annuel (g.a.). Début 2019, le taux se maintenait autour de 3 %.
Pour l’instant, la hausse des coûts salariaux ne s’est pratiquement pas répercutée sur les prix à la consommation. En 2019, l’IPCH a reculé à 1,4 % en g.a., contre 1,9 % l’année précédente, la hausse des prix de l’énergie ayant ralenti à 1,3 %. En revanche, les prix des services ont augmenté de 1,6 %.
Un assouplissement budgétaire
Pendant le cycle d’expansion économique des années 2014-2018, le gouvernement a suivi le conseil de Keynes de mettre en œuvre des politiques budgétaires strictes afin de rétablir les finances publiques. Il a ainsi réussi à ramener le ratio dette/PIB à 61,2 % en 2019.
En 2020 et 2021, la politique budgétaire devrait être assouplie conformément à l’accord de coalition. Les investissements publics seront augmentés, en particulier dans les transports, les infrastructures numériques et l’enseignement. Le gouvernement entend également augmenter les dépenses visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (voir ci-après). En 2021, la part des dépenses publiques dans le PIB, à l’exclusion des paiements d’intérêts, devrait atteindre son niveau le plus élevé depuis le pic constaté au moment de la réunification.
Du côté des recettes, les impôts sur le revenu seront abaissés, notamment en raison de la suppression partielle de l’impôt de solidarité. En revanche, des recettes fiscales supplémentaires sont attendues grâce à la croissance rapide des salaires et de la progressivité du système fiscal. Par ailleurs, les taxes sur l’énergie devraient augmenter. Dans l’ensemble, la charge fiscale restera pratiquement inchangée.
Les finances publiques devraient rester excédentaires sur l’horizon de projection et le ratio dette/PIB pourrait tomber en dessous de 60 %.
L’incertitude politique s’est accrue, les membres du SPD ayant élu à la tête du parti Saskia Esken et Norbert Walter-Borjans, connus pour leur opposition à la grande coalition. Ils demandent la renégociation de l’accord de coalition. Cependant, il est peu probable que la CDU et la CSU cèdent. Le SPD fait donc face à un choix difficile. S’il veut imposer un changement de politique, cela pourrait conduire à une crise gouvernementale et à de nouvelles élections. Compte tenu de la position du SPD dans les sondages, une défaite sévère est probable, ce qui pourrait jouer en faveur d’une coalition entre la CDU/CSU et les Verts.
Des politiques plus vertes dopent l’inflation
En décembre dernier, le Parlement allemand a adopté un plan climat pour ramener les émissions de CO2 à zéro d’ici 2050 (graphique 2). Dans un premier temps, il vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 par rapport à 1990. Cependant, le gouvernement a admis que le pays n’atteindrait pas l’objectif 2020, qui ciblait une réduction de 40 % des émissions de carbone par rapport au niveau de 1990.
La principale mesure réside dans la création d’une taxe sur le CO2 pour les secteurs ne relevant pas du champ d’application du système communautaire d’échange de quotas d’émission (ETS). En 2021, la taxe devrait s’élever à 10 euros par tonne de CO2. Elle augmentera régulièrement pour atteindre 35 euros par tonne d’ici 2025. Les recettes fiscales permettront de financer des mesures de protection du climat telles que la baisse des prix de l’électricité, l’augmentation des aides aux transports et les subventions pour les projets verts.
Au niveau macroéconomique, les effets du plan devraient être limités. La taxe sur le CO2 gonflera les prix de l’énergie de 2 %, augmentant ainsi l’inflation d’environ 0,2 % en 2021. L’inflation sous-jacente ne sera pratiquement pas affectée. L’incidence sur l’activité économique sera également assez limitée. La taxe réduira le revenu disponible, mais les recettes étant utilisées exclusivement pour les dépenses de protection du climat, l’impact sur l’activité sera neutre. En outre, comme cette mesure n’affecte pas les grands utilisateurs d’énergie soumis à l’ETS, l’effet possible sur la compétitivité des prix devrait être limité. Cependant, elle aura un impact sur la répartition des revenus. En effet, les taxes sur le carbone pénalisent particulièrement les familles à faible revenu et les personnes âgées. Point positif, la mesure détournera la demande des activités polluantes.
Les perspectives d’exportation se sont améliorées
L’ensemble des indicateurs conjoncturels laissent envisager une poursuite de la faible croissance au T1. La contraction de la production industrielle pourrait même perdurer, mais cette évolution serait compensée par une légère augmentation de l’activité dans des secteurs moins tournés vers l’exportation tels que les services et la construction de logements. Dans ces secteurs, la demande demeure soutenue par la forte croissance du revenu disponible et le dynamisme du marché du travail.
Cependant, le cycle pourrait approcher d’un point de retournement. L’indice IFO des attentes en matière d’exportations progresse de manière significative en décembre, porté par les signes d’atténuation des tensions commerciales et la baisse des incertitudes sur le Brexit depuis les élections générales au Royaume-Uni (graphique 3). Les fabricants de produits électriques et pharmaceutiques, en particulier, attendent une nette augmentation des commandes de l’étranger. Même dans l’industrie automobile, les chefs d’entreprise sont nettement moins pessimistes. Cela compensera le ralentissement de la croissance de la demande intérieure. Malgré des politiques monétaire et budgétaire très accommodantes, la croissance du revenu disponible des ménages devrait ralentir par rapport aux années précédentes. Cela pèsera sur la demande des consommateurs et la construction de logements. En outre, la demande de biens de production durables pourrait marquer le pas, les ratios d’utilisation des capacités étant tombés en dessous de leur niveau à long terme. Au final, la croissance du PIB devrait atteindre 0,8 % et 1,2 % (ajustée des effets calendaires 0,4 % et 1,2 %) respectivement en 2020 et 2021.
Bien que la croissance demeurera très inférieure au potentiel en 2020 et 2021, le marché du travail devrait rester très tendu. D’une part, les fabricants ont eu recours à la réduction des heures de travail et au chômage partiel pour éviter de licencier leurs collaborateurs clés. D’autre part, la croissance de l’emploi reste dynamique, en particulier dans les services non marchands. De plus, l’immigration devrait ralentir à mesure que les possibilités d’emploi diminuent. Le taux de chômage devrait rester à des niveaux très bas. Les rémunérations négociées pourraient encore se détendre en 2020 en raison du ralentissement du secteur industriel, mais remonter l’année prochaine. L’inflation hors produits alimentaires et énergie devrait s’accélérer légèrement, à mesure que les hausses de salaire passées, en particulier dans les services, se répercutent progressivement sur les consommateurs. Enfin, l’inflation totale devrait s’établir à 1,2 % en 2020 et légèrement accélérer pour atteindre 1,4 en 2021.