Avec 43,6% des voix et 365 sièges (sur 650) remportés à la Chambre des communes, le Parti conservateur du premier ministre, Boris Johnson, est sorti grand vainqueur de l’élection générale anticipée du 12 décembre 2019. Au Parlement, plus aucun obstacle ne s’oppose donc à une séparation du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE).
Le 19 décembre 2019, les députés britanniques ont voté, à 358 voix contre 234, la loi britannique ou Brexit bill transposant l’accord de retrait conclu entre le Royaume-Uni de l’UE (cf. encadré). Sa ratification devait intervenir dans la foulée, après lecture à la Chambre des Lords et approbation par la Reine, normalement une formalité. Suivront les votes au Parlement européen (à la majorité simple) puis au Conseil (à la majorité qualifiée) pour une séparation officielle intervenant le 31 janvier 2020 à minuit (heure de Paris). Le Royaume-Uni quittera alors officiellement toutes les institutions communautaires (Parlement, Cour de Justice, Commission, etc.), mais pas immédiatement le marché unique, dont il sera tenu de respecter les règles tout au long d’une période de transition prévue de s’achever le 31 décembre 2020.
Une ligne dure qui va droit dans le mur
À cette date, Royaume-Uni et UE sont supposés avoir bâti le cadre de leur relation future et se séparer réellement. Or, pour nombre d’observateurs européens, le délai imparti (onze mois) est trop court pour y parvenir. L’Accord de retrait ouvre bien la possibilité d’étendre la période de transition, mais celle-ci a été formellement rejetée par M. Johnson, qui a fait inscrire la date du 31 décembre 2020 dans la loi de transposition britannique. La ligne radicale défendue par le premier ministre, à savoir un retrait complet (hors de l’union douanière et du marché unique) et rapide du Royaume-Uni de l’UE, sera toutefois difficile à tenir.
D’abord parce qu’elle va se heurter à une résistance politique forte. Le mode de scrutin à l’élection générale (first past the post) fait que les tenants d’un Brexit dur se sont imposés au Parlement tout en étant minoritaires dans le pays. Outre la victoire des conservateurs à la Chambre des communes, l’autre fait marquant de l’élection générale du 12 décembre est la poussée des partis nationalistes nord-irlandais, gallois et écossais globalement opposés au Brexit et favorables à un maintien de leur région dans l’UE.
Ensuite parce que le principe de réalité va tôt ou tard s’appliquer. Dans tous les domaines, de l’industrie, de l’agriculture, de l’énergie, des transports, des échanges de données, etc., les liens qui unissent le Royaume-Uni à l’UE sont régis par un vaste corpus législatif et réglementaire, comptant quelque 600 dispositifs. Ils impliquent le respect mutuel de normes (techniques, sociales sanitaires, environnementales) et de droits (d’appellations d’origine de propriété intellectuelle…). La tâche consistant à les défaire pour leur substituer, au cas par cas, des accords tarifaires ou de coopération, sera lourde et complexe. Elle promet des discussions serrées avec l’UE, dont le négociateur en chef, Michel Barnier, a maintes fois répété qu’il n’accepterait aucune forme d’accord recouvrant un risque de distorsion de concurrence de la part des Britanniques. Le travail, en outre, ne s’arrête pas là. En faisant cavalier seul, le Royaume-Uni aura aussi à renégocier avec 168 interlocuteurs différents tous les traités commerciaux (236 au total) que l’UE a conclus avec les pays tiers.
Le plus difficile - mettre en œuvre concrètement le Brexit - est donc à venir, de sorte que le soulagement apporté par l’obtention d’un accord de sortie pourrait être de courte durée. À l’approche du 31 décembre, le risque encouru est bien que, par manque d’ambition ou de temps, le Royaume-Uni et l’UE finissent par se séparer sans s’accorder. Les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) s’appliqueraient alors par défaut, sans bénéfice pour quiconque.
Economie au ralenti
Les derniers mois de 2019 ont vu les indices du climat des affaires poursuivre leur recul et la récession industrielle s’accentuer (graphique 1). L’économie, dans son ensemble, aurait stagné au quatrième trimestre, et progressé de 1,3% en moyenne sur l’année. Cette performance s’inscrit dans la moyenne européenne, l’économie de la zone euro ayant elle-même freiné, l’Allemagne frôlant la récession. Elle paraît toutefois modeste eu égard à l’évolution de la livre[1], dont la chute est normalement de nature à soutenir l’activité.
Outre-Manche, l’élasticité-change du commerce extérieur est toutefois réputée faible[2]. En 2019, les exportations nettes ne se sont pas redressées, contribuant négativement à la croissance. Bien entendu, les achats opérés à l’étranger en anticipation du Brexit ont pu jouer, mais le Royaume-Uni a aussi vu sa compétitivité-coût se détériorer. L’action en faveur du salaire minimum n’est pas la première cause : fût-elle qualifiée d’historique, la hausse annoncée par M. Johnson (+6,2% en avril) ne fait que prolonger le rattrapage initié en 2016 par le gouvernement de D. Cameron ; elle vise essentiellement - sans y être encore parvenu - à combler la perte inédite de pouvoir d’achat des salaires enregistrée après la crise de 2008[3]. Son effet de diffusion, quant à lui, dépend beaucoup de la conjoncture ; il cesserait d’être significatif au-delà du premier quintile de la distribution des revenus (NIESR, 2018)[4].
L’affaiblissement de la position concurrentielle s’explique en réalité surtout par le ralentissement de la productivité, particulièrement marqué au Royaume-Uni depuis une dizaine d’années[5]. Il est douteux que le Brexit, sur ce terrain, apporte une solution.