La croissance espagnole devrait, cette année encore, être l’une des plus dynamiques des grands pays européens. Après avoir crû de près de 3% en moyenne en moyenne au cours des 5 dernières années, l’activité a vraisemblablement encore progressé de près de 2% en 2019, bien au-dessus de la moyenne de la zone euro.
Atterrissage en douceur
Bien entendu, le ralentissement qu’on observe partout en Europe s’installe également dans la péninsule ibérique et, ce, d’autant plus que l’économie est désormais nettement plus ouverte que par le passé, avec des exportations de biens et services qui représentent près de 34% du PIB en volume, contre 26% en 2007.
Malgré tout, le ralentissement est jusqu’ici resté plutôt progressif avec, notamment, une certaine résilience de la demande intérieure. La consommation des ménages étaient ainsi en hausse de +1,4% g.a. au troisième trimestre, et l’investissement des entreprises de +2,4%. S’agissant de la fin de l’année 2019, la Banque d’Espagne estime que la croissance s’est probablement poursuivie au T4 sur un rythme trimestriel proche de celui observé aux deux trimestres précédents (0,4% t/t). Les quelques informations disponibles permettent notamment de tabler sur une bonne tenue des ventes au détail en fin d’année, ainsi que sur un rebond des exportations automobiles.
Les enquêtes menées auprès des directeurs d’achats accréditent pour l’instant l’idée d’une déconnexion croissante entre l’évolution de l’activité dans les secteurs industriels, où la production se contracte depuis quelques mois, et la conjoncture des services (cf. graphique), beaucoup plus résistante, soutenue notamment par la demande des ménages, le redressement du secteur immobilier, et le tourisme. À l’avenir, il est certain que l’évolution des revenus et du comportement des ménages seront déterminants pour permettre à la croissance espagnole de résister. De ce point de vue, les nouvelles sont plutôt partagées. Soutenue par les créations d’emplois et les hausses de salaires, la croissance du revenu disponible nominal dépasse 3% g.a. depuis deux ans et continuait d’accélérer mi-2019. Cela a permis aux ménages espagnols de renforcer leur épargne, dont le taux, s’il reste faible au regard de la moyenne européenne, s’est sensiblement redressé depuis le début de 2018. Les marges de manœuvre ainsi reconstituées pourraient finir par servir, alors que l’effet sur le marché du travail de ce ralentissement commence à se faire sentir. En effet, alors que près de 2,5 millions d’emplois ont été créés depuis le creux de fin 2013, la croissance de l’emploi vient de tomber à 1,8% g.a. au T3, au plus bas depuis 5 ans, et le taux de chômage se stabilise depuis quelques mois, à un niveau encore très élevé (14%).
Une coalition fragile
Comme le laissaient présager les sondages, Pedro Sanchez est arrivé en tête des élections législatives du 10 novembre dernier, mais sans pour autant parvenir à enrayer la fragmentation du paysage politique espagnol. De fait, celle-ci n’a cessé de s’accroître depuis l’irruption de Podemos et de Ciudadanos sur la scène politique (vers 2015) et la fin du bipartisme, au fur et à mesure des quatre élections générales qu’a connues le pays au cours des quatre dernières années. À gauche, l’élection de novembre dernier a laissé les rapports de force globalement inchangés par rapport au scrutin du mois d’avril 2019, le parti socialiste espagnol (PSOE) occupant 120 sièges dans la nouvelle assemblée, soit à peine plus d’un tiers des députés, et Podemos 35 sièges. À droite, le scrutin a surtout été marqué par l’effondrement des centristes de Ciudadanos, qui perdent les 4/5e de leurs sièges au bénéfice du Parti populaire (89 sièges), et par un nouveau bond du parti d’extrême droite Vox, dont le nombre de députés a plus que doublé, et peut désormais prétendre être la troisième force politique du pays. Après plusieurs semaines de discussions, Pedro Sanchez a finalement été investi Premier ministre au début du mois de janvier. Il a pris la tête d’une coalition de gouvernement minoritaire PSOE – Podemos, grâce au soutien des députés nationalistes basques du PNV et à l’abstention bienveillante de partis régionalistes, et notamment des indépendantistes catalans d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC).
Politiques économique et institutionnelle, la voie étroite
Quelle sera la politique de cette coalition, son orientation et sa capacité d’action ? Le vote d’investiture a montré que Pedro Sanchez dispose d’une majorité relative extrêmement courte, de seulement deux voix[1], au Congrès des députés. On peut donc s’attendre à de fréquentes épreuves de force avec les partenaires ou les soutiens de la coalition et, ce, tout au long du mandat. Sur la question catalane, il s’est engagé, pour obtenir l’appui d’ERC, à ouvrir des négociations avec le gouvernement régional, et à soumettre un éventuel compromis à l’approbation des Catalans. Si la reprise du dialogue est une bonne nouvelle, le chemin sera long et ardu, notamment parce que les deux parties n’ont vraisemblablement pas la même vision du contenu et de l’objectif des discussions (réforme du statut d’autonomie pour le parti socialiste, droit à l’autodétermination pour les indépendantistes).
S’agissant de politique économique, rappelons que Pedro Sanchez avait refusé après les élections d’avril 2019 de former un gouvernement de coalition avec Podemos. Il ne s’y est résolu que dans la mesure où cela restait la seule option envisageable après le scrutin de novembre. L’accord de coalition conclu entre les deux partis table sur des hausses d’impôt pour les hauts salaires et les grandes entreprises, et une augmentation du salaire minimum. Plus précisément, l’impôt sur les revenus des particuliers augmenterait de deux points de pourcentage au-delà de 130 000 euros par an, et de quatre points au-dessus de 300 000 euros. L’import sur les plus-values augmenterait également de 4 points au-dessus de 140 000 euros, passant à 27% contre 23% actuellement. Enfin, une réforme de l’IS assurerait un taux d’imposition minimum de 15%, porté à 18% pour les institutions financières et les compagnies pétrolières. Du côté des dépenses, il s’agira de renforcer les services publics, dans la santé, l’éducation et le logement notamment, mais aussi d’augmenter certaines prestations familiales et de revenir à un mécanisme d’indexation des retraites sur l’inflation.
Enfin, et bien que le taux de chômage se soit stabilisé à un niveau encore très élevé au cours des derniers trimestres, le gouvernement prévoit également de poursuivre la hausse du salaire minimum (+8% en 2017, 4,0% en 2019, +22,3% en 2019) pour le porter progressivement à 60% du salaire moyen d’ici 4 ans (soit une hausse d’environ 30% supplémentaire). A ce stade, toutefois, le budget pour 2020 n’est pas formalisé, et encore moins voté. Pedro Sanchez reste désireux d’apparaître comme le garant d’un certain sérieux budgétaire, même si une orientation clairement restrictive de sa politique économique est peu probable[2]. La voie sera donc étroite, particulièrement en période de ralentissement économique. En 2019 déjà, le pays a manqué ses objectifs, son solde budgétaire s’étant vraisemblablement stabilisé autour de -2,5% du PIB selon la Banque d’Espagne, contre -2,0% attendu en octobre dernier.