La divergence entre tendances économique et boursière s’est accentuée aux Etats-Unis, sur fond d’accommodation monétaire et d’expansion de la dette des entreprises. Les risques pris par les investisseurs (fonds de pension ou d’investissement, sociétés d’assurance-vie) ont augmenté, tout comme la vulnérabilité des marchés face à d’éventuels chocs adverses ou renversements d’anticipations. Or 2020, année électorale, pourrait ne pas être paisible. Pour bienvenue qu’elle soit, la trêve dans le conflit commercial avec la Chine entérine l’essentiel des hausses de droits de douane passées, sans modifier fondamentalement la politique, peu encline au multilatéralisme, de l’administration américaine
L’une atterrit, l’autre s’envole. Alors que, depuis un an, l’économie américaine a tendance à freiner, le secteur industriel ayant basculé en récession, la Bourse collectionne les records. En 2019, l’indice Standard & Poor’s des 500 principales valeurs de la cote a gagné près de 30% ; à 3.230 points (le 31 décembre), il dépasse de 106% le point haut historique d’octobre 2007. Le Nasdaq (l’indice des valeurs technologiques) s’est, quant à lui, apprécié de 35% en 2019, 200% depuis sept ans…
Plus vite, plus haut, plus vulnérable
Irrationnelle exubérance ? Le fait est que, aux États-Unis, la hausse du cours des actions entretient un rapport assez lointain avec celle, de moins en moins rapide, des bénéfices, aboutissant à des niveaux de valorisation tendus (graphique 2 et FMI[1]). Les taux d’intérêt restant bas, elle repose sur une amplification de l’effet de levier. Dans son dernier Rapport sur la stabilité financière, le FMI souligne l’importance du recours à la dette dans les activités de fusions, acquisitions, ou rachats d’actions[2]. L’augmentation du poids des survaleurs (goodwill) dans le total des actifs, comme les multiples élevés qui sous-tendent les opérations de LBO (leveraged buy-out) témoignent de paris plus ambitieux sur l’avenir. La prise de risque s’illustre, enfin, par la compression des spreads attachés à la dette à haut rendement (graphique 2), un segment de marché que le FMI juge, lui aussi, surévalué. Dans la phase actuelle d’élévation du prix des actifs, le rôle des investisseurs institutionnels (fonds de pension ou d’investissement, sociétés d’assurance-vie), américains ou étrangers, s’est renforcé. Alors que les banques ont, dans leur ensemble, mis un frein à l’expansion de la taille de leur bilan et amélioré leur résilience depuis la crise de 2008, ces derniers ont développé leurs activités et concentré une part croissante des financements. Ils ont aussi étendu leur quête de rendement, à mesure que les taux d’intérêt sur la dette souveraine, socle traditionnel de leurs placements, baissaient. Une réallocation s’est opérée, au détriment des avoirs de trésorerie et obligations de haute qualité (classées en catégorie « investissement ») et au profit d’actifs à la fois moins liquides et plus risqués, tels que la dette privée non cotée, l’immobilier, ou les infrastructures. Il en résulte une vulnérabilité accrue face à d’éventuels chocs adverses ou renversements d’anticipations[3]. Début 2020, la montée des tensions entre les États-Unis et l’Iran ne paraît pas devoir constituer un point de bascule. La perspective d’un prolongement de l’accommodation monétaire[4], tout comme l’espoir d’un début de règlement du conflit commercial sino-américain, soutiennent les marchés.
Pression sur les marges et l’investissement
Le scénario de l’apaisement n’est toutefois pas écrit. Certes, un accord entre Washington et Pékin est intervenu le 15 janvier. Il prévoit, dans sa phase « 1 », une pause dans l’escalade tarifaire et, côté chinois, un accroissement des importations, notamment agricoles, des garanties quant au respect du droit de la propriété intellectuelle et une plus grande ouverture du marché au secteur financier. Reste que les racines de l’affrontement - la compétition pour le leadership technologique - sont profondes[5] et que la véritable désescalade associée à une éventuelle phase « 2 » est remise à plus tard, sans doute après l’élection présentielle du 3 novembre. La plupart des surtaxes imposées par l’administration Trump resteront donc valides en 2020. Elles auront pour effet de porter de 3% (en 2017) à 19% le taux moyen des droits sur les importations en provenance de Chine, qui se trouveraient ainsi renchéries de quelque USD 70 milliards[6]. Pour les entreprises américaines, la surcharge s’applique au moment où l’effet des baisses d’impôts de 2018 se dissipe et ne permet plus de compenser l’érosion des marges d’exploitation. La pression sur les bénéfices s’accentue, alors que le levier d’endettement est élevé, une configuration qui précède ou accompagne souvent l’inversion du cycle économique aux Etats-Unis (graphique 3 et encadré 4). Le vent tourne déjà manifestement dans le secteur des gaz et pétrole de schiste, confronté à une baisse de ses rendements marginaux, et qui réduit ses capacités. Alors que l’emploi et la consommation des ménages freinent peu, l’investissement des entreprises s’inscrit en recul depuis l’automne 2019. Il est aujourd’hui le principal vecteur par lequel l’économie américaine atterrit. À la vue des enquêtes auprès des directeurs d’achat, sa tendance ne s’était pas redressée au moment d’aborder 2020[7]. La croissance du PIB aurait ralenti, les estimations en temps réel (nowcast) des Réserves fédérales de New-York et Atlanta la situant dans une fourchette de 1% à 1,8% en rythme annuel.