2019 : fausse modestie de la croissance
Au T3 2019, le PIB a progressé de 0,3% t/t, en ligne avec les attentes. C’est la quatrième hausse à ce rythme sur les cinq derniers trimestres (exception faite du 0,4% du T4 2018). Il s’agit d’un « petit » 0,3% (0,27%), qui marque une légère inflexion par rapport à la moyenne du T3 2018 au T2 2019 (0,4%). Toutefois, plus encore que les trimestres précédents, la croissance est moins modeste qu’il n’y paraît : elle masque une contribution de 0,6 point de pourcentage de la demande intérieure finale (versus 0,5 point en moyenne sur les quatre trimestres précédents). La consommation des ménages et l’investissement des entreprises ont progressé un peu plus vite qu’au T2 (permettant au rebond tant attendu de la première de se dessiner peu à peu et au dynamisme du second de se confirmer). Les variations de stocks ont contribué un peu moins négativement
(-0,1 point après -0,2). Ces évolutions favorables ont été contrebalancées par le net ralentissement de l’investissement des ménages (après un sursaut singulier au T2) et, surtout, par la contribution négative du commerce extérieur (-0,3 point), due au rebond des importations et à un nouveau léger recul des exportations.
Les perspectives de croissance pour le T4 sont favorables au regard des enquêtes sur le climat des affaires, disponibles jusqu’en décembre. Elles plaident, en effet, pour un maintien de la croissance sur son rythme de 0,3% : en moyenne sur le T4, l’indicateur synthétique de l’INSEE se situe au même niveau (élevé) qu’au T3 et au T2 (106), tandis que le PMI composite de Markit progresse à nouveau légèrement (52,2 après 51,9 et 51,3).
L’évolution relativement favorable des enquêtes françaises en 2019, en particulier en comparaison avec l’Allemagne, est remarquable (cf. graphique 2). La différence d’évolution est frappante dans le secteur manufacturier : l’indice PMI se situe loin en zone de récession en Allemagne ; en zone d’expansion, de peu, en France. Une différence existe aussi dans les services, pour partie liée : le secteur manufacturier français ne traversant pas les mêmes difficultés que son voisin allemand, l’activité dans les services est restée favorablement orientée en France alors qu’elle a suivi un profil « en bosse » en Allemagne. En France, les deux indices se situaient à peu près au même niveau en fin d’année (PMI manufacturier à 50,4, PMI services à 52,4) quand un écart de 9,2 points les séparait en Allemagne (43,7 et 52,9, respectivement), le deuxième seulement de cette ampleur après celui observé au creux de la grande récession, fin 2008-début 2009. La manière dont cet écart va se résorber sera une des tendances à surveiller en 2020 car c’est un élément-clé du scénario allemand et, par ricochet, français. La résorption devrait se faire par le haut, grâce à un redressement du climat des affaires dans le secteur manufacturier : au regard des derniers chiffres, il pourrait même être déjà entamé. La question suivante porte sur l’ampleur du rebond de la croissance qui s’ensuivra : elle devrait être modeste.
Pour en revenir aux perspectives pour le T4, notre modèle nowcast vient quelque peu tempérer notre lecture positive des données d’enquête puisque, sur la base de celles-ci, il estime la croissance à 0,2% t/t. Mais il donnait le même résultat pour le T3. La croissance s’étant avérée un peu meilleure, une nouvelle sous-estimation pour le T4 est possible. L’estimation sur la base des données d’activité, plus élevée (0,5%), va aussi en ce sens. Elle est toutefois fragile car les seules données disponibles sont celles pour octobre et novembre.
Notre prévision s’établit à 0,3%, comme l’INSEE, tandis que la Banque de France est un peu moins positive avec une estimation de 0,2%. En termes de composition, la croissance serait soutenue par une contribution très positive du commerce extérieur (0,3 point), portée par un rebond marqué des exportations observé chaque T4 depuis 2016[1]. Ce soutien serait contrebalancé par une contribution aussi négative des variations de stocks, signalée par les enquêtes. La demande intérieure finale contribuerait un peu moins positivement qu’au T3 (0,4 point), la consommation des ménages progressant un petit peu moins vite, l’investissement des entreprises, celui des ménages et la consommation publique nettement moins rapidement, et l’investissement public aussi vite.
Les grèves et manifestations contre la réforme des retraites, en cours depuis le 5 décembre, risquent d’affecter la croissance au tournant 2019-2020. Si le climat des affaires de décembre n’en porte pas la trace, ce n’est peut-être que partie remise. La confiance des ménages s’est montrée plus sensible, enregistrant une baisse marquée (-3 points), la première en un an. L’impact négatif est immédiat sur la consommation de services de transports et, par ricochet, sur l’activité dans le commerce, l’hôtellerie, la restauration, les loisirs, le tourisme. Les blocages (raffineries, ports) ont aussi des effets perturbateurs. Les impacts sectoriels, microéconomiques, régionaux, peuvent être conséquents mais de faible importance à l’échelle macroéconomique. Si certaines dépenses passent définitivement à la trappe, d’autres sont stimulées, remplacées, différées. À titre d’ordre de grandeur, les estimations de l’INSEE de l’impact négatif sur la croissance des épisodes notables précédents de grèves se situent entre 0,1 et 0,2 point. Et si impact négatif il y a, il est suivi d’un rattrapage et donc d’un surcroît de croissance.
En moyenne annuelle (cjo), la croissance atteindrait 1,3% en 2019, après 1,7% en 2018. La perte de vitesse est nette. Elle est cependant trompeuse car, d’une part, elle masque une importante contribution de la demande intérieure finale, qui plus est en hausse (1,8 point après 1,3 point). La baisse de la croissance est imputable à la contribution plus négative des variations de stocks (-0,4 point après -0,3) et au retour à la normale de la contribution du commerce extérieur (-0,1 point après +0,7). D’autre part, cette baisse de régime de la croissance française est moins importante qu’au niveau de la zone euro (1,1% après 1,9%) et en Allemagne (0,6% après 1,5%).
2020 : même refrain, dans les grandes lignes
Dans les grandes lignes, 2020 devrait entonner le même refrain que 2019, celui d’une croissance peu élevée mais résistante. Le moteur serait toutefois différent : selon nos prévisions, la contribution de la consommation des ménages (0,7 point après 0,6 en 2019) re-dépasserait celle de l’investissement total (0,5 point après 0,8), une configuration plus coutumière de l’économie française.
Les conditions d’une croissance plus forte de la consommation des ménages semblent en effet réunies : confiance en hausse, gains de pouvoir d’achat élevés (portés par la progression de l’emploi, des salaires, les baisses d’impôts, une inflation contenue), crédit dynamique et bon marché. La question est de savoir plus forte à quel point. En effet, ces conditions étaient déjà réunies en 2019, pourtant le rebond est resté limité, en partie parce que les ménages réagissent avec retard à un surcroît de pouvoir d’achat. Cette année, cet effet ne devrait plus jouer, moins en tout cas. Nous nous attendons cependant à ce que les ménages français restent prudents. La hausse de leur consommation ne serait donc qu’un peu plus forte (1,4% après 1,2%). Mais le rebond pourrait être plus marqué au regard de l’importance des gains de pouvoir d’achat (environ 2% en 2019 comme en 2020 selon nos prévisions).
Du côté de l’investissement, les conditions d’une décélération semblent réunies. La baisse de régime de l’investissement des entreprises serait pour partie mécanique (dynamisme difficile à soutenir). Les perspectives de demande mitigées joueraient aussi un rôle important et, dans une moindre mesure, la baisse des tensions sur l’appareil de production. Les conditions de financement favorables viendraient amortir la décélération. L’investissement public subirait le contrecoup de la fin du cycle des élections municipales[2]. Quant à l’investissement des ménages, sa progression porterait quelque peu la trace du dynamisme du marché immobilier dans l’ancien mais resterait limitée par la morosité de l’activité dans le neuf.
La croissance des exportations resterait modeste, dans le sillage de la faiblesse de la demande mondiale. La France devrait maintenir ses (faibles) parts de marché, comme c’est le cas depuis 2013. Elle peut compter sur ses points forts (aéronautique, produits pharmaceutiques, luxe, cosmétique, agroalimentaire, équipements automobiles) et un change favorable.
Au final, la croissance atteindrait 1,1% en 2020 (1,3% en données non cjo). La légère baisse par rapport à 2019 n’est pas significative à nos yeux. Elle masque un profil trimestriel en légère accélération. La croissance reste supérieure à celle prévue en zone euro (0,8%) et en Allemagne (0,4%). Nous voyons 2020 comme une année de consolidation : consolidation des effets positifs des gains de pouvoir d’achat sur la consommation des ménages et, plus globalement, consolidation des effets positifs attendus des réformes engagées.