Pour la première fois depuis mai 2019, le rendement du Bund à 10 ans est récemment revenu en territoire positif. Trois facteurs expliquent cette évolution. Premièrement, l’habituel effet d’entraînement mondial des évolutions sur le marché américain des emprunts d’État où, à la suite du durcissement de ton de la Réserve fédérale, les rendements étaient sur une tendance haussière depuis début décembre 2021. Deuxièmement, les marchés intègrent l’arrêt du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP) et la réduction (tapering) des achats d’actifs nets par la Banque centrale européenne. S’ajoute, enfin, la perspective d’un relèvement des taux directeurs par la BCE. Les marchés obligataires américain et allemand sont fortement corrélés depuis 2021. Ce facteur est important compte tenu du démarrage imminent d’un cycle de hausse des taux aux États-Unis et de son influence potentielle sur les rendements des Treasuries et, par conséquent, sur ceux de la zone euro.
Le mouvement était attendu depuis longtemps : le 19 janvier, enfin, le rendement du Bund à 10 ans était de retour en territoire positif pour la première fois depuis le 7 mai 2019. Dans un pays où les prix à la consommation ont grimpé de 3,1 % en 2021, en moyenne annuelle, par rapport à 2020[1], les investisseurs obligataires n’en demeureront pas moins très frustrés, mais légèrement moins qu’auparavant.
Au cours des dernières années, les rendements obligataires nominaux ont été faibles dans les économies avancées, où le taux d’intérêt neutre ou naturel[2] s’est inscrit sur une baisse tendancielle. Même s’il s’agit d’un taux à court terme, il n’en a pas moins entraîné dans son sillage les taux à long terme. Des années d’inflation faible ont pesé sur les anticipations d’inflation basées sur le marché. Avec une inflation inférieure à l’objectif, les banques centrales ont dû adopter une politique monétaire expansionniste. Dans la zone euro, le taux de dépôt négatif et l’assouplissement quantitatif ont poussé à la baisse la prime de terme[3] et, par conséquent, les rendements des obligations d’État.
La remontée récente des rendements s’explique par des facteurs externes, ainsi que par des évolutions liées à la zone euro. Parmi les facteurs externes, le changement de perspective de politique monétaire aux États-Unis a entraîné une augmentation des rendements des Treasuries. Le graphique 1 illustre la hausse cumulée des rendements depuis le 3 décembre, où le rendement des Treasuries à 10 ans avait atteint un point bas[4]. Il est intéressant de noter que les rendements à 2 et 10 ans ont enregistré une augmentation assez similaire. La hausse du rendement réel des TIPS (titres du Trésor protégés contre l’inflation)[5] est du même ordre de grandeur que celle du rendement de l’obligation nominale de même échéance – respectivement, 49 et 54 points de base, impliquant que les anticipations d’inflation basées sur le marché sont restées plutôt stables sur cette période.
Les rendements obligataires nominaux ne correspondent pas seulement à la somme du rendement réel et des anticipations d’inflation basées sur le marché. Ils peuvent aussi être décomposés en deux parties : un rendement neutre en termes de risque ou « risk-neutral yield » (qui reflète l’évolution attendue des taux courts, elle-même influencée par les anticipations de politique monétaire) et une prime de terme. Depuis le 3 décembre 2021, cette dernière a augmenté de 33 points de base et le rendement neutre en termes de risque, de 21 points de base[6]. Ainsi, d’après ces deux décompositions, la hausse des rendements reflète des anticipations de resserrement de la politique monétaire – suscitées par les déclarations des responsables de la Réserve fédérale ainsi que par les décisions et minutes du FOMC de décembre – et une augmentation de la prime de terme, avec des anticipations d’inflation plus ou moins stables.
Au cours de la même période, les rendements allemands ont également évolué à la hausse. Le rendement du Bund à 10 ans a augmenté davantage que celui du 2 ans allemand (33 points de base contre 17 points de base), entraînant une pentification de la courbe de taux. Comme aux États-Unis, l’augmentation du rendement des obligations indexées sur l’inflation (30 points de base) a été comparable à celle du rendement des obligations nominales, reflétant des anticipations d’inflation stables.
La tension des taux allemands à 2 ans reflète l’anticipation selon laquelle la BCE finira par resserrer sa politique monétaire. La pentification de la courbe de taux allemande montre que les rendements des taux longs ont également été influencés par d’autres facteurs comme l’annonce de la fin des achats nets au titre du PEPP en mars, qui ne sera suivie que d’une augmentation temporaire du programme traditionnel d’achats d’actifs (APP). Ces deux décisions conjuguées concernant le PEPP et l’APP impliquent une réduction des achats d’actifs, qui pourrait avoir poussé à la hausse les rendements obligataires. Autre raison : l’effet d’entraînement dû à la remontée des rendements des Treasuries.
Le graphique 2 illustre le coefficient de régression bêta avec la variation hebdomadaire des rendements américains à 10 ans comme variable explicative et la variation hebdomadaire des rendements allemands à 10 ans comme variable dépendante[7]. Le graphique 3 montre un calcul similaire pour les taux à 2 ans. Il convient de noter que le bêta du rendement à 10 ans est plus élevé que celui du rendement à 2 ans. Ce dernier est, en effet, davantage influencé par les perspectives de politique monétaire, à présent très différentes entre la Réserve fédérale et la BCE.
Dans les deux cas, le coefficient bêta a enregistré une forte augmentation depuis l’année dernière, atteignant les précédents plus hauts de l’après-crise financière mondiale. Conclusion : les marchés obligataires américain et allemand sont désormais fortement corrélés. Il s’agit d’un facteur important compte tenu du démarrage imminent du cycle de hausse des taux aux États-Unis et de son influence possible sur les rendements des Treasuries et, par conséquent, sur ceux de la zone euro.