Une année 2025 pleine de bouleversements devrait succéder à une année 2024 marquée par une croissance dynamique et le début d’un cycle d’assouplissement monétaire. Alors que la croissance est attendue en ralentissement vers son niveau de long terme, les projets politiques associés au changement de président et de majorité au Sénat suggèrent un agrandissement du risque inflationniste. Par conséquent, la Réserve fédérale devrait mettre un terme prématuré aux baisses de taux.
Entre résilience et « exceptionnalisme »
Le dynamisme de l’économie américaine ne s’est pas démenti au troisième trimestre, ce qu’illustre la stabilité du taux de croissance du PIB à +0,7% t/t. La consommation des ménages constitue, plus que jamais au cours de ce cycle, le moteur de la croissance. Elle est portée par le rattrapage des revenus réels : la variation annuelle du revenu horaire moyen dépasse celle de l’indice des prix à la consommation depuis mai 2023, et elle est préservée par une détérioration limitée du marché du travail (voir section suivante)
L’activité économique des États-Unis s’est, globalement, montrée particulièrement résiliente face au resserrement monétaire, quoique les pleins effets retardés de celui-ci doivent encore se manifester, notamment par le canal du crédit immobilier. Quant à l’écart de croissance avec ses homologues des pays développés, son importance renvoie à la notion « d’exceptionnalisme » américain. En effet, nous anticipons un taux de croissance annuel moyen de +2,8% pour les États-Unis en 2024, contre +0,8% pour la zone euro et -0,2% pour le Japon. L’écart se résorberait toutefois quelque peu en 2025, puisque les avancées trimestrielles du PIB américain ralentiraient vers leur niveau de long terme, à +0,5% t/t au T1 puis +0,4% lors des trimestres suivants. Par conséquent, le taux de croissance annuel moyen se réduirait à +2,1%.
Notre scénario central évolue de l’atterrissage en douceur (soft landing) vers le rebond de l’inflation. La variation annuelle des prix aurait dû continuer de tendre vers sa cible de 2% sans que cela ne s’accompagne d’une récession économique. Néanmoins, le résultat des élections et l’évaluation de ses implications en matière d’inflation (voir la partie associée) suggèrent une réaccélération de l’inflation à partir du T2 2025. Ceci aura également pour conséquence de jouer à la baisse sur la croissance, principalement à partir de 2026.
Emploi : éviter le dérapage
Les indicateurs relatifs au marché de l’emploi continuent de refléter un net refroidissement de la situation de fortes tensions qui prévalait au début du resserrement monétaire (T1 2022). Les créations d’emplois salariés non-agricoles, au-delà de l’importante variabilité mensuelle (ex : +78k en août, +223k en septembre), font état d’un ralentissement patent en rythme annualisé (moyenne mobile sur 12 mois). Celui-ci est à +190k en novembre. Quant au rapport entre les emplois vacants et les personnes sans emploi (dit « ratio v/u », l’une des jauges les plus scrutées en matière de tensions sur le marché du travail), il s’élève à 1,1 en début de T4 2024, contre plus de 2,0 lorsque fut initié le relèvement de la cible de taux en mars 2022. Enfin, le taux de chômage est progressivement remonté en 2024, jusqu’à déclencher furtivement le signal récessif de ladite « règle de Sahm ». Il s’élève actuellement à 4,1% (+0,4pp YTD).
Cependant, cette tendance baissière n’est pas synonyme d’une situation inquiétante dans l’absolu. En réalité, l’état des indicateurs mentionnés ci-dessus suggère un marché moins tendu mais toujours dynamique. Le rythme actuel des créations nettes d’emplois est plutôt robuste, tandis que le ratio v/u ne se situe que légèrement en deçà de ses standards prépandémiques. Quant au taux de chômage, il demeure inférieur à l’estimation de son niveau neutre (4,4% selon le Congressional Budget Office) ; et la part des personnes sans emploi à la suite d’un licenciement dans le total des individus concernés reste en deçà du cumul des départs volontaires et des nouveaux entrants ou des retours sur le marché. À ce titre, l’amorce du cycle d’assouplissement monétaire, en septembre, avait pour objectif préventif d’éviter une plus ample détérioration pouvant, elle, se révéler plus problématique pour la croissance.
Le nouveau risque inflationniste
La désinflation américaine poursuit son chemin mais a quelque peu perdu en vigueur. Les données les plus récentes de l’IPC (novembre 2024) font état d’une légère remontée de l’indice total à +2,7% a/a (+0,1pp), tandis que l’inflation sous-jacente est stable, à +3,3% a/a. Les dynamiques sous-jacentes, mesurées par le rythme en 3m/3m annualisé, sont relativement défavorables, étant à la hausse sur les deux dimensions.
L’inflation des services de logement et hors logement non-énergétiques observe une tendance généralement baissière, mais le potentiel de décélération des premiers pourrait se voir contraint par des taux réels plus hauts pour plus longtemps.
Surtout, les projets politiques prêtés à la future administration Trump sont associés à une hausse significative du risque inflationniste. Les principaux canaux seraient la politique commerciale, avec un impact final des hausses de droits de douane supporté par le consommateur, et la politique migratoire, avec des pressions à la baisse sur l’offre de travail liées à une diminution sensible du nombre d’entrées qui, en retour, renforceraient les tensions sur le marché de l’emploi. La réaccélération de l’inflation devrait prendre corps à partir du T2 2025 (+2,6% a/a, contre +2,4% au T1) avant de se poursuivre, graduellement, jusqu’au milieu de l’année 2026 (+4,0% a/a au T2 2026). Il en résulterait des conséquences négatives pour la croissance, par compression des revenus réels et par effet de second tour sur les conditions financières (voir section sur la politique monétaire).
Le déficit permanent
L’absence de consolidation budgétaire après le soutien lié à la crise pandémique a installé le déficit public des États-Unis à de nouveaux standards, particulièrement élevés historiquement. Les projections les plus récentes (juin 2024) du Congressional Budget Office (CBO) estiment ce dernier à 7,0% du PIB en 2024, avant une moyenne de 6,2% sur la période 2025 – 2034, nourrissant d’autant plus la hausse du ratio d’endettement public. Au surplus, la victoire de Donald Trump s’accompagne de risques à la hausse sur les finances publiques : les travaux du Committee for a Responsible Budget estiment à +18pp l’écart du ratio de dette/PIB à horizon 2035 du fait des projets du nouveau président par rapport aux estimations actuelles du CBO.
L’année 2025 devrait voir la prolongation du Tax Cuts and Jobs Act, entré en vigueur en 2018 et dont les dispositions non-permanentes arrivent à expiration à la fin de l’année. Un impact positif en matière de croissance, certes modéré, peut être espéré par le canal de l’investissement. Néanmoins, l’économie américaine évolue actuellement proche du plein-emploi, réduisant ainsi l’efficacité potentielle des plans fiscaux de Donald Trump. En revanche, l’impact pour les finances publiques sera très certainement négatif du fait d’un abandon de recettes dont il serait irréaliste d’attendre une compensation ultérieure par un accroissement de la base taxable.
En parallèle, la configuration du 119e Congrès (2025 – 2027, Sénat et Chambre des représentants majoritairement républicains) permettra, en toute vraisemblance, une résolution rapide de la question du plafond de la dette, dont la suspension expire en janvier 2025, par le biais d’un relèvement de ce dernier.
FOCUS | Un assouplissement monétaire qui a fait long feu ?
Les développements comparés sur les plans de l’inflation et du marché de l’emploi ont induit un rééquilibrage des risques entourant le mandat dual de la Réserve fédérale. Dès lors, cette dernière a pu initier un cycle de détente de ses taux d’intérêt, avec une première baisse importante de 50 pb en septembre suivie, en novembre, d’une baisse plus habituelle de 25 pb, portant la cible de taux à +4,5% - +4,75%. Cependant, cette phase de détente devrait s’interrompre à court terme. La combinaison d’une croissance robuste, du momentum haussier de l’inflation et du refroidissement contenu du marché de l’emploi rend, pour l’heure, de nouvelles baisses « non urgentes » de l’aveu de Jerome Powell. Mais, surtout, la réaccélération de l’inflation à partir du T2 2025 devrait contraindre la Réserve fédérale à maintenir une politique monétaire restrictive.
Nous attendons une dernière baisse de taux (-25 pb) lors de la réunion de décembre du FOMC, avant que la cible de taux ne demeure tout au long de l’année 2025, à +4,25% - +4,5%. Par ailleurs, la dernière réunion de 2024 sera l’occasion de la publication du premier Summary of Economic Projections (SEP) depuis la séquence électorale. Ainsi, si Jerome Powell affirme que la Fed ne « spécule pas, ne devine pas, ne suppose pas » et ne sera pas influencée par les projets politiques tant qu’ils ne sont pas mis en œuvre, les nouvelles projections pourraient contenir des indications précieuses quant à la vision des membres du comité de politique monétaire.
Achevé de rédiger le 11 décembre 2024