D’après les données des PMI et les enquêtes de conjoncture de la Commission européenne, dans la zone euro l'industrie ralentit nettement, la demande s'affaiblit et les goulets d'étranglement sur le marché du travail se sont atténués. Combiné à la baisse des prix des intrants, cela devrait freiner l'inflation des prix à la production. Dans les services, le tableau est tout autre : les difficultés de recrutement demeurent une contrainte importante, tandis que la dynamique de l’activité et des commandes s'améliore. L'inflation des prix des intrants et à la production a faiblement reflué. Une telle dichotomie complique la tâche de la BCE : au vu de la vigueur des services les hausses de taux passées n’ont pas encore eu d’effets significatifs, ce qui justifierait un durcissement de la politique monétaire. Or, cela ne ferait qu'empirer les choses pour le secteur industriel et, à terme, cela affecterait les services.
Au cours d'un cycle économique, les évolutions de chacun des grands secteurs d’activité - industrie, services, commerce, construction - ont tendance à être fortement corrélées mais à court terme, des divergences compliquant l'évaluation de l'environnement cyclique et des perspectives peuvent émerger. C’est le cas actuellement. En effet, selon le dernier Bulletin économique de la Banque centrale européenne (BCE), « le secteur manufacturier résorbe des arriérés de commandes, mais ses perspectives se dégradent. La croissance des services est plus robuste, en raison notamment de la réouverture de l’économie ».
Cette dichotomie est visible sur le graphique 1 qui montre le niveau et la dynamique des indices des directeurs d'achat de la zone euro. Les données relatives aux services se concentrent presque exclusivement dans le quadrant supérieur droit, tandis que celles relatives au secteur manufacturier apparaissent principalement dans le quadrant inférieur gauche[1]. Les deux secteurs semblent donc évoluer séparément.
La plupart des données relatives à l'industrie manufacturière sont inférieures à 50, ce qui implique qu'une majorité de chefs d'entreprise constatent un recul par rapport au mois précédent. L'emploi est une exception notable, et les plans d'embauche des entreprises illustrent la résilience du marché du travail. De plus, d’autres séries, telles que les nouvelles commandes, les retards d’exécution de ces commandes et le PMI manufacturier global, affichent une tendance négative : les chiffres des trois derniers mois sont inférieurs à ceux des trois mois précédents.
La situation est très différente pour les services où toutes les données dépassent 50. À l'exception des prix des intrants et de ceux à la production, la dynamique est positive : les derniers chiffres sont meilleurs que ceux des mois précédents. Une autre différence frappante concerne les données relatives aux prix : une nette majorité d’entreprises des services signalent une hausse des prix des intrants, et elles sont encore plus nombreuses à déclarer augmenter leurs prix de vente. Au regard de la dynamique de ces données, la situation ne s'est guère améliorée ces derniers mois.
En revanche, dans l'industrie manufacturière, la dynamique des prix à la production a été très négative, et celle des prix des intrants plus encore. Seulement un peu plus de 40% des participants signalent une hausse des prix. Concernant les prix à la production, ils sont un peu plus nombreux à le faire, mais il s’agit là encore de moins de la moitié des participants.
La dynamique contrastée des prix dans l'industrie manufacturière et les services nous rappelle la difficulté d'évaluer le rythme de la désinflation. La conclusion est la même lorsque l'on examine les anticipations des prix dans l'enquête de la Commission européenne (graphique 2). Dans l'industrie comme dans les services, la tendance est à la baisse. Alors que dans l’industrie, le niveau atteint est conforme aux données historiques, pour les services ce n'est pas encore le cas, ce qui indique une pression inflationniste persistante dans ce secteur. Les difficultés de recrutement et l'impact sur les salaires peuvent jouer un rôle. Le graphique 3 montre que les pénuries de main-d’œuvre demeurent un facteur important qui pèse sur la production dans le secteur des services, et que la situation s'est aggravée au cours des derniers trimestres. Dans l'industrie, cependant, la contrainte que constitue la pénurie de main-d’œuvre s'est atténuée, bien qu'elle demeure élevée dans une perspective historique. De plus, dans ce secteur, le nombre d’entreprises qui mentionnent la faiblesse de la demande comme une contrainte sur la production est en hausse, mais il reste à un niveau bas. Dans les services, ce même indicateur a été stable au cours des derniers trimestres et, comme dans l'industrie, à un niveau qui reste bas.
Sur la base des indices PMI et de l'enquête de la Commission européenne, il semble que l'industrie ralentisse nettement, que la demande diminue et que les goulets d'étranglement sur le marché du travail se soient quelque peu atténués. Cela, combiné à une baisse des prix des intrants, devrait freiner l'inflation des prix à la production. C'est aussi clairement ce à quoi les entreprises de ce secteur s’attendent. Dans les services, le tableau est tout autre : les difficultés de recrutement demeurent une contrainte importante, tandis que la dynamique de l’activité et des commandes s'améliore. De plus, l'inflation des prix des intrants et à la production a faiblement reflué.
Une telle dichotomie complique la tâche de la BCE : la vigueur des services indiquerait que les hausses de taux passées n'ont pas encore eu d'effets significatifs, ce qui justifierait un durcissement de la politique monétaire. Mais cela ne ferait qu'empirer les choses pour le secteur industriel et, à terme, cette dynamique négative devrait se répercuter sur les services. La BCE a récemment indiqué que les grandes entreprises non financières avaient fait état d’une réduction de l’activité dans le secteur des transports (« l'activité dans le transport routier et le transport maritime est indiquée comme en baisse ou stabilisée à des niveaux légèrement inférieurs à ceux des précédents trimestres »). En revanche, la demande augmente fortement dans les voyages, le tourisme et les services informatiques[2]. Il semble donc que dans les services, le ralentissement de l’activité prendra plus de temps.
William De Vijlder
La dichotomie entre l'industrie et les services complique la tâche de la BCE. La vigueur des services justifierait un resserrement de la politique monétaire, mais cela ne ferait qu'empirer les choses pour le secteur industriel.