A l’été 2019, l’économie des Etats-Unis continue de freiner, tout en résistant plutôt bien aux vents contraires qui entravent les échanges. Son taux annuel de croissance est descendu à 2%, un rythme inférieur d’un point à celui de 2018, mais qui demeure enviable vu d’Europe, où des pays comme l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume-Uni sont menacés de récession. Dans le détail, le ralentissement américain est, pourtant, plus sérieux qu’il n’y parait. Seuls les dépenses militaires et le stockage opéré en prévision des sanctions douanières imposées par le président Trump ont permis d’en limiter l’ampleur.
Et si le commerce extérieur y participe, ses causes sont essentiellement internes. Elles tiennent au recul de l’investissement privé, d’abord observable dans la construction résidentielle, puis dans tous les secteurs, logiciels exceptés. Si la consommation et l’emploi résistent, leur dynamique s’assagit tout de même. Enfin, les enquêtes de conjoncture sont médiocres et n’annoncent aucune amélioration dans l’immédiat.
Perspectives dégradées
La chute de l’indice des commandes à l’industrie calculé par l’Institute for Supply Management (ISM), tout comme la moindre sollicitation des capacités de production, promettent au contraire une baisse supplémentaire des dépenses d’équipement, qui pourrait s’avérer marquée dans la sphère très capitalistique des pétrole et gaz de schiste (graphique 2). Ici, les premiers signes de surinvestissement se font jour. Alors que, à 8 millions de barils / jour, les volumes de production battent des records, la rentabilité des nouveaux puits n’est pas assurée. Opérés à des distances parfois trop courtes et par des acteurs lourdement endettés, leur nombre tend aujourd’hui à diminuer[1].
D’un montant annuel de USD 14.000 milliards (cinq fois le PIB de la France), la consommation des ménages américains reste, de loin, le moteur le plus puissant de la demande. En 2018, l’association baisses d’impôts - créations d’emplois - crédit lui avait fourni un carburant plutôt riche ; en 2019, le mélange s’appauvrit. Alors qu’elles reconsidèrent leurs débouchés et réduisent l’investissement, les entreprises mettent aussi un frein sur leurs embauches. Ramenées à 161.000 postes nets par mois entre janvier et septembre, elles sont les moins nombreuses depuis neuf ans ; eu égard à l’afflux d’individus sur le marché du travail (+1,8 million en moyenne en 2018) elles ne permettent plus aussi facilement le recul du chômage, déjà à son étiage historique (3,5% de la population active en septembre). La population contrariée par la guérilla commerciale du président Trump tend, par ailleurs, à déborder du cercle des agriculteurs ou des directeurs d’achats. Car, bien qu’il concerne peu les biens de consommation finale (cf. encadré 3), le relèvement des tarifs aux frontières a des effets inflationnistes non négligeables. Face au renchérissement des biens d’équipement et intrants produits en Chine, il n’y a pas eu, jusqu’à présent, de réorientation significative de la demande vers d’autres pays[2]. Les entreprises américaines en supportent donc le coût, modulo les efforts consentis par leurs fournisseurs ou la réaction du taux change. En bout de course, la répercussion sur le prix payé par le consommateur atteint quelques dixièmes de point[3]. Mesurée à 2,4% en août, l’inflation (hors pétrole) s’inscrit d’ailleurs en rebond, alors qu’elle avait plutôt tendance à ralentir. Ceci a pour conséquence de freiner la progression du revenu disponible réel des Américains.
Le crédit à la consommation est aussi moins dynamique, ce qui n’est pas une étrangeté à ce stade du cycle : la dette des ménages hors logement a crû de 55% depuis le point bas de 2009 et se retrouve à nouveau élevée en proportion des revenus ; les achats d’automobiles ont battu des records, si bien que le parc a été largement renouvelé ; enfin, les banques durcissent leurs critères de prêts, alors que leurs conditions de transformation se détériorent du fait de l’inversion de la structure par termes, ou courbe, des taux d’intérêt (Wheelock, 2018)[4].
Encore d’autres baisses de taux
Aussi la Réserve fédérale (Fed) devrait-elle s’employer, dans les mois à venir, à un travail de repentification, ce qui implique d’autres assouplissements de sa politique monétaire. Le taux cible des fonds fédéraux est déjà passé d’une limite de 2,50% à 2%; il devrait, selon nous, baisser encore, jusqu’à 1,75% fin 2019, 1,25% fin 2020.
Certes, la position officielle reste prudente et n’annonce pas un tel mouvement. Ayant délaissé les « indications prospectives », le président de la Fed, Jerome Powell, conditionne l’évolution de sa politique aux publications économiques à venir, rappelant que les phases d’assouplissement monétaire peuvent parfois s’avérer courtes[5]. L’exemple choisi (la baisse épisodique des taux directeurs qui avait eu lieu durant de l’automne 1998) n’est toutefois pas le plus approprié. Il s’était alors agi, pour la banque centrale, de contrer les effets potentiellement systémiques de la quasi-faillite d’un fonds d’arbitrage[6], plutôt que d’accompagner le retournement d’un cycle économique, comme c’est plus vraisemblablement le cas aujourd’hui.