Le 3 novembre 2020, 235 millions d’Américains en âge de voter seront appelés à élire leur président pour les quatre prochaines années. À la date d’investiture (le 20 janvier 2021) et sauf coup de théâtre, il s’agira soit du candidat démocrate Joe Biden, qui deviendrait alors le 46e président des États-Unis, soit du candidat républicain et président en exercice Donald Trump, pour un second et dernier mandat. L’exercice démocratique ne s’arrête pas là puisque, également le 3 novembre, l’intégralité de la Chambre des représentants (435 sièges) ainsi que 35 des 100 sièges du Sénat seront renouvelés, un certain nombre d’élections locales se déroulant par ailleurs, comme celles des gouverneurs dans onze États et deux territoires.
Avantage fragile pour Joe Biden
Sur le papier, le candidat démocrate Joe Biden a toutes les chances de l’emporter. Avec près de 52?% d’intentions de votes au niveau national, il dispose dans les sondages d’une avance assez confortable sur son rival Donal Trump, qui oscille autour de 42?%. L’écart semble s’être s’accentué depuis le débat télévisé du 30 septembre dernier et s’avère un peu plus important que celui qui séparait D. Trump d’Hillary Clinton, en 2016. On se souvient pourtant que celle-ci avait perdu l’élection en comptabilisant près de 3 millions de voix d’avance sur son adversaire, ce qui rend tout pronostic hasardeux. Il s’agit là d’une étrangeté propre au mode de scrutin américain, décentralisé, indirect, majoritaire et à un seul tour.
Outre-Atlantique, en effet, l’élection ne se joue pas au niveau national, mais à l’échelle des cinquante États. Les Américains n’élisent pas directement leur président mais des grands électeurs (GE), dont le nombre est proportionnel au poids démographique des États (avec un minimum fixé à 3) et à qui revient le vote formel. En bout de course, le candidat ralliant la majorité des grands électeurs (soit au moins 270 sur un total de 538) remporte l’élection. Le système implique un « winner takes all » : dans chaque État, celui ou celle arrivé(e) en tête remporte l’intégralité du collège électoral, quel que soit le score réalisé par son adversaire. C’est ainsi qu’un candidat majoritaire au niveau national peut perdre l’élection. La Floride fournit un bon exemple : en 2016, Hillary Clinton y avait obtenu 49% des votes, soit 4,5 millions de voix, mais aucun des 29 grands électeurs, tous allés au vainqueur Donald Trump. Or la Floride fait précisément partie de ces États clés, ou « swing states », pouvant faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre.
Dans les derniers sondages disponibles compilés par The Guardian, Joe Biden faisait la course en tête dans la plupart des États clés, soit en Pennsylvanie (20 GE), dans le Michigan (16 GE), l’Arizona (11 GE), le Wisconsin (10 GE). Toutefois, dans trois d’entre eux, à savoir la Floride (29 GE), l’Ohio (18 GE) et la Caroline du Nord (15 GE) l’écart restait serré (inférieur à trois points).
C’est ici que réside un risque non négligeable de contestation des résultats, un scénario dans lequel Donald Trump s’inscrit déjà. Au cœur de la possible bataille à venir, le vote par correspondance, plébiscité dans le contexte de crise sanitaire, mais qui risque de retarder le décompte des voix, et dont M. Trump estime qu’il est un vecteur de fraude, en dehors duquel sa victoire serait acquise. Il ne faut donc pas exclure la possibilité qu’après le 3 novembre prochain, le nom du futur président ne soit toujours pas connu et que chaque camp se dispute la victoire, en espérant que cette situation prenne fin avant le 6 janvier 2021, date de déclaration officielle du vainqueur par le Congrès américain.
Quel bilan, quels programmes ?
Fut-elle traitée avec désinvolture, la pandémie de Covid-19 n’est pas imputable à Donald Trump, dont le bilan économique s’appréciera plus objectivement sur la période des trois années ayant précédé la catastrophe sanitaire (2017-2019). Le résultat est a priori flatteur, puisque, au bénéfice d’une croissance assez tonique (2,5?% par an en moyenne), de nombreux emplois ont été créés (6,5 millions) et le taux de chômage a pu descendre au-dessous de 4?% pour atteindre un plus bas niveau historique ; le cours des actions a beaucoup monté (+45?% pour l’indice Standard & Poor’s 500), une performance appréciable aux yeux de l’électorat républicain, plus généralement dans un pays où le système des retraites repose essentiellement sur la capitalisation. Au moment d’être élu, l’actuel président avait toutefois hérité d’une situation que son prédécesseur, Barack Obama, avait déjà largement redressée. Et si les bonnes tendances économique et boursière ont pu être confortées, c’est au prix d’un endettement record des entreprises comme de l’État fédéral. Car avant même que la pandémie de coronavirus ne les fasse exploser, les déficits publics ont connu, sous Donald Trump, leur plus importante dérive hors période de récession ou de guerre. Il s’agit là d’une conséquence de la réforme fiscale de décembre 2017, qui a considérablement fait baisser les impôts et a abouti à priver l’État fédéral d’un potentiel de USD 1?000 milliards de recettes sur dix ans. Les allègements fiscaux ayant surtout bénéficié aux Américains les plus fortunés, les inégalités se sont creusées. Le Congressional Budget Office (CBO) estime que, de 2016 à 2021, les gains en pourcentage après impôts auront été deux fois et demi plus élevés chez les ménages du quintile supérieur des revenus (les 20 % le plus aisés) que chez ceux du quintile inférieur (les 20?% les plus pauvres).
L’augmentation des droits de douane, qui ont plus que doublé sous Donald Trump, aura produit des effets ambigus. Si les déficits vis-à-vis de la Chine - la première visée - ont été réduits, c’est au prix d’une contraction des achats dans les deux camps, simplement plus marquée aux États-Unis. L’effet prix (l’appréciation du dollar face au yuan), ainsi que le début d’atterrissage de l’économie américaine à partir de l’automne 2018 (avec un frein mis sur les importations) ont aussi joué un rôle dans la correction du déficit commercial. Chiffré à USD 854 milliards en 2019, celui-ci reste malgré tout considérable et plus important que celui trouvé par D. Trump au moment de son investiture, en 2017.
L’administration Trump a, enfin, beaucoup privilégié le court terme et, pour doper la croissance, affaibli bon nombre de normes sanitaires et environnementales. Les universités de Harvard et Columbia mènent, sur ce terrain, un recensement, qui indique qu’une centaine de dispositifs ou lois ont été attaqués, qui vont des limites imposées aux émissions de gaz polluants des véhicules ainsi qu’aux rejets de sites industriels, à la préservation des espaces naturels, en passant par les obligations déclaratives des entreprises.
L’environnement fait partie de ces nombreux domaines où les programmes deux candidats s’opposent. Sans surprise, Donald Trump reste résolument favorable au développement des énergies fossiles, y compris le charbon, tandis que Joe Biden annonce que les États-Unis réintègreront l’Accord de Paris sur le climat dès lors qu’il sera élu. Sur le plan de la politique commerciale, Trump enfonce le clou de l’America first et annonce, sans plus de précision, un « découplage » États-Unis - Chine. Joe Biden est sur une ligne a priori moins hostile mais pas forcément plus conciliante. Très critique à l’égard des droits de douane imposés à la Chine (une « taxe sur les entreprises et les ménages américains »), il n’envisage cependant pas de les réduire sans contreparties de Pékin. Vis-à-vis de l’Union européenne, l’attitude démocrate s’annonce, en revanche, plus coopérative, ce qui a pu se voir dans les critiques adressées par la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi au gouvernement britannique concernant sa gestion du Brexit. D’une manière générale, Joe Biden reste un partisan convaincu du multilatéralisme, ce qui ne veut pas dire que sa politique sera exempte de toute forme de protectionnisme.
Déjà, sous Obama, beaucoup de barrières non-tarifaires au commerce avaient été érigées, tandis qu’une forme de préférence nationale s’était exprimée au travers de l’American Recovery and Reinvestment Act de 2009. Joe Biden annonce, pour sa part, vouloir encourager fiscalement le Made in US en surtaxant à 10 % le résultat des filiales étrangères de groupes américains réalisé sur le territoire économique national. Il dit aussi vouloir porter l’impôt sur les sociétés de 21 % à 28 %, et le taux marginal d’imposition sur les plus hauts revenus de 37 % à 39,6 %.