On dit que le consensus de Davos a toujours tort, mais il faut généralement plus de deux mois pour le vérifier. Pas cette année.
La semaine de l'investiture du Président américain, les élites mondiales, réunies dans les Alpes suisses, se montraient enthousiastes à l’égard des perspectives de l'économie américaine sous le second mandat de Donald Trump. Et il en allait de même des ménages américains et des dirigeants de petites entreprises, selon les enquêtes de confiance. Les marchés boursier et obligataire américains abondaient dans le même sens, le premier atteignant un record historique cette semaine-là et le taux des obligations du Trésor à 10 ans touchant les 4,79 % quelques jours plus tôt, son deuxième niveau le plus élevé depuis 2008.
Entre-temps, après la sous-performance historique de l'indice STOXX Europe 600 par rapport au S&P 500 en 2024 (de -23 % en dollars), le consensus prévoyait un euro prochainement à parité avec le dollar. L'économie de la zone euro, déjà morose, était considérée comme mal préparée à absorber le choc de la hausse imminente des droits de douane annoncée par Trump. La question du risque de récession en Europe était récurrente.
Aujourd'hui, le risque de récession est de nouveau d'actualité, mais cette fois à propos de l'économie américaine. Les taux d'intérêt américains à 10 ans se sont effondrés, tandis que les taux européens se sont envolés et que l’euro s’est apprécié de plus de 5% par rapport au dollar depuis le 1er janvier. Par ailleurs, les performances des marchés boursiers respectifs se sont inversées (voir graphique). Aux États-Unis, les indicateurs de confiance des ménages et des entreprises se retournent, parfois brutalement, alors qu'ils commencent à s'améliorer en Europe.
LES MARCHÉS BOURSIERS ET OBLIGATAIRES ONT INVERSÉ LEURS ATTENTES DE CROISSANCE ENTRE L’EUROPE ET LES ÉTATS-UNIS
Comment expliquer ce retournement soudain, et est-il justifié ? De part et d'autre de l'Atlantique, les évolutions sont allées à l'encontre des attentes. Les investisseurs américains avaient retenu les friandises - réductions d'impôts et déréglementation - du programme économique de Donald Trump. À l’inverse, ils ont eu droit au vinaigre : droits de douane massifs à l’encontre des principaux partenaires commerciaux des États-Unis et coupes dans les dépenses et les emplois fédéraux ; le fait que ces deux politiques aient été mises en œuvre de manière très discrétionnaire, et donc imprévisible, a fait grimper l'incertitude et a amplifié leur effet refroidissant sur l'activité.
Pendant ce temps, en Europe, l'urgence soudaine de renforcer les capacités militaires a entraîné un changement de mentalité historique, tant en Allemagne, sa plus grande économie et l'une des plus frugales, qu'au niveau de l'Union européenne. Cette semaine, le Parlement allemand devrait approuver un plan prévoyant un investissement supplémentaire de EUR 1 000 mds dans les infrastructures et la défense sur les dix prochaines années. En outre, la Commission européenne a proposé des réformes qui permettraient d’augmenter les dépenses de défense de 800 milliards d'euros. La croissance allemande pourrait ainsi tripler en 2025 (en partant d’une base certes faible), et le PIB de la zone euro devrait augmenter de plusieurs décimales.
Cette tendance va-t-elle perdurer ? Une certaine réévaluation était probablement inévitable. Depuis novembre dernier, les marchés n'avaient pris en compte que les bonnes nouvelles de la politique économique de Trump, écartant les mauvaises. À l'inverse, les attentes à l'égard de l'Europe étaient devenues si invraisemblablement basses qu'il suffisait de faire preuve d'un minimum de volonté d'action pour les dépasser. Cela dit, les États-Unis ont entamé l'année 2025 avec un acquis de croissance de 1%, un marché du travail très solide et des niveaux de confiance élevés parmi les ménages et les entreprises. Mais des signes de ralentissement apparaissent : les ventes au détail baissent, les impayés des cartes de crédit et des prêts aux entreprises s’envolent, l'optimisme concernant les conditions du marché du travail fléchit et les intentions d'investissement se réduisent. Dans le même temps, l'inflation reste élevée et les anticipations d'inflation augmentent rapidement, ce qui empêche la Fed de réduire ses taux. En Europe, en revanche, la plupart des indicateurs semblent s’améliorer. Toutefois, ils partent d'un niveau beaucoup plus bas, ce qui est symptomatique d'une économie qui fonctionne encore en sous-régime dans l'ensemble. Cela réduit les pressions inflationnistes. Par conséquent, la BCE devrait procéder à deux nouvelles baisses de taux cette année. La suite dépendra des politiques budgétaires et structurelles de part et d’autre de l’Atlantique.
L’autosatisfaction n’est pas de mise, ni aux US, ni en Europe. L'économie américaine reste forte mais elle n'est pas invincible. Si l'incertitude politique devait se maintenir aux niveaux record atteints récemment, voire s'intensifier, un ralentissement beaucoup plus brutal n'est pas à exclure. Quelques mois d'hésitation, dans les décisions de consommation et d'investissement, peuvent être absorbés sans que la croissance devienne négative dans une économie qui a commencé l'année aussi fortement que celle des États-Unis. Mais une pause plus longue de l'activité pourrait faire basculer l'économie dans un environnement récessif.
À l'inverse, l'Europe ferait bien de résister à la tentation de succomber à la Schadenfreude. Les récents développements politiques fournissent beaucoup de raisons d'être optimiste. Toutefois, une partie de l'impulsion donnée à la croissance à court terme permettra seulement de compenser le vent contraire que constituent les droits de douane américains, et il reste encore beaucoup à faire pour stimuler la croissance de manière significative à moyen terme. Les accords politiques visant à autoriser des investissements publics importants constituent une première étape nécessaire et bienvenue. Mais ce n'est pas tout. Il faut maintenant exécuter rapidement dans ce domaine et s’agissant de tous les autres leviers de croissance identifiés dans la « Boussole de compétitivité » et le plan « Rearm Europe » de la Commission européenne. Sinon, l'optimisme retrouvé à propos du potentiel de l'Europe fera long feu.