Edito

Le lent dégonflement du marché du travail américain

11/04/2023
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Le message général des derniers indicateurs relatifs au marché du travail américain est celui d’un ralentissement qui se poursuit de manière progressive. Le rythme des créations d’emplois demeure élevé, de même que celui de la progression des salaires. Le taux de chômage a légèrement baissé tandis que le taux d’activité remonte. Les difficultés de recrutement restent importantes à en juger le niveau, en recul mais toujours très élevé, du ratio entre le nombre de postes vacants et le nombre de chômeurs. Le signal des enquêtes de confiance est plus contrasté. La progressivité du ralentissement du marché du travail fonde la Réserve fédérale à poursuivre son resserrement monétaire. Une nouvelle – et probablement dernière – hausse de 25 pb du taux des Fed funds est attendue en mai.

Que nous dit le marché du travail américain du ralentissement de l’économie ? Est-ce qu’il renforce ou fragilise l’anticipation d’une nouvelle (et dernière ?) hausse des Fed funds lors de la prochaine réunion de la Réserve fédérale les 2 et 3 mai ? La bonne tenue du marché du travail américain a joué un rôle important jusqu’ici dans la résistance de la croissance et de l’inflation face au resserrement monétaire, en particulier via la dynamique des salaires. La publication du rapport sur l’emploi pour le mois de mars et d’une série d’autres statistiques relatives au marché du travail est l’occasion de faire le point.

États-Unis : rythme des embauches

Le message général est celui d’un ralentissement qui se poursuit de manière progressive. En moyenne mobile sur 12 mois, le rythme mensuel des créations d’emplois salariés non agricoles rend compte de cette décélération graduelle : il est passé de près de 600 000 nouveaux postes au printemps 2022 à 350 000 en mars 2023 (graphique 1). Cependant, les 236 000 créations nettes d’emplois enregistrées en mars restent à un rythme mensuel toujours très élevé comparativement au rythme mensuel moyen d’environ 185 000 au cours des trois cycles précédents[1]. Parmi les détails sectoriels qui retiennent notre attention, on signalera les destructions nettes d’emplois enregistrées dans le secteur de la construction en mars. Elles sont peu importantes (-9k) mais un chiffre aussi négatif n’avait pas été observé depuis mai 2021. En outre, ce pourrait être le premier d’une (longue ?) série compte tenu des autres signaux négatifs apparus sur le marché immobilier américain. Avec ces destructions, l’ensemble du secteur des biens bascule dans le rouge (-7k) pour la première fois depuis avril 2021. Du côté des services, le commerce de détail se démarque avec un retour des pertes nettes d’emplois (-15k) après trois mois positifs.

États-Unis : nombre d'emplois vacants rapporté au nombre de chômeurs

Le taux de chômage, qui oscille légèrement depuis 1 an autour d’un niveau historiquement bas (environ 3,5%), a évolué en mars à la baisse. Ce reflux est peu important (-0,1 point) mais il constitue un signal positif fort dans le contexte actuel, d’autant plus qu’il repose sur une progression de l’emploi plus importante que celle de la population active. Un autre signal positif réside dans le taux d’activité qui remonte depuis décembre 2022 : s’il est encore très loin de ses plus hauts de la fin des années 1990 (67%), il se rapproche désormais de son niveau moyen d’avant-Covid (63%). Si la remontée se poursuivait, les tensions de recrutement et la pression à la hausse sur les salaires qui en découle devraient se réduire, aidant en cela la Fed dans sa lutte contre l’inflation. En baisse en février, le ratio entre le nombre d’emplois vacants et le nombre de chômeurs reste toutefois très élevé, ce qui suggère des difficultés de recrutement encore aigues (graphique 2). Cependant, la remontée du taux d’activité est de nature à entraîner à la hausse le taux de chômage dans le contexte actuel de ralentissement des créations d’emplois. Pour le moment, le taux de chômage a seulement cessé de baisser. Mais, en variation sur un an, son recul est désormais quasi nul, une évolution à surveiller car elle pourrait se transformer en signal récessif. Historiquement, on observe en effet une concomitance entre l’entrée en récession de l’économie américaine et une hausse du taux de chômage sur 1 an (plus exactement de sa moyenne mobile sur 3 mois) d’au moins un demi-point (graphique 3).

États-Unis : taux de chômage et récession

Le signal des enquêtes de confiance est plus contrasté. La composante « emploi » des enquêtes ISM s’est notamment nettement détériorée en mars : -2,2 points, à 46,9, dans le secteur manufacturier et -2,7 points, à 51,3, dans le secteur non manufacturier. De plus, selon l’enquête de la NFIB (National Federation of Independent Business), le pourcentage net de PME indiquant prévoir une hausse de leurs effectifs est en forte baisse depuis la mi-2021. Compte tenu du point de départ élevé, ce mouvement correspond à une forme de retour à la normale, qui ne doit pas nécessairement inquiéter. Toutefois, le niveau atteint en mars (15%) correspond aussi à celui observé par le passé en haut de cycle, avant que l’économie entre en récession. Les responsables des ressources humaines interrogés en début d’année par le Conference Board se montraient, en revanche, toujours confiants, dans leurs projets de recrutement et de rétention de main d’œuvre à l’horizon des prochains mois[2]. L’appréciation des ménages reste également plutôt bonne : en mars, ils étaient encore près de 50% à considérer les emplois comme abondants et 10% à penser qu’ils sont difficiles à trouver (ce qui est historiquement élevé pour le premier et faible pour le second pourcentage).

États-Unis : indicateur de croissance des salaires et salaires horaires nominaux

Enfin, comme l’emploi, le rythme de progression des salaires ralentit mais reste élevé (graphique 4). La décélération est plus nette selon l’indicateur du salaire horaire moyen nominal du BLS (qui frôlait les +6% en glissement annuel en mars 2022, avant de redescendre à +4,2% en mars 2023) que selon le wage tracker de la Fed d’Atlanta (pic à près de +7% en glissement annuel en juin 2022, reflux à +6,1% en mars 2023). Derrière cette décélération assez limitée, on notera néanmoins le contraste important entre la progression des salaires des job stayers (en rebond en février) et des job switchers (net freinage).

Au final, l’ensemble de ces évolutions confirme le ralentissement du marché du travail américain, et, derrière cette décélération, le rôle et l’efficacité du resserrement monétaire engagé par la Fed, mais pas au point de la décourager d’augmenter à nouveau, d’un quart de point, le taux des Fed funds lors de sa prochaine réunion, début mai. Le ralentissement reste progressif tandis que les créations d’emplois et la croissance des salaires se maintiennent sur des rythmes relativement élevés.

Si l’on file la métaphore automobile, l’économie américaine serait une voiture et le marché du travail ses quatre pneus. Surgonflés, ceux-ci crèvent sous l’effet du resserrement monétaire. Dans un premier temps, le dégonflement est lent et maîtrisé mais l’arrêt total de la voiture, du fait de la crevaison, paraît inéluctable. Le défi pour la Fed est que les pneus ne soient pas trop endommagés et que l’arrêt soit le plus court possible et suffisant pour endiguer l’inflation. En attendant, d’autres facteurs entreront en ligne de compte dans la prochaine décision de la Fed, et probablement de manière plus importante, notamment l’enquête d’avril sur les conditions d’octroi de crédit (SLOOS) et ce qu’elle dira de l’ampleur de leur durcissement.

Hélène Baudchon

[1] 1991-2001, 2001-2007, 2010-2019.

[2] Survey: HR Leaders Are Confident About Hiring and Retaining (conference-board.org), 04 avril 2023

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