Eco Conjoncture

Afrique du Sud : une reprise économique fragile

14/06/2022

Après une contraction sans précédent en 2020, le fort rebond de l’activité économique en 2021 n’a pas permis à l’Afrique du Sud de renouer avec son niveau de PIB d’avant-crise, contrairement à la plupart des pays émergents. En 2022, l’activité devrait rester modérée et la croissance inférieure à 2% à moyen terme. Les perspectives économiques demeurent largement contraintes par la nécessité d’une consolidation budgétaire, le climat social et politique tendu et, de façon structurelle, par les fortes contraintes pesant sur les infrastructures, en particulier l’approvisionnement en électricité. Le choc induit par le conflit en Ukraine pourrait par ailleurs compliquer les efforts d’assainissement budgétaire engagés. La hausse des prix alimente les difficultés et les attentes de la population envers un soutien des autorités (subventions, hausse des salaires, etc.).

Or, un possible dérapage budgétaire pourrait creuser encore davantage la dette dont le niveau, la dynamique et le coût inquiètent déjà. Bien que la hausse des prix des matières premières devrait permettre des retombées fiscales et une hausse des revenus d’exportation, les facteurs de risque sont nombreux. La reprise est menacée et la détermination des autorités à poursuivre le processus de réforme sera déterminante pour renforcer la confiance des investisseurs, dynamiser la croissance et améliorer l’équilibre budgétaire.

Des perspectives économiques peu favorables

Avant la pandémie de Covid-19, l’Afrique du Sud affichait déjà une croissance atone. Elle a pesé sur le profil de risque de l’Afrique du Sud, en exacerbant la pauvreté et les inégalités et en affaiblissant les finances publiques. Le choc de la pandémie en 2020 a été inédit (graphique 1) et, bien que la croissance économique ait rebondi en 2021 (+4,6%), l’économie sud-africaine n’avait pas retrouvé ses niveaux d’activité antérieurs à la Covid-19 à la fin de l’année. La reprise économique de l’Afrique du Sud est fragile et le potentiel de croissance du pays reste fortement entravé par des contraintes structurelles.

Des obstacles économiques durables et un faible potentiel de production

Après des années réussies de démocratisation, de croissance économique et de baisse du taux de pauvreté, les années de la présidence de Jacob Zuma (2009-2018) ont marqué un tournant. L’apparente résilience à l’issue de la Grande Crise Financière (GCF) a débouché sur une profonde stagnation. La croissance économique a atteint à peine 1% en 2015/2019, se situant en deçà de son potentiel déjà très faible, tout comme la croissance démographique moyenne annuelle (+1,5% entre 2015 et 2019). Par conséquent, le revenu par habitant a diminué (-2,5% en termes de parité de pouvoir d’achat) et exacerbé les niveaux déjà très élevés de pauvreté et d’inégalité.

UNE CROISSANCE FAIBLE

CROISSANCE DU PIB RÉEL PAR SECTEUR

Des contraintes politiques et structurelles durables ont fortement entravé l’activité économique. La faiblesse des infrastructures a limité la productivité et la croissance économique pendant des années, et le secteur minier a progressivement perdu en importance au profit du secteur tertiaire. Le manque d’investissements et les lacunes des entreprises d'État en matière de performance opérationnelle ont entraîné une augmentation des goulots d’étranglement en matière d’énergie, de transport et de communication. Le taux d’investissement est passé de 21% du PIB en 2007 à 17% en 2019. Cette baisse est principalement due à la chute des investissements privés (de 15% du PIB en 2007 à 12% en 2019).

Les scandales de corruption, la pénurie de compétences et la rigidité du marché du travail ont affaibli la confiance des investisseurs privés et le climat général des affaires, bien que la qualité globale des institutions du pays reste meilleure que celle des pays voisins. La méfiance à l’égard de la classe politique a également progressé dans un contexte de contrôle accru et de concentration des ressources ; les obstacles au développement des entreprises publiques ont particulièrement pesé sur leur compétitivité et leurs performances. Le durcissement de la réglementation du marché, la montée en puissance d’acteurs dominants et les entreprises d’Etat dans les secteurs stratégiques sont identifiés comme les principaux facteurs qui découragent les investissements et brident le dynamisme de l’économie.

En 2018, les défis structurels du pays ont perduré après l’accession au pouvoir de Cyril Ramaphosa. Des conditions favorables aux réformes ont commencé à émerger, mais ces dernières tardent à se mettre en place.

Un choc violent

La crise de la pandémie est apparue dans ce contexte d’affaiblissement des fondamentaux économiques. Les effets directs de la baisse de la demande mondiale et du confinement du pays ont entraîné une contraction inédite du PIB de -6,4% en 2020.

Le virus a commencé à se propager à travers le pays en mars 2020 et a conduit les autorités à imposer un confinement strict tout en déclarant un état de catastrophe national. En raison des mesures et des restrictions drastiques, seuls les services et les entreprises essentiels pouvaient fonctionner. La demande des ménages a évidemment été touchée, chutant de 20% en glissement annuel au deuxième trimestre 2020, tandis que les pénuries et les fréquentes coupures de courant ont pesé sur l’offre. Le choc sur le secteur exportateur a été tout aussi fort compte tenu de la forte baisse de la demande mondiale. Les exportations de l’Afrique du Sud ont ainsi chuté de plus de 30% en glissement annuel au T2 2020.

L’activité économique s’est légèrement redressée au deuxième semestre 2020 et au premier semestre 2021 avec l’assouplissement progressif des restrictions (graphique 3), mais les nouvelles vagues d’infections (graphique 4) ont continué de peser sur la demande. Fin 2021, la dernière vague du variant Omicron a conduit le gouvernement à imposer de nouvelles restrictions au quatrième trimestre. À ce jour, environ 3,7 millions de personnes ont été infectées par le virus (6,5% de la population totale), ce qui a entraîné plus de 100 000 décès. L’Afrique du Sud se classe parmi les pays les plus vaccinés de la région. Pourtant, le taux de vaccination reste assez faible, seulement 35% de la population (44% des adultes) ayant reçu une injection.

UNE FORTE CONTRACTION DU PIB
AMÉLIORATION DE LA SITUATION LIÉE AU COVID-19

La reprise du premier semestre 2021 a également été freinée par les émeutes au cours de l’été. D’un point de vue sectoriel, elle est restée très inégale : la production minière a retrouvé son niveau d’avant la pandémie, soutenue en partie par les prix des matières premières nettement plus élevés, tandis que des secteurs comme le bâtiment, le transport et le commerce sont toujours à la traîne. Les créations d’emplois sont en effet restées faibles alors qu’il s’agit de secteurs à forte main-d’œuvre. Contrairement à la plupart des pays émergents, l’économie sud-africaine n’avait pas retrouvé son niveau d’activité pré-Covid fin 2021.

Une reprise fragile

En 2022, le pays est confronté à un nouveau choc, celui de la guerre en Ukraine, dans ce contexte de reprise incomplète et fragile. Le rythme de la reprise devrait ralentir en 2022. La composante exportation devrait globalement profiter du cycle des prix des matières premières bien qu’en termes de volumes, les exportations devraient être modérées car les projections de croissance des principaux partenaires commerciaux de l’Afrique du Sud ont été révisées à la baisse.

Le choc sur la demande intérieure devrait être important. En plus de nuire à la confiance des investisseurs, la guerre en Ukraine alimente une pression sur l’inflation sud-africaine, ce qui devrait réduire le pouvoir d’achat des ménages. Bien que l’Afrique du Sud ait peu de liens directs avec l’Ukraine et la Russie (0,8% des importations totales en 2020), son statut d’importateur net d’hydrocarbures et de céréales l’expose à une augmentation générale des prix et aux perturbations des chaînes d’approvisionnement. L’ampleur de la dynamique inflationniste dépendra des effets de second tour et de l’évolution du conflit.

En attendant, il convient également de surveiller de près l’évolution de la situation Covid-19 : l’état de catastrophe nationale et la majeure partie des restrictions ont été levés début avril, mais le risque épidémique reste présent.

À moyen terme, le potentiel de croissance économique de l’Afrique du Sud devrait rester faible, car freiné par le ralentissement structurel de la productivité et les obstacles à l’investissement. De plus, l’inefficacité des entreprises d’État (plus de 700 entreprises publiques opèrent au niveau national) continuera à peser sur la croissance car elle pèse sur les finances publiques (absorption des ressources fiscales au dépend de l’investissement public).

Les entreprises publiques, qui se concentrent dans des secteurs clés tels que l’électricité (Eskom) ou les transports (Transnet, South African Airways), sont expliquent en grande partie la faible croissance économique de l’Afrique du Sud. Plus particulièrement, les coupures de courant importantes, subies par les entreprises et les ménages, et la détérioration de la situation financière et des capacités de production de Eskom sont à l’origine de pertes d’exploitations significatives depuis 2019.

À moyen terme, la croissance réelle du PIB devrait à peine atteindre 2% par an, même dans un scénario relativement positif où le gouvernement parviendrait à renforcer ses comptes publics et à mettre en œuvre des réformes visant à soutenir la productivité totale des facteurs et à lever les contraintes structurelles qui pèsent sur l’activité économique.

Un climat sociopolitique tendu

L’héritage de l’Afrique du Sud reste très prégnant, avec une société caractérisée par de grandes inégalités en matière de revenus et d’opportunités d’emploi, ainsi qu’un taux de pauvreté très élevé. La situation s’est aggravée au cours des dernières années et s’est encore davantage détériorée depuis le choc de la Covid. Le risque d’instabilité sociale est élevé, comme l’ont illustré de violentes manifestations en juillet 2021. Le climat sociopolitique devrait par ailleurs se tendre à l’approche des élections générales de 2024. D’ici là, l’attention sera tournée vers le sommet de l’ANC prévu en décembre 2022, qui rendra publics l’agenda et les objectifs du parti.

Frustrations et inquiétudes accrues

La société sud-africaine se caractérise par un lourd héritage en termes d’inégalités, et de niveaux de pauvreté et de chômage très élevés, qui alimentent la frustration sociale. Malgré la démocratisation réussie de la fin des années 1990, les années de croissance du PIB ne se sont pas traduites par une augmentation du PIB par habitant, et la société est restée l’une des plus inégalitaires au monde1. Les inégalités de chances sont considérées comme à l’origine de 30?% des inégalités de revenus en Afrique du Sud. Héritage de l’apartheid2, les divisions raciales (la population noire représentant 80% de la population) explique encore les grandes fractures au sein de la population. Les efforts mis en œuvre pour redistribuer les richesses ont largement échoué.

Les fractures au sein de la population se sont aggravées avec la crise du coronavirus, qui a exacerbé le climat social déjà tendu. À cet égard, les évènements violents de juillet 2021 (considérés comme les plus violents depuis la fin de l’apartheid) ne peuvent être considérés comme de simples événements isolés.

Le revenu disponible moyen a diminué de façon drastique en 2020 et 1,8 million d’emplois ont été détruits. Le taux de chômage a atteint un niveau record de 35,3% au T1 2021 (graphique 5), avec une surreprésentation des jeunes et des femmes.

La récession de 2020 a semble-t-il eu des effets durables sur le marché du travail avec un nombre important de personnes ayant quitté le marché du travail (le taux de participation est tombé à 56,3% au T4 2021 contre 59,8% au T4 2019). Plus d'un million de personnes sont tombées dans la pauvreté par rapport à 2019, et les inégalités ont atteint des niveaux sans précédent avec une répartition des revenus fortement biaisée en faveur des plus riches : les 10% les plus riches de la population détenaient 70% de la richesse du pays en 2021 (contre 62% il y a 10 ans).

EXPLOSION DU TAUX DE CHÔMAGE

La confluence de ces facteurs augmente la frustration sociale, d’autant plus que la hausse généralisée des prix devrait peser sur le pouvoir d’achat des Sud-africains. Les syndicats des travailleurs miniers sont actuellement en grève et des négociations sur les salaires publics sont en cours. L’issue des négociations risque de créer un certain mécontentement même si le gouvernement renonce à geler les salaires et accorde une augmentation nominale des salaires légèrement supérieure à celle initialement prévue.

Les manifestations de la société civile constitueraient un frein important à la croissance, les risques étant doubles. Tout d’abord, elles risqueraient de perturber les infrastructures et les canaux d’approvisionnement clés. Deuxièmement, elles décourageraient l’investissement en affaiblissant la confiance du secteur privé. Les émeutes qui ont éclaté en juillet ont ainsi causé USD 1,7 md de dommages.

BAISSE DU SOUTIEN À L’ANC

Un parti au pouvoir fragilisé

Outre le climat social déjà tendu, l’ANC, le parti au pouvoir, est confronté à des divisions internes croissantes, qui entravent son leadership politique, sa coordination et son efficacité. Élu en 2018 sur la promesse de lutter contre la corruption endémique qui a culminé à l’époque du président Jacob Zuma, Cyril Ramaphosa a vu la popularité de son gouvernement décliner depuis son accession au pouvoir. La popularité de l’ANC semble actuellement au plus bas depuis sa création en 1994, comme en témoigne la diminution progressive de ses derniers résultats électoraux (graphique 6). Le parti n’a recueilli que 46% du total des voix lors des dernières élections locales et pour la première fois depuis sa création, il est passé sous la barre des 50%.

L’élection des dirigeants du parti en décembre 2022 sera décisive pour rétablir une stratégie claire ainsi que l’unité du parti avant les prochaines élections présidentielles de 2024. Cela sera essentiel (bien qu’insuffisant) pour accélérer les réformes structurelles en Afrique du Sud.

Finances publiques : des facteurs cycliques positifs, mais des perspectives préoccupantes à moyen terme

Les finances publiques de l’Afrique du Sud se sont fortement détériorées ces dernières années dans un contexte de croissance anémique, de baisse de la productivité et d’augmentation continue des dépenses publiques.

Une situation budgétaire fragile exacerbée par la pandémie

Le décrochage de l’activité économique a fait bondir le déficit budgétaire, qui est passé de -4,1% du PIB durant l’exercice 2014/15 à -6,1% durant l’exercice 2019/20 (graphique 7). De même, le ratio dette publique/PIB a gagné plus de 20 points de pourcentage sur la même période. Alors que les montants de dépenses budgétisées représentaient le principal moteur de cette dynamique, la faible croissance du PIB réel, l’inflation et le faible contrôle des entreprises d’État sont également à l’origine de cette détérioration.

L’arrivée du gouvernement de Cyril Ramaphosa en 2018 a alimenté les espoirs d’ajustement fiscal et de rééquilibrage budgétaire. Pourtant, les attentes en matière de redressement ont rapidement été anéanties. Compte tenu de la rigidité des dépenses et de la nécessité d’améliorer la protection sociale, les autorités ont mis l’accent sur l’augmentation des recettes. Malgré les réformes mises en place (augmentation de la TVA, adaptation des tranches d’imposition, etc.), la situation a continué de se détériorer, avec notamment une augmentation significative de la masse salariale du secteur public.

DÉGRADATION CONTINUE DE LA BALANCE BUDGÉTAIRE
VARIATION DES PRINCIPAUX POSTES DE DÉPENSES

Cette dernière a connu une croissance plus lente que lors de l’ère de Jacob Zuma, mais affiche toujours une progression annuelle moyenne de plus de 2% en termes réels en 2018/19 et 2019/20) tandis que le coût du service de la dette a également fortement progressé (plus de 12% en moyenne annuelle). Par ailleurs, en 2019, le plan de sauvetage d’Eskom, la compagnie d’électricité publique, pour près de ZAR (Rand sud-africain) 60 mds (1% du PIB) a encore creusé le déficit.

Le glissement budgétaire s’est accéléré au cours des trois dernières années. En 2020, face à une récession économique sans précédent, les autorités ont maintenu et étendu leur politique économique expansionniste avec un vaste plan de relance. Estimées à 500 milliards de ZAR (USD 27 mds, 10% du PIB), les mesures comprenaient un important soutien aux entreprises (via des réductions d’impôts et des prêts garantis par l’État) et aux ménages (soutien temporaire des revenus par le biais d’allocations sociales) ainsi qu’un système de prêts bancaires assortis de garanties d’État.

Le déficit s’est ainsi creusé à 9,9% du PIB sur l’exercice 2020/21 tandis que la taille des passifs éventuels atteignait 20,3% du PIB (contre 15% en moyenne sur les cinq exercices précédents). Dans ce contexte, le gouvernement a dû trouver de nouvelles ressources avec l’objectif de limiter l’augmentation du coût de financement. À cet égard, la stratégie de financement du gouvernement s’est davantage appuyée sur les émissions obligataires domestiques (plus de 80% du financement total sur les 2 dernières années), la liquidation de réserves en trésorerie, et sur le soutien des créanciers publics via des lignes de crédit à faible taux d'intérêt (notamment la RFI du FMI de USD 4,3 mds).

L’optimisme des prévisions budgétaires doit être tempéré

En 2021, dans un contexte de reprise, le déficit a été légèrement réduit, mais le taux d’endettement public a continué à augmenter. Pour l’exercice à venir, le gouvernement a publié fin février dernier des prévisions budgétaires plus favorables que celles de fin 2021. Cet optimisme a été principalement alimenté par des facteurs cycliques, tandis que les vulnérabilités structurelles persistent.

Premièrement, le budget est basé sur des projections relativement optimistes de croissance du PIB réel, de 1,9% en 2022/23 et de 1,7% en 2023/24. Il a cependant été élaboré avant le début de la guerre en Ukraine et la croissance économique pourrait être plus faible (+1,5% pour l’exercice 2022/23).

TABLEAU DE FINANCEMENT BUDGÉTAIRE

Le département du Trésor ne prévoit aucune réduction du déficit pour l’exercice 2022-2023 (clôture de l’exercice en mars 2023), avec un déficit de 6% du PIB malgré la hausse des prix des matières premières qui devrait doper les recettes fiscales. En revanche, le gouvernement n’envisage pas d’augmenter les taxes sur les carburants, car il ne veut pas aggraver la hausse des prix du pétrole brut sur les prix à la pompe.

Du côté des dépenses, le gouvernement a maintenu sa proposition de contrôler les dépenses courantes, avec une augmentation de 4% par rapport à l’année précédente. Cela reflète une hausse des programmes de protection sociale et le prolongement de l’allocation sociale unique (ZAR 350 par personne) mise en place pendant la pandémie. Pour le moment, cette subvention de ZAR 350 n’a été étendue que jusqu’en mars 2023, pour un coût total estimé à ZAR 44 mds (0,7% du PIB). La stratégie de consolidation des dépenses dépend principalement du contrôle des salaires du secteur public (qui représentent près de 35% des dépenses courantes totales) et d’un évitement des transferts supplémentaires en soutien des entreprises publiques. Il demeure en effet essentiel de contenir ces dépenses car le coût du service de la dette reste la dépense qui croît le plus rapidement (+12% par an en moyenne en 2022/23 et 2023/24), dépassant largement le taux de croissance prévu du PIB nominal.

Une dynamique d’endettement inquiétante et une hausse du risque de refinancement

Malgré la hausse de l’inflation, la dette publique devrait atteindre plus de 75% du PIB. Un tel ratio d’endettement sera difficile à stabiliser malgré un déficit budgétaire primaire modéré (hors charges d’intérêts) et des prévisions qui appellent à un retour à l’équilibre budgétaire à partir de l’exercice 2023/2024.

DÉTENTEURS DES BONS DU TRÉSOR

Le risque de refinancement est modéré à court terme, atténué notamment par la structure de la dette : la maturité moyenne est de 12 ans, seulement 10% de la dette totale est libellée en devises étrangères et la part de la dette en devise locale détenue par les non-résidents est de 28% (contre près de 38% fin 2018) (graphique9). Néanmoins, les besoins de financement fiscal avoisineront 20% du PIB au cours de l’exercice 2022/23. De plus, les conditions et la dynamique du marché obligataire sont plutôt défavorables. Le pays bénéficiera toujours du soutien des créanciers multilatéraux, à l’image du prêt de USD 750 millions accordé par la Banque mondiale début 2022. Néanmoins, l’Afrique du Sud n’a traditionnellement par recours à de telles institutions et la dépendance à l’égard de ces créanciers concessionnels devrait rester très limitée dans le temps et de faible portée.

Pour couvrir leurs besoins de financement, les autorités prévoient surtout de recourir au marché obligataire domestique. Cela financera 78% du financement total au cours de l'exercice 2022/23, tandis que les prélèvements sur les dépôts et les réserves de trésorerie représenteront environ 22 % du total.

Sur le marché obligataire domestique, la courbe des rendements est plus élevée qu’avant la pandémie, ce qui indique des coûts d’emprunt plus élevés sur toutes les échéances, et elle s’est pentifiée, avec des rendements à court terme ayant chuté davantage que les rendements à long terme en 2020 : la courbe des rendements est depuis restée plus prononcée (graphique 10). Cela implique pour le gouvernement un arbitrage pour couvrir ses besoins de financement, avec un compromis entre contenir le coût de la dette publique (en choisissant des échéances à court terme) et contenir le risque de refinancement (en conservant autant que possible les échéances à long terme).

En parallèle, les spreads de crédit de la dette sud-africaine libellée en devises étrangères ont fortement augmenté et restent bien au-dessus de leur niveau datant de l’épidémie. Le 12 avril dernier, la dernière émission d’euro-obligations d’Afrique du Sud a montré que les conditions de marché s’étaient nettement détériorées.

Enfin, l’augmentation des coûts des financements domestiques et externes et la charge croissante des paiements d’intérêts dans le budget national reflètent l’augmentation du risque souverain.

Le risque de refinancement pourrait donc progressivement augmenter à moyen terme. L’écart important entre les taux d’intérêt réels et la croissance du PIB alimente un effet boule de neige négatif, qui pourrait encore se détériorer à court terme (graphique 12). Les intérêts sur la dette sont déjà passés d’environ 9% des revenus après la crise financière de 2010 à plus de 18% des revenus en 2021, et ils devraient continuer à augmenter à mesure que la politique monétaire se durcira.

PENTIFICATION DE LA COURBE DES TAUX DE RENDEMENT
TRAJECTOIRE PÉRILLEUSE DE LA DETTE

Principaux enjeux

Outre les menaces liées au conflit en Ukraine, les plans de consolidation budgétaire du gouvernement continuent de subir à de fortes pressions sur les dépenses. À cet égard, trois aspects pourraient contrecarrer la consolidation budgétaire et empêcher les autorités d’atteindre leurs objectifs de stabilisation de la dette d’ici 2024/25.

Premièrement, la population locale est de plus en plus insatisfaite de la hausse des prix, dans un climat social déjà tendu. Compte tenu des pressions créées par les inégalités de revenus et le chômage historiquement élevé, la subvention ponctuelle introduite en 2020 pourrait être maintenue et d’autres pourraient être mises en place. Par exemple, après avoir décidé de ne pas augmenter les taxes sur les carburants dans le budget, le gouvernement a décidé de réduire la taxe sur les carburants (-40%) début avril afin d’aider la population à faire face à l’augmentation des prix de l’essence. D’abord décidée pour deux mois, cette mesure a récemment été prolongée jusqu’au mois d’août. L’impact sur les recettes fiscales devait initialement être compensé par la vente de réserves stratégiques mais le prolongement de cette subvention pèsera finalement sur le budget?: son coût est estimé à USD 288 millions. Cela illustre la pression exercée par la population sur les autorités et la propension de ces dernières à déployer des subventions.

Deuxièmement, l’environnement actuel pourrait contraindre le gouvernement à revoir à la baisse ses plans de maîtrise du coût de la masse salariale du secteur public. Les syndicats réclament une augmentation annuelle des salaires nominaux de près de 10% (ce qui correspond au taux d’inflation plus 2 points de pourcentage) alors que le budget de l’exercice 2022/23 prévoit une augmentation des salaires d’un peu plus de 2,6%. Les dernières actualités semblent indiquer que le gouvernement concèdera une augmentation du salaire nominal supérieure à son hypothèse budgétaire (+4,5% a priori). L’aboutissement des négociations sera décisif mais l’augmentation demandée par les syndicats impliquerait davantage de mesures pour contenir les dépenses et/ou réduire le personnel.

La crédibilité et l’exécution du cadre budgétaire de l’Afrique du Sud dépendront en partie de la capacité du gouvernement à limiter les dépenses imprévues liées aux entreprises publiques et aux passifs éventuels, qui ont contribué de manière significative à augmenter la charge de la dette du gouvernement. Les passifs des entreprises publiques constituent une charge fiscale importante. Les garanties d’État sur les prêts aux entreprises publiques représentent plus de 10% du PIB. Environ 60% sont détenus par Eskom, dont le rachat de dette représenterait ZAR 330 mds (USD 25,8 mds). Les décisions de restructuration de la dette de l’entreprise publique ont été constamment reportées et l’augmentation tarifaire (9,6%) de l’électricité au cours de l’exercice 2022/23, qui est bien en dessous des 20,5% demandés, ne suffira pas à réduire les difficultés financières d’Eskom.

Les perspectives budgétaires de l’Afrique du Sud restent extrêmement fragiles. À court terme, la croissance temporaire des revenus résultant de la hausse des prix des matières premières à l’exportation pourrait être compensée par une croissance économique et des ajustements budgétaires plus faibles que prévu. À moyen terme, l’effet d’encombrement des déséquilibres budgétaires sur les dépenses d’investissement devrait persister. La dynamique de la dette dépendra essentiellement de la consolidation budgétaire et des réformes visant à dynamiser la croissance.

Un resserrement de la politique monétaire et une volatilité financière accrue

Après des mois de pressions désinflationnistes et de politique monétaire accommodante, la banque centrale (SARB, South Africa Reserve Bank) a commencé à relever son taux directeur en novembre 2021 en raison de l’accélération de l’inflation. Dans les mois à venir, le rythme de la normalisation dépendra de la manière dont les autorités définiront le meilleur compromis entre soutien à la reprise économique et gestion de la poussée inflationniste.

Large assouplissement monétaire pendant la crise

L’inflation des prix à la consommation (IPC) a atteint un niveau historiquement bas pendant la pandémie, passant de 4,5% en glissement annuel en février 2020 à 2,1% en mai 2020 (graphique 13). Globalement, en 2020, les pressions désinflationnistes liées à la baisse de la demande et à la faiblesse des prix du pétrole ont plus que compensé l’effet de la faiblesse du ZAR, l’IPC moyen atteignant les 3,2%. La SARB a mis en place une position monétaire très accommodante en baissant son principal taux d’intérêt de 270?pb (graphique 14), et préservé son mandat de maintien de l’inflation dans une fourchette de 3 à 6%.

TAUX DE CHANGE ET INFLATION
INFLATION ET POLITIQUE MONÉTAIRE

Dans le même temps, la SARB a maintenu un niveau de liquidité suffisant au sein du système financier et a soutenu les ménages confrontés à une baisse de revenus. Le mécanisme de transmission plutôt restreint de la politique monétaire (i.e. impact des taux d’intérêt sur la dépense réelle) a toutefois limité l’effet des mesures de soutien sur la demande intérieure. Le crédit au secteur privé n’a progressé que de 3,6% en 2020 et de 2,6% en 2021.

Hausse des prix et normalisation de la politique monétaire

Au premier semestre 2021, l’activité économique mondiale a observé un regain de dynamisme, avec une reprise de la production qui n’a pas suivi le rythme de la demande. La pression sur les prix a augmenté, tant au niveau national qu’international. En Afrique du Sud, l’IPC est passé de +2,9% en février 2021 à +6,1% en mars (3,1% pour l’inflation sous-jacente). La hausse de l’inflation a été tirée par la forte augmentation de la composante « transport ». Celle-ci représente près de 15% du panier de consommation de référence et reflète la hausse des prix de l’énergie. Par conséquent, la SARB est passée à une politique monétaire plus restrictive pour préserver son mandat de stabilisation des prix. Elle a procédé à trois hausses de taux consécutives de 25pb (novembre 2021, janvier 2022 et mars 2022). Intensifiant ses efforts pour lutter contre les pressions inflationnistes, le dernier comité de la SARB a relevé le taux d’intérêt de 50 pb en mai. Le taux d’intérêt s’élève actuellement à 4,75% mais les conditions financières restent plutôt accommodantes avec des taux d'intérêt réels toujours négatifs.

Les conditions monétaires pourraient se resserrer davantage dans les mois à venir. Aux pressions inflationnistes initialement dues à l’impact de la reprise mondiale via la hausse des prix de l’énergie, d’autres résultant du conflit en Ukraine et des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement ont commencé à se propager à différents postes, comme l’alimentation (environ 30% des dépenses des ménages). L’inflation pourrait encore augmenter en raison des pressions sur les coûts dues à la hausse des prix administrés (notamment les efforts déployés pour assainir la situation financières d’Eskom par le biais d’une augmentation tarifaire). Par conséquent, le taux d’inflation se situerait au-dessus du point médian de fourchette de 3 à 6% en 2022 (en moyenne à 5,6%) et de 4,6% en 2023.

Le resserrement de la politique monétaire devrait donc se poursuivre à court terme, la SARB souhaitant ancrer les anticipations d’inflation car la SARB souhaite maintenir des prévisions d’inflation bien ancrées.

Néanmoins inflation. Néanmoins, comme cela a été mentionné précédemment, la reprise économique est fragile (chômage très élevé, fort risque de troubles sociaux et effets indirects du conflit en Ukraine). Les autorités doivent donc arbitrer entre faire face à la flambée des prix (et risquer de freiner l’activité économique) ou conserver une approche prudente pour favoriser la croissance. En outre, la maîtrise de l’inflation est alimentée par le choc de l’offre, et non par la demande, ce qui implique que l’ajustement de la politique soit correctement calibré pour rester efficace. D’autre part, la SARB doit se montrer prudente compte tenu de l’état des finances publiques et du risque de nouvelles tensions sur les marchés des devises et les marchés financiers.

Une balance extérieure sous pression

L’Afrique du Sud a été violemment touchée par le phénomène mondial de vente massive d’actifs sur les marchés émergents observé pendant la crise sanitaire. Le pays est en effet particulièrement vulnérable au sentiment et à la volatilité du marché en raison de sa dépendance aux exportations de matières premières (les produits miniers et les métaux précieux représentent plus de 20% des exportations totales) et aux sources de financement étrangers à court terme (investissements de portefeuille et dérivés).

Avec la crise due à la pandémie, l’affaiblissement du sentiment du marché et les sorties de capitaux étrangers ont entraîné de fortes corrections dans presque tous les segments d’actifs. La devise s’est fortement dépréciée, perdant environ 20% de sa valeur entre fin 2019 et juin 2020. Sur le marché des actions, le Johannesburg Stock Exchange Index a perdu plus de 15% en glissement annuel entre fin 2019 et juin 2020. Le marché des obligations souveraines a également chuté. Les rendements d’État à long terme ont ainsi atteint un plus haut historique en avril 2020 (11,3%) (graphique 15).

PERFORMANCE DES ACTIONS ET RENDEMENT DES OBLIGATIONS SOUVERAINES

La situation s’est stabilisée depuis mi-2020 : le ZAR a repris 10% de sa valeur et le marché des actions affichait un gain de 35% fin 2021. Les rendements des obligations d'État se sont également resserrés, même s'ils restent supérieurs à leurs niveaux précédant la pandémie.

La balance courante soutenue par des facteurs cycliques

Ces dernières années, l’Afrique du Sud a maintenu un déficit significatif du solde de sa balance courante, qui représente en moyenne -3% du PIB (2015-2019). Ce déficit est principalement dû à la balance commerciale négative (dominée par les exportations de métaux et de minéraux et les importations de carburants) et à un solde négatif des revenus résultant de l’augmentation des paiements d’intérêts.

Le solde du compte courant s’est récemment amélioré (graphique 16). En 2020, il est devenu positif (+2,2% du PIB), en raison de la baisse des importations, et a enregistré un excédent encore plus important en 2021 (+3,5% du PIB), grâce à la hausse des prix des matières premières qui a stimulé les recettes d’exportation. La balance commerciale a enregistré un excédent de près de USD 18 mds (contre USD 2,6 mds en 2020).

La reprise de la demande intérieure a été largement compensée par la hausse des exportations. L’aluminium, le principal produit d’exportation de l’Afrique du Sud (12% du total), a notamment bénéficié d’une flambée des prix (+8% sur l’année). Cette dynamique a permis de compenser la forte baisse des flux de financement.

AMÉLIORATION DE LA BALANCE COURANTE

Le déficit du solde du compte courant devrait rester limité en 2022 et 2023 grâce à des termes de l'échange favorables. Cependant, le conflit en Ukraine va entraîner une hausse des coûts des importations, en raison de l’augmentation des prix du pétrole et du gaz (qui représentent plus de 20% des importations totales). La hausse des principaux prix à l’exportation ne compensera que partiellement la baisse de la demande en volume. La demande mondiale devrait en effet baisser, notamment celle en provenance de la Chine (10% des importations totales), qui est actuellement confrontée à sa pire vague de contaminations à la Covid-19. Néanmoins, les perturbations des chaines d’approvisionnement pourraient être l’occasion pour le pays de répondre à la demande de palladium et de platine non satisfaite, en raison des perturbations commerciales et des sanctions contre la Russie, l’Afrique du Sud étant un producteur important. La balance commerciale passerait ainsi de USD 32 mds en 2021 à USD 17mds en 2022. Le déficit du solde courant ne représentera que -0,1% du PIB tandis que les remboursements de la dette extérieure devraient atteindre plus de 6% du PIB en 2022.

Néanmoins le pays devrait bénéficier d’une hausse des entrées nettes d’IDE et d’investissements de portefeuilles à partir de 2022. Le compte financier et le compte de capital devraient couvrir les besoins financiers extérieurs, soit environ 5% du PIB, notamment grâce à l’émission d’un Eurobond en avril dernier pour USD 3 mds.

Des vulnérabilités structurelles mais des facteurs atténuants

La dépendance de l’Afrique du Sud aux sources de financement volatiles, notamment aux investissements de portefeuille étrangers en devise locale (graphique 17), l’expose au resserrement des conditions de financement mondiales à moyen terme. Les afflux de capitaux ont été en effet facilités par ces conditions accommodantes et par le rendement élevé des obligations souveraines. La part de la dette sud-africaine détenue par les étrangers est désormais importante, et expose à la fois le secteur public et le secteur privé à des chocs financiers externes.

Néanmoins, la situation a commencé à changer. D’abord, l’augmentation du risque souverain a entraîné la vente d’obligations du Trésor local par des investisseurs étrangers. Ensuite, les conditions financières mondiales deviennent de moins en moins favorables et pourraient mener à une hausse des ventes nettes d’obligations par les investisseurs étrangers.

Les risques de refinancement externe pourraient augmenter bien qu’ils soient atténués par certains mécanismes de soutien.

D’abord, le niveau de la dette extérieure de l’Afrique du Sud est modéré (moins de 40% du PIB fin 2021, graphique 19). La dette extérieure libellée en devises étrangères représente environ 51% du total, et seulement 20% du PIB. Le profil de la dette extérieure est d’autant plus favorable que sa majeure partie (83% du total) est à long terme.

Deuxièmement, le régime de taux de change flottant agit comme un amortisseur en cas de choc financier. La détérioration du compte extérieur entraîne principalement une dépréciation de la devise (et des corrections sur les marchés financiers) avant une baisse des réserves de change. La banque centrale intervient rarement mais les ajustements sont facilités par l'exposition limitée des institutions locales au risque de change.

En outre, les limites prudentielles à l'exposition des investisseurs institutionnels locaux aux actifs étrangers représentent un coussin en cas de choc financier. Alors que les contrôles de capitaux pour les non-résidents ont complètement disparu, certains sont maintenus pour les résidents3. Le système est basé sur des limites prudentielles concernant les sorties de capitaux de résidents et la détention d’actifs étrangers par des investisseurs institutionnels locaux. Ces limites ont été progressivement augmentées.

DÉPENDANCE AUX INVESTISSEMENTS DE PORTEFEUILLE POUR LE FINANCEMENT EXTERNE

AFFAIBLISSEMENT DES ENTRÉES DE CAPITAUX ÉTRANGERS

UNE DETTE EXTÉRIEURE LIMITÉE

POIDS DE LA DETTE DES MÉNAGES

En février dernier, la réglementation a été modifiée pour permettre aux fonds domestiques d’investir à l’étranger jusqu’à 35% de leurs actifs (contre 30% précédemment). De ce montant, 10% du total des actifs devra être consacré à l’investissement en Afrique. Lors des épisodes de sorties de capitaux, la dépréciation du ZAR augmente automatiquement les avoirs étrangers des investisseurs résidents en pourcentage du total des actifs sous gestion. Par conséquent, ils doivent rapatrier une partie de leurs fonds pour respecter la limite prudentielle, jouant ainsi un rôle stabilisateur pendant les épisodes d’instabilité.

Pour finir, l’Afrique du Sud dispose d’une large base d’investisseurs nationaux et bénéficie d’un marché profond et liquide. Les investisseurs nationaux peuvent donc jouer le rôle d’amortisseur en cas de sorties de capitaux. Le marché liquide permet dans les faits d’ajuster rapidement les positions des investisseurs.

Secteur bancaire

Le secteur financier de l’Afrique du Sud est vaste, sophistiqué et complexe, avec des interconnexions importantes entre secteurs. Il est dominé par les banques (dont les actifs représentent environ 120% du PIB), suivies des fonds de pension et des fonds d’investissement (qui représentent ensemble au total 140% du PIB). Le secteur bancaire est bien supervisé et bénéficie de solides réserves en fonds propres, ce qui lui permet de résister aux chocs et d’atténuer le risque systémique.

Néanmoins, l’environnement opérationnel des banques (marqué par une croissance molle, des taux d’intérêt bas et une volatilité financière) s’est détérioré au cours des dernières années. Dans le même temps, les liens entre le secteur financier et le secteur public se sont resserrés et pourrait constituer un risque majeur pour la stabilité financière à moyen terme.

Un secteur bancaire sain et bien capitalisé

Le secteur bancaire est sain et bien réglementé par la SARB, qui est perçue comme une autorité indépendante et crédible. Les normes de gestion des risques sont bonnes, les banques sont globalement rentables et affichent des ratios de capitalisation et de liquidité supérieurs aux exigences réglementaires. Le secteur bancaire se caractérise par une forte concentration, les cinq plus grandes banques détenant plus de 90% du total des actifs bancaires.

Le choc de la pandémie a eu un impact négatif sur le bilan et la rentabilité globale des banques. En effet, les fortes baisses de taux d’intérêt associées au confinement ont freiné l’activité du secteur bancaire. Les petites banques ont été les plus touchées, mais elles ne présentent pas de risque systémique étant donné leur faible part dans le total des actifs du secteur bancaire. En revanche, les principaux établissements bancaires ont maintenu des performances relativement bonnes.

La solide gestion des risques du secteur et les réglementations prudentielles ont fourni aux banques les outils nécessaires pour gérer les risques de crédit et maintenir leur capitalisation (tableau 2). L’adéquation des fonds propres CET1 n’a que légèrement diminué pendant la crise et a retrouvé des nouveaux historiquement hauts au cours des derniers mois. En février 2022, le ratio CET1 s’élevait à 15,2% tandis que le ratio d’adéquation des fonds propres totaux atteignait 18,1%, soit plus que les niveaux d’avant-pandémie et que les exigences minimales. Cela illustre la résilience du secteur bancaire malgré des baisses de rentabilité et les pertes de crédit. Le secteur bancaire détient des réserves de capital satisfaisantes pour préserver la qualité des actifs en 2022 en cas d’impondérables.

PRINCIPAUX RATIOS MACROPRUDENTIELS DU SECTEUR BANCAIRE

Le secteur semble toutefois faire face à certaines pressions : la qualité des actifs s’est détériorée et le niveau de créances douteuses atteint des niveaux records, soit actuellement plus de 5% du total des prêts bruts. Les ménages et les entreprises n’ont toujours pas complètement récupéré de la crise de la Covid-19 et la baisse de leurs revenus ont affaibli leur capacité de remboursement. Les mesures temporaires de soutien (en faveur de restructurations et de l’allégement du capital et des liquidités) sont en train de disparaître. Néanmoins, le redressement de l’activité économique devrait permettre une normalisation du risque de crédit dans les mois à venir.

Les ratios de rentabilité (ROE et ROA) commencent tout juste à s’améliorer, mais ils restent inférieurs à leurs niveaux précédant la pandémie, à respectivement 13,8 et 1,1% (contre 15,3 et 1,2% en moyenne en 2019). Au cours de l’année à venir, la rentabilité globale du secteur bancaire pourrait s’améliorer légèrement car la normalisation progressive de la politique monétaire devrait contribuer à améliorer les marges, tandis que les banques pourraient réduire les coûts de provisionnement. Toutefois, à moyen terme, les ratios de rentabilité devraient rester sous pression. En effet, le secteur est structurellement entravé par le manque de dynamisme de la croissance économique et les faibles gains de productivité. Le coefficient d’exploitation a augmenté. Les investissements dans les technologies et la banque en ligne exercent actuellement une pression sur ces frais d’exploitation, mais ils devraient permettre de les réduire à moyen terme.

Une exposition à un risque de crédit important

Au cours des dernières années, le crédit total des banques nationales a lentement augmenté et représentait 73% du PIB en 2021 (contre 70% du PIB en 2010), dont 42% accordés aux ménages, 50% aux entreprises et 9% au gouvernement. Pendant la crise, la hausse significative du ratio de crédit intérieur était principalement due à la contraction du PIB : le crédit n’a progressé que de 3,8% en termes nominaux en 2020.

En 2021, la croissance du crédit est également restée modérée et a été particulièrement freinée par le crédit aux entreprises (+0,6%), tandis que le crédit aux ménages affichait une meilleure dynamique (+5,1%).

Le risque de crédit a augmenté et devrait rester important dans le contexte économique actuel. Alors que les ratios de créances douteuses ont atteint des niveaux records avec la crise, l’endettement croissant des ménages, la concentration des risques et la part élevée des prêts en devises étrangères aux entreprises continuent de susciter des inquiétudes. Avec la crise, la dette des ménages en pourcentage du revenu a atteint plus de 75%. Elle est estimée à 70% au troisième trimestre 2021, le service de la dette représentant près de 8 % du revenu disponible (graphique 21).

AUGMENTATION DE LA PART DU SOUVERAIN DANS LES ACTIFS TOTAUX

En parallèle, la capacité de remboursement des entreprises reste entravée par l’inflation élevée et un taux de chômage sans précédent. Sur le segment des entreprises, l’effet de levier du crédit est plus limité, et marqué par une exposition au risque de change, avec plus de 41% du total libellé en devises étrangères. La qualité globale des prêts dépendra de la reprise commerciale des entreprises et de l’évolution du niveau de richesse des ménages. Alors que les prix actuellement élevés des matières premières pourraient doper les bénéfices des entreprises, la pression inflationniste pourrait avoir un impact plutôt négatif sur leurs revenus et sur ceux des ménages, tandis que les taux d’intérêt ont commencé à augmenter.

Dans le même temps, des risques majeurs découlent de l'exposition croissante des banques au souverain. En effet, la solidité globale du secteur bancaire est de plus en plus limitée par son exposition croissante au risque souverain, qui représentait environ 17% du total des actifs bancaires en 2021 (contre 6% en 2008, graphique 22). Compte tenu de la détérioration continue du risque souverain, cela interroge sur la capacité des banques à augmenter de manière adéquate leurs réserves de capital (actuellement faibles).L’exposition au risque souverain et les pertes potentielles de valorisation sont susceptibles d’exercer une pression accrue sur la rentabilité future des banques, leur provisionnement en capital et leur financement

ÉVOLUTION DES TEMPÉRATURES ET PRÉCIPITATIONS MOYENNES

En revanche, l’exposition des banques aux entreprises publiques reste relativement limitée. Néanmoins, dans un environnement où l’accès des entreprises publiques au marché des capitaux est susceptible de se resserrer, l’absorption du crédit de ces entreprises par les banques pourrait augmenter. Cela pourrait avoir pour conséquence de réduire les prêts au secteur privé.

Vulnérabilité au changement climatique

Une exposition significative au changement climatique

L’Afrique du Sud est particulièrement exposée au risque climatique en raison des conditions météorologiques, de sa situation géographique et, plus encore, de sa dépendance énergétique. Le pays est exposé à la fois à des risques physiques et à des risques de transition, comme l’illustre son classement dans l’indice ND Gain en 2020 (91e sur 181 pays).

Les aléas climatiques (sécheresses, inondations, incendies, etc.) ont eu des impacts significatifs ces dernières années. Le changement climatique se manifeste notamment par des variations de température, avec une augmentation de la fréquence et de la sévérité des périodes de forte chaleur et de précipitations. Les analystes estiment que depuis 1990, la température moyenne a deux fois plus augmenté en Afrique du Sud que dans le reste du monde4. Ces dernières années, les périodes de sécheresse ont aussi été plus longues : entre 2015 et 2017, la région a enregistré ses trois années les moins pluvieuses, ce qui a conduit à un épuisement progressif des réserves d’eau et à un risque accru de pénurie. L’incendie de Knysna en 2017 est également attribué à des conditions de sécheresse prolongée et à des températures élevées. Outre les dommages causés à l’écosystème, l’augmentation de la température a également un impact sur la main-d’œuvre car elle réduit le nombre de travailleurs fortement exposés à la chaleur disponibles (par exemple, dans les secteurs agricole et minier), ce qui a un impact sur la productivité. Dans un pays où la mobilité de la main d’œuvre est faible, l’impact du changement climatique est susceptible d’exercer une pression croissante sur un marché du travail déjà en difficulté. En outre, les défis liés au rythme croissant de l’urbanisation et à la rareté des services d’infrastructures critiques sont aggravés par les facteurs de stress climatiques, qui exercent une pression supplémentaire sur les prestations de services et les finances du pays.

Les accidents climatiques (en particulier des inondations et des épisodes de sécheresse) de plus en plus fréquents et graves, ont également un impact croissant sur le pays. Récemment, l’inondation du port de Durban (où transitent 60% des échanges commerciaux sud-africains), résultant des précipitations les plus fortes depuis plus de 6 décennies, a entraîné le blocage du transport maritime et causé d’importants dommages aux infrastructures. Pour y faire face, un allégement budgétaire de ZAR 1 md a été décidé et l’allocation de ressources supplémentaires pourrait être approuvée, ajoutant de nouvelles pressions sur un budget déjà tendu.

Des efforts de transition difficiles

Selon les experts, l’impact du changement climatique en Afrique du Sud pourrait entraîner une perte allant jusqu’à 23% du PIB d’ici 2050. Compte tenu des projections et de l’impact croissant des aléas climatiques, le gouvernement sud-africain a élaboré une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique (NCCAS) en 2019. Cette stratégie vise à adapter le pays au changement climatique et à renforcer sa résilience. Elle doit permettre d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et prévoit l’investissement de jusqu’à USD 2 mds par an dans la transition énergétique (0,67% du PIB).

Néanmoins, la structure de l’économie et l’absence de marge de manœuvre fiscale sont des obstacles majeurs. L’économie dépend en effet largement du charbon, qui représente 80?% du mix énergétique et une part considérable de l’emploi national. L’Afrique du Sud est l’une des économies les plus énergivores. Son empreinte énergétique est considérable : ses émissions sont d’environ 7,6 tonnes par an et par habitant, ce qui en fait le 14e émetteur mondial. Par ailleurs, le capital alloué pour atteindre la neutralité carbone reste pour le moment inférieur aux objectifs. Certains efforts sont déployés pour s’appuyer davantage sur les ressources d’énergie renouvelable et moins souffrir des pertes énergétiques d’Eskom. Le pays dispose en effet d’un grand potentiel en matière de biomasse, mais aussi d’énergie éolienne et solaire. Par exemple, en 2021, le gouvernement a accordé au secteur privé 25 contrats de projets d’énergie renouvelable (parcs éoliens et centrales photovoltaïques) afin d’augmenter la capacité de production d’électricité de 4,5%. Cela étant, les politiques de relance mises en œuvre dans le contexte de la reprise économique ont largement contribué à la revitalisation du secteur du charbon.

Conclusion

Malgré le redressement de certains indicateurs macroéconomiques en sortie de crise, les perspectives économiques de l’Afrique du Sud sont fragiles. L’évolution du risque souverain demeure au centre de l’attention et sera suivi de près au cours des prochains mois. La faible croissance du PIB, conjuguée à une accélération de la hausse des prix, pourrait en effet compliquer l’ajustement budgétaire et retarder encore les investissements nécessaires pour augmenter le potentiel de croissance et surmonter les contraintes structurelles. Par ailleurs, un possible dérapage budgétaire pourrait entraîner des répercussions significatives à la fois sur le secteur bancaire et sur la confiance des investisseurs, qui restent averses au risque dans le contexte économique mondial actuel.

1 Selon les dernières données disponibles (2017), le coefficient de Gini en Afrique du Sud figure parmi les plus élevés au monde, à 0,62.

2 Le régime institutionnel de ségrégation raciale en place de 1948 et 1990, caractérisé par une culture politique autoritaire dominée par la population blanche minoritaire.

3 Pour plus de détails, voir le Règlement 28 de la Loi sur les fonds de pension.

4 Climate impacts in southern Africa during the 21st Century, Report for the Centre for Environmental Rights, R.Scholes & F.Engelbrecht Global Change Institute, septembre 2021.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE