La surprise réside dans l’absence (très probable) de surprise. Le suspense autour de l’issue du FOMC des 28-29 octobre et de la réunion de la BCE du 30 octobre est, en effet, assez limité : une nouvelle baisse de 25 pb pour la Fed et un nouveau statu quo pour la BCE devraient être annoncés. Ce faisant, en réduisant la différence entre les taux directeurs et le degré de restriction de sa politique monétaire, la position de la Fed se rapproche plus qu’elle ne s’écarte de celle de la BCE. Un tel manque de suspense pour les deux banques centrales en même temps est chose peu commune, d’autant plus au regard de l’environnement économique général, qui reste imprégné d’une forte incertitude.
L’incertitude entourant la politique monétaire de la Fed et de la BCE ne porte pas sur leur toute prochaine réunion, pour laquelle, grâce à leur communication, on dispose d’une bonne visibilité, mais sur les questions suivantes :
- Combien de baisses de taux en tout et à quel rythme pour la Fed ?
- Pendant combien de temps la BCE va-t-elle prolonger son statu quo sur les taux ?
- Quels sont les risques entourant ces scénarios ?
L’intérêt des réunions d’octobre résidera moins dans la décision que dans la tonalité des déclarations dans les communiqués et lors des conférences de presse, et dans ce qu’elles signaleront de l’orientation future.
Même pour les réunions d’octobre, la quasi-certitude entourant leur issue n’empêche pas certains questionnements, en particulier celui-ci : la Fed a-t-elle raison de baisser ses taux et la BCE de ne pas les baisser plus ?[1]
Ce qui est attendu et les raisons sous-jacentes Relâchement monétaire américain préventif Lors du FOMC des 28-29 octobre, la Réserve fédérale (Fed) devrait décider d’une nouvelle baisse de 25 pb des Fed Funds (portant la fourchette cible de 4,00-4,25% à 3,75-4,00%). Cette décision est de nature préventive, prolongeant l’approche en termes de risk management qui a présidé à la baisse de 25 pb lors du FOMC des 17-18 septembre. La Fed se montre en effet plus sensible à l’accroissement des risques baissiers sur la composante emploi de son mandat dual qu’aux risques haussiers qui pèsent sur l’inflation. Les signes de détérioration du marché du travail sont plus prégnants que les seconds, qui demeurent contenus pour le moment, comme en attestent encore les chiffres du mois de septembre (hausse limitée du headline , de 2,9% à 3% a/a, et léger reflux de l’inflation sous-jacente, de 3,1% à 3%)[2] . La Fed considère également qu’un marché du travail moins dynamique est de nature à limiter la remontée de l’inflation due à l’augmentation des droits de douane sur les importations de marchandises américaines, en évitant les effets de second tour.
Face à un arbitrage déjà compliqué (risques baissiers sur l’emploi, haussiers sur l’inflation), la tâche de la Fed est rendue plus difficile encore par le shutdown et le manque de données officielles supplémentaires par rapport à la réunion de septembre qui s’en suit. S’il ne faut pas prendre de décisions en regardant uniquement dans le rétroviseur, savoir d’où l’on vient aide tout de même à savoir où l’on va. Mais pour cette fois, la Fed devra s’appuyer plus encore sur sa vision forward-looking . Elle dispose également de quelques indicateurs de sources privées, dont l’enquête ADP, qui signale une nette détérioration sur le front des créations nettes d’emplois salariés non agricoles (dans le rouge en août et en septembre) et la faiblesse des enquêtes de confiance auprès des ménages (Université du Michigan comme Conference Board ).
ÉTATS-UNIS : TAUX DIRECTEUR ET TAUX LONGS En relâchant ainsi le degré de restriction de sa politique monétaire et en visant au moins la neutralité, la Fed cherche à contenir le risque d’effets non linéaires sur le marché du travail. Compte tenu de l’équilibre actuel curieux de celui-ci (affaiblissement de la demande et de l’offre de travail), une détérioration plus brutale et prononcée ne peut en effet être exclue[3] . Pour toutes ces raisons, nous prévoyons que la Fed poursuive son relâchement monétaire avec trois autres baisses de taux, de 25 pb chacune, lors du FOMC des 9-10 décembre et les deux autres au premier semestre 2026. Mi-2026, la fourchette-cible des Fed funds serait de 3,00-3,25%, un niveau correspondant à la fourchette basse de notre estimation du taux neutre nominal (graphique 1). Le pricing actuel des marchés est proche, mais un peu plus optimiste ou pessimiste selon le point de vue (deux baisses attendues d’ici la fin de l’année, y compris celle d’octobre, trois autres en 2026).
Statu quo monétaire prolongé de la BCE La BCE est dans une tout autre situation que la Fed, plus confortable. L’équilibre des risques a aussi évolué, mais dans un sens favorable. Les risques baissiers sur la croissance de la zone euro à court terme se sont atténués[4] ; quant à l’inflation, elle est proche de la cible (2,2% a/a en septembre pour le headline ; 2,4% pour le core ), soumise à des risques baissiers et haussiers qui s’équilibrent et qui sont qualifiés de « contenus » par Christine Lagarde[5] . Par rapport à la réunion du 11 septembre (qui avait acté d’un deuxième statu quo après celui du 24 juillet), et au regard de l’évolution de la situation sur le front de la croissance et de l’inflation, la possibilité d’une baisse de taux le 30 octobre s’est affaiblie plutôt que renforcée.
ZONE EURO : TAUX DIRECTEUR ET TAUX LONGS
Avec un taux de dépôt à 2%, la politique monétaire de la BCE demeure en « bonne place » : le taux directeur se situe au milieu de notre fourchette d’estimation du taux neutre (graphique 2). Dans ces conditions, nous prévoyons que la BCE prolonge son statu quo sur les taux à l’horizon des 12 prochains mois. Selon notre scénario, son prochain geste serait une hausse, de 25 pb, fin 2026, reflet du renforcement attendu de la croissance et des légères pressions haussières induites sur l’inflation.
Les questions et points en suspens et à surveiller La Fed a-t-elle raison de baisser ses taux ? La question se pose au regard de :
i/ la résistance globale de la croissance américaine[6] ;
ii/ la situation sur le marché du travail qui, en dehors des créations nettes d’emplois salariés très ralenties, ne paraît pas particulièrement préoccupante (les indicateurs de l’enquête JOLTS font notamment plus état d’une modération et d’une normalisation que d’une véritable faiblesse) ;
iii/ la situation sur le front de l’inflation, qui cumule les points négatifs : au-dessus de la cible, orientée à la hausse, tirée par la demande, et exposée à un risque haussier (augmentation des droits de douane, caractère inflationniste du soutien budgétaire de l’OBBBA, ancrage des anticipations d’inflation des ménages mis à l’épreuve, menaces politiques sur l’indépendance de la Fed) ;
iv/ l’exubérance des marchés actions américains (pour partie alimentée par les anticipations de baisses de taux, créant un problème de circularité, qui existe aussi dans le boom / la bulle des valeurs autour de l’IA) et le caractère (trop ?) favorable et en amélioration des conditions de financement dans leur ensemble.
Dans ce contexte, il faudra être attentif à ce qui pourra éventuellement transparaître de ces sujets dans le communiqué et lors de la conférence de presse, la question étant de savoir à quel point Jerome Powell continuera ou non de manifester un biais dovish . Le nombre de votes dissidents sera aussi à surveiller de près. Le FOMC de fin juillet (qui s’était soldé par un statu quo ) avait été marqué par deux votes dissidents (les gouverneurs M. Bowman et C. Waller, favorables à une baisse). Le FOMC de septembre (qui a réamorcé le cycle de baisses des taux) avait été marqué par un seul vote dissident, mais remarquable puisqu’il s’agissait de celui de S. Miran, gouverneur intérimaire fraîchement confirmé, qui a voté en faveur d’une baisse de 50 pb. Il pourrait cette fois y avoir des dissidents des deux côtés.
Le dernier point d’attention concernant la Fed portera sur le QT et ses perspectives d’interruption. Notre scénario est que l’arrêt sera annoncé en décembre, au plus tard, ce scénario étant renforcé par les signes récents de tensions sur les marchés monétaires et l’accès à la liquidité des banques commerciales[7] .
La BCE a-t-elle raison de ne pas baisser ses taux ? Une approche par le risk management , comme celle de la Fed, pourrait se justifier au regard :
i/ du risque général qui pèse sur la zone euro d’une situation de croissance faible/inflation faible ;
ii/ du biais dovish apparent dans les minutes de la réunion de septembre ;
iii/ des prévisions d’inflation de la BCE en dessous de la cible de 2% à l’horizon de 2027 (graphique 3), qui viennent appuyer les craintes de voir se développer une inflation trop basse ;
iv/ du caractère peut-être encore légèrement restrictif de la politique monétaire à en croire Philip Lane[8] , l’économiste en chef de la BCE, qui, s’il était corrigé, amplifierait la bonne transmission de celle-ci qu’il met en avant ;
v/ de la vision asymétrique, de P. Lane[9] , face aux risques sur l’inflation (pas de nécessité d’augmenter les taux en cas de regain d’inflation à court terme, la position actuelle de la politique monétaire étant suffisante pour garantir la stabilité des prix ; détente supplémentaire possible en cas d’intensification et de matérialisation des pressions et dynamiques baissières).
ZONE EURO : PRÉVISIONS D’INFLATION HEADLINE ET SOUS-JACENTE
De notre point de vue toutefois, la barre pour que la BCE baisse encore les taux est relativement haute. On sera attentif à tous les éléments en ce sens lors de la réunion de cette semaine, mais il est plus probable qu’il y ait peu d’indications : c’est lors de la réunion du 18 décembre que des baisses de taux supplémentaires pourraient éventuellement être débattues, sur la base du nouveau jeu de prévisions qui sera alors disponible et étendu, qui plus est, à 2028.