La crise de la Covid-19 a profondément affecté nos économies. Le rebond observé depuis quelques mois semble se confirmer mais des incertitudes demeurent sur les capacités de rattrapage économique des pays. Cet article tend à observer dans le passé les comportements des économies du G7 - en termes de PIB, de consommation et d’investissement - en phase post-récessive. À quelle vitesse les économies rattrapent-elles le niveau et la tendance de PIB d’avant-crise ? Quelles sont les composantes de la demande agrégée les plus dynamiques en sortie de crise ? Peut-on comparer le choc de la Covid-19 avec les chocs passés, compte tenu de sa nature si particulière ? Nous essaierons d’apporter des éléments de réponse à ces questions en insistant sur les disparités sectorielles actuelles.
La crise de la Covid-19 est différente des crises passées. Elle combine un choc d’offre, un choc de demande et un choc d’incertitudes, dont les conséquences à long terme sont encore méconnues. En 2020, le PIB en volume des pays du G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Canada) a chuté de près de 6%, soit nettement plus que lors de la récession de 2009 (-3,6%). La levée progressive des restrictions sanitaires, l’accélération de la vaccination dans la plupart des pays et le soutien des politiques publiques – budgétaire et monétaire – devraient accentuer le rebond économique au cours du second semestre.
L’une des interrogations réside dans les séquelles potentiellement durables de cette crise sur les économies. Leur ampleur dépendra de plusieurs facteurs et, en particulier, des choix en termes de politiques publiques. Jusqu’ici, les gouvernements des différents pays avancés ont fait le choix d’intervenir rapidement et massivement pour soutenir les acteurs économiques, ménages et entreprises. L’objectif principal de ces interventions était de limiter la destruction de capital productif à travers des vagues de faillites ou une hausse sensible du chômage, notamment de longue durée. Pour l’heure, ce pari semble relativement réussi, bien que des disparités existent entre les pays. Dans l’Union européenne par exemple, l’absorption de la majorité du choc négatif de la Covid-19, par le biais de mesures telles que les dispositifs d’activité partielle, a sensiblement atténué l’impact sur le marché du travail. Le taux de chômage, après avoir progressé de 6,4% en mars 2020 à 7,8% en août, est retombé à 7,3% en mars 2021. Du côté des États-Unis, les variations ont été nettement plus brutales. Après avoir touché un point bas avant la crise de l’ordre de 3,5%, le taux de chômage outre-Atlantique a massivement augmenté à près de 15% au plus fort de la crise pandémique. Il a depuis rechuté autour de 6% de la population active américaine.
Désormais, l’une des principales interrogations, pour les analystes comme pour les décideurs, concerne la capacité des économies à rebondir une fois l’ensemble des contraintes sanitaires levées. À quel moment les économies avancées parviendront-elles à retrouver leur niveau d’activité (c’est-à-dire leur niveau de PIB), de consommation et d’investissement précédant la crise de la Covid ? Voire même les niveaux qui auraient pu être atteints si la crise pandémique n’avait pas eu lieu ? (voir encadré 1). La croissance potentielle d’une économie est-elle affectée ? Si oui, dans quelle ampleur ? Ces réflexions, si elles se posent ici en des termes macroéconomiques, soulèvent de nombreuses autres questions comme celles relatives à l’évolution des conditions sur le marché du travail, à l’efficacité des politiques publiques de soutien ou à la soutenabilité des finances publiques des différents pays. En effet, plus les pertes d’activité liées à la crise sont rapidement effacées, moins les conséquences sur l’économie réelle seront importantes et durables. À l’inverse, si l’économie reste durablement affaiblie, la normalisation du marché du travail sera plus longue à se matérialiser et le soutien restera nécessaire, ce qui pose la question de la soutenabilité de la dette publique.
Pour essayer d’anticiper, dans une seconde partie, les évolutions macroéconomiques post-Covid dans les mois à venir, nous analyserons dans un premier temps le comportement passé des économies avancées en sortie de récession. Nous retenons comme étant une récession une année pendant laquelle la croissance moyenne a été négative, ce qui diffère de la définition communément utilisée qui retient deux trimestres consécutifs de baisse du PIB. Nous observerons les conséquences des crises sur les économies et la vitesse de rattrapage sur la base de l’analyse des variables macroéconomiques traditionnelles : PIB, PIB potentiel, consommation privée, investissement global et exportations de biens et services. Nous retenons dans notre échantillon les pays du G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Canada) ainsi qu’environ 25 récessions passées. En plus des récessions qui ont pu toucher l’ensemble des économies, nous considérons également des récessions davantage localisées. Nous retiendrons donc les chocs pétroliers de 1974 et 1980 ; la crise des subprimes de 2008-2009 ; les récessions au début des années 1990 aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada dans un contexte de remontée des taux d’intérêt ; la crise du système monétaire européen (SME) en 1992-1993 qui a affecté plusieurs des États membres ; la récession au Royaume-Uni en 1980 ; la récession en Allemagne en 2002-2003 dans un environnement d’appréciation de l’euro et de ralentissement du commerce mondial ; les récessions japonaises de la fin des années 1980 (éclatement des bulles boursières et immobilières) et de la fin des années 1990 (crise asiatique).
Les conséquences durables d’une crise
Les crises économiques et/ou financières ont, dans la grande majorité, des cas un impact durable sur les dynamiques de croissance des pays. L’ampleur de l’impact immédiat d’une crise et des séquelles qu’elles laissent sur une économie dépend en grande partie de trois facteurs : la nature du choc, un impact sectoriel différencié et la présence ou non de crise bancaire et financière. La nature du choc subi, c’est-à-dire s’il vient du côté de l’offre, de la demande, ou des deux côtés à la fois, sera déterminante. Un choc d’offre en l’absence de choc de demande pourrait avoir un impact moins fort et moins prolongé. Au niveau sectoriel, un choc peut être plus concentré sur le secteur manufacturier, en cas par exemple d’effondrement du commerce international, ou bien sur le secteur des services (c’est le cas de la crise de la Covid, comme nous y reviendrons plus tard dans l’article). Enfin, la déstabilisation du secteur bancaire et financier peut entraîner des effets durables au niveau macroéconomique, via notamment l’affaiblissement de la dynamique du crédit bancaire qui pèse in fine sur la demande agrégée.
Récessions et baisse du rythme de croissance
Comme nous pouvons l’observer dans le tableau 1, sur la base de notre échantillon et de notre méthodologie (qui retient, comme indiqué dans le tableau 1 la croissance moyenne sur 5 ans avant l’arrivée d’une crise et la moyenne sur 5 ans après la crise), la croissance moyenne baisse dans 80% des cas après une récession (cf. graphiques 1 à 4). Cette croissance moyenne (non pondérée) diminue de l’ordre de 1 point dans notre échantillon. Ce ralentissement économique post-récession peut, dans certains cas seulement, être perçu comme une réaction normale des économies après une période de forte accélération de l’activité et de prise de risques importante. La récession viendrait alors corriger certains excès qui précèdent le déclenchement d’une crise. Néanmoins, une crise économique et financière peut également affecter négativement la croissance et/ou le niveau de la productivité, notamment en détruisant du capital productif, ce qui affecte la croissance à moyen terme. Enfin, il convient de rappeler que, indépendamment des effets négatifs d’une crise, le ralentissement des gains de productivité est un phénomène structurel dans la plupart des économies matures. Parmi les récessions les plus récentes, celles des subprimes de 2008-2009 a été l’une des plus marquantes et ses conséquences sur la dynamique des économies développées ont été particulièrement durables. En effet, les effets à long terme des crises financières et bancaires, et de celle de 2009 en particulier, ont été assez largement documentés dans la littérature économique[1]. De telles crises sont la plupart du temps associées à une chute de la production et de l’emploi. Des effets durables peuvent se matérialiser sur la dynamique des gains de productivité, le niveau des inégalités ou la situation des finances publiques des pays concernés (nous reviendrons sur la crise de 2009 plus loin dans l’article). Finalement, la croissance potentielle est affaiblie ainsi que le niveau de vie des populations. Pour les États membres de la zone euro, la crise de 2008-2009 a été rapidement suivie de la crise des dettes souveraines, qui a continue de peser sévèrement sur ces économies. Certains États, comme l’Italie dans notre échantillon, ont ainsi enregistré deux récessions profondes successives qui ont affecté durablement la productivité du pays et ses finances publiques[2]. À l’inverse, parmi les grandes économies de la zone euro, l’Allemagne, portée par sa demande interne, est la seule à avoir accéléré après la crise de 2009.
Dans ce contexte, comme expliqué dans l’encadré 1 et sur le graphique 1, le PIB peut retrouver plus ou moins rapidement le niveau qui prévalait avant la crise et celui qui aurait pu être atteint si la crise n’avait pas eu lieu. Cela dépend de la vigueur du rebond économique post-crise puis de la croissance tendancielle les années qui suivent. Sauf dans des cas particuliers, les pays de notre échantillon retrouvent ou dépassent leur niveau de PIB d’avant-crise relativement rapidement, indépendamment de l’ampleur du choc. Ce point est important car il suggère que les pertes liées à la récession sont effacées rapidement dans les années qui suivent le choc. Dans le tableau 2, on remarque que le PIB d’avant crise est souvent retrouvé l’année suivant cette crise. La crise de 2008-2009 est à ce titre notable. Dans tous les pays de notre échantillon, à l’exception du Canada, le niveau de PIB d’avant-crise est retrouvé plus tardivement. Dans le cas italien, les deux crises qui se sont succédées (crise des subprimes puis crise des dettes souveraines en zone euro) ont eu un impact très long sur l’activité du pays qui n’a finalement rattrapé son niveau que 6 ans après.
L'investissement : maillon faible des reprises économiques
L’investissement (public et privé) pâtit de manière plus marquée et plus durable de l’éclatement d’une crise que les autres postes de la demande, consommation privée et exportations de biens et services. Post-récession, le ralentissement de la consommation et des exportations est en effet moindre (la croissance moyenne non pondérée sur 5 ans baisse de respectivement -1,5 point et -1,8 point) que celui de l’investissement (baisse de l’ordre de 2,5 points). Dans le même temps, le rattrapage des niveaux d’investissement pré-récession est nettement plus long que dans le cas de la consommation et des exportations. Le graphique 6 ci-dessous met en avant cette relative lenteur des pays de notre échantillon dans le cas de la crise de 2009.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces différences d’impacts. Pendant et après une crise économique ou financière, l’investissement privé peut être freiné par un haut niveau d’incertitudes qui retarde son redémarrage et in fine le rebond économique[3]. Ces dynamiques peuvent à plus long terme dégrader le capital productif et la croissance potentielle du pays. Du côté de l’investissement public, les récessions peuvent être suivies d’une volonté de restauration rapide des comptes publics. Une consolidation budgétaire trop marquée peut détériorer davantage la dynamique de l’activité. Cela a été observé notamment au lendemain de la crise des dettes souveraines en zone euro[4]. À l’inverse, la consommation des ménages, qui comme indiqué plus haut, rattrape ses niveaux d’avant-crise plus rapidement, est soutenue par différents facteurs : stabilisateurs automatiques (par exemple, hausse des prestations chômage), rigidité des salaires nominaux à la baisse, part importante de la consommation incompressible, etc.
Covid-19 : les spécificités de la crise sanitaire
À l’instar de nombreuses crises et comme relevé plus haut dans cet article, la crise de la Covid-19 devrait entraîner un tassement de la production potentielle des pays avancés, notamment ceux de la zone euro. Dans ces derniers, bien que la destruction du capital productif (par le biais des faillites d’entreprises ou de l’augmentation du chômage) a été, pour l’heure, largement limitée par l’intervention massive des gouvernements nationaux, la croissance potentielle a été affectée pendant toute la durée de la crise via notamment la chute des heures travaillées par salarié. Au niveau macroéconomique, selon des estimations de la Banque centrale européenne[5], à l’horizon 2022, le niveau de production potentielle de la zone euro demeurerait environ 3% inférieur à la trajectoire qui ressortait des projections établies avant la crise.
Cela dit, la vigueur de la reprise économique, qui continue de surprendre beaucoup d’observateurs, permettra à la plupart des économies avancées de retrouver leur niveau de PIB d’avant-crise rapidement. La majorité des pays du G7 auront dès l’an prochain rattrapé leur niveau d’activité de 2019. En revanche, selon les dernières projections du Fonds monétaire international (FMI), par rapport à la tendance d’avant-crise (mesurée dans cet article par la croissance moyenne sur 5 ans), les pays du G7 devraient durablement accuser un retard (cf. graphiques 7). Les États-Unis se distinguent sur ce point, la tendance américaine retrouve quasiment celle d’avant-crise tenu de l’impulsion budgétaire majeure mise en place outre-Atlantique, avant de s’en éloigner une fois le rebond conjoncturel dépassé.
Néanmoins, l’impact à moyen terme de la pandémie sur les économies reste encore incertain. En particulier, la question du retrait du soutien budgétaire est centrale ainsi que son ciblage sur les secteurs les plus affectés. Si au niveau macroéconomique, les économies développées affichent un rebond marqué, la situation par secteur est nettement plus contrastée.
Covid-19 : un choc massif sur les activités des services marchands
En remarque liminaire, il convient de souligner que le secteur manufacturier et celui des services ne constituent pas deux ensembles distincts. Les activités des entreprises deviennent de plus en plus complexes et diversifiées. Les entreprises industrielles réalisent également une production de services pour compte propre[6]. En effet, les processus de production industrielle impliquent un grand nombre d’activités de services (R&D, marketing, comptabilité, etc.). Par souci de simplicité, nous conserverons dans cet article la distinction traditionnelle entre les deux secteurs, sur la base des données dont nous disposons.
Les mesures sanitaires mises en place dans l’ensemble des pays pour freiner l’épidémie ont affecté l’ensemble des pans de l’économie. Toutefois, l’image macroéconomique masque des disparités sectorielles fortes. L’activité dans la branche des services marchands a été tout particulièrement touchée. Le rattrapage des pertes dans ces services devrait être très progressif. La fermeture de certains commerces et des frontières, la distanciation physique entre les personnes, les craintes des consommateurs de se rendre dans des endroits clos et leurs incertitudes face à la situation épidémique ont mis un coup d’arrêt à la consommation privée, et donc à l’activité des services marchands, qui pourrait mettre du temps à être pleinement rétablie. Bien sûr, l’industrie manufacturière a également pâti de la crise sanitaire mais dans une moindre mesure. L’industrie bénéficie depuis déjà quelques mois d’une très forte reprise du commerce mondial, dont le volume est repassé dès cet hiver au-dessus de son niveau atteint avant la Covid-19[7].
Du point de vue des spécificités sectorielles, la comparaison entre la crise épidémique actuelle et la crise des subprimes de 2008-2009 est marquante. Tandis que le choc de la Covid-19 a davantage touché les services, la grande crise financière de 2008 a très nettement affaibli les activités manufacturières. Lors de cette crise, les échanges mondiaux de marchandises avaient mis trois ans pour retrouver leurs niveaux d’avant-crise. Les graphiques 8a et 8b mettent en avant la production industrielle manufacturière dans les pays du G7, respectivement lors de la crise de la Covid-19 et lors de la crise de 2008.
S’il existe des différences de dynamiques entre les pays, on remarque que globalement la chute de la production manufacturière a été plus abrupte au moment du choc de la Covid qu’au moment de la crise de 2008.
Le rebond a également été plus prononcé, si bien que le niveau de production d’avant-crise pourrait être retrouvé plus rapidement. Lors de la crise de 2008, le rebond de la production manufacturière a été plus progressif. Dans certains pays membres de la zone euro, la crise des dettes souveraines qui a suivi celle de 2008 a constitué une double peine en particulier pour les États du sud comme l’Italie ou l’Espagne. À l’inverse, certains pays s’en sont nettement mieux sortis, comme les États-Unis ou l’Allemagne.
Les graphique 9 et 10, qui représente les écarts de niveau d’activité (mesuré par la valeur ajoutée en volume) un an après l’éclatement des crises, met en avant les différentiels d’impact entre les crises de la Covid et celle des subprimes. L’activité dans le secteur manufacturier a vite rebondi après le printemps 2020 et a rattrapé quasiment intégralement son retard tandis qu’en 2009, elle restait très dégradé un an après le début de la crise. À l’inverse, les activités récréatives avaient été relativement épargnées à l’époque alors qu’elles sont en première ligne aujourd’hui.
La vitesse de rattrapage de ce type de services dépendra des comportements d’épargne des consommateurs. Ces derniers ont accumulé une épargne supplémentaire pendant la crise. Finalement, le retour pérenne de la confiance, et ainsi le dégonflement de l’épargne, notamment de précaution, soutiendra le rétablissement des activités de services les plus touchées par la pandémie.
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Les comparaisons entre la crise pandémique actuelle et les crises économiques et financières passées sont délicates compte tenu de sa nature très spécifique. Toutefois, l’analyse des chocs passés permet d’apporter des éléments de réponse aux interrogations que soulèvent la crise de la Covid. Bien qu’elle n’ait pas entraîné de crise du secteur bancaire, le rebond tardif de la confiance des agents économiques, en particulier des entreprises des secteurs d’activités les plus durement touchés, pourrait peser sur la dynamique d’investissement et ainsi sur le rattrapage économique global. Aujourd’hui, face aux nouvelles inquiétudes provoquées par le variant Delta et à la recrudescence des cas et malgré l’accélération des campagnes de vaccination, les incertitudes restent fortes au regard de l’évolution épidémique. A l’inverse, les économies ont fait preuve d’une forte capacité d’adaptation face aux contraintes sanitaires et certains pans de l’économie ont même accéléré leur digitalisation – via notamment la vente en ligne – pouvant laisser espérer une perte limitée de productivité. Au total, les conséquences globales de cette crise ne pourront être appréhendées que lorsque la pandémie sera pleinement maîtrisée.