« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »[1]. Si la pandémie de Covid-19 n’a épargné personne, ses conséquences, en particulier budgétaires, n’ont pas été les mêmes pour tout le monde.
Dans un premier temps, ceux qui le pouvaient (les pays les plus riches…) ont engagé des moyens financiers considérables afin de limiter les conséquences de la catastrophe. Fonds d’indemnisation d’urgence, couverture du chômage partiel, reports ou annulations de charges : entre 2020 et 2021, ce sont quelque dix points de PIB qui, par divers moyens, furent transférés du public au privé dans les économies avancées. Loin d’être une exception française, le « quoiqu’il en coûte » s’est substitué au pacte de stabilité européen, mis entre parenthèses le temps de la Covid. Peu suspecte d’impéritie, l’Allemagne a accepté d’importants déficits, tandis que sa dette gravissait une marche, à l’instar de beaucoup d’autres.
Le synchronisme fut toutefois de courte durée. Sitôt l’épidémie jugulée, les politiques gouvernementales ont cessé de faire cause commune, les dettes ont commencé à diverger, certaines (rapportées au PIB) revenant à leur niveau prépandémique, d’autres pas. Le peloton européen s’est scindé en trois. Regroupés aux côtés des Pays-Bas et du Danemark sur la partie gauche de notre graphique, les pays dits « périphériques » (Espagne, Portugal, Grèce, Irlande) ont connu une forme de retour en grâce, douze ans après avoir fait trembler la zone euro sur ses bases. Tous sont passés par une crise financière sérieuse, ayant nécessité des programmes d’ajustement sévères ; tous ont redressé leurs comptes budgétaires primaires (hors charge d’intérêts) de telle sorte que leur ratio d’endettement n’a, non seulement, pas dérivé, mais épouse désormais une tendance baissière.
Arrivent ensuite ceux pour qui, sauf récession économique ou improbable volte-face budgétaire, la dynamique des dettes n’est pas si loin d’être stabilisée. Figurent dans ce groupe la plupart des pays réputés « frugaux » du Nord de l’Europe, ainsi que l’Italie. Quelques cas de dérive plus marquée des comptes publics apparaissent enfin, qui concernent avant tout des pays d’Europe centrale et orientale éprouvés par la guerre en Ukraine (Bulgarie, Pologne, Slovaquie, Roumanie), mais aussi la France.
Si l’Hexagone se retrouve ainsi positionné, ce n’est pas tant que sa dette, même à 113% du PIB, puisse être considérée comme insoutenable. La charge d’intérêts qu’elle génère (4,2% des recettes budgétaires en 2024) reste dans la norme européenne ; elle pèse moins qu’en Italie, en Espagne ou au Portugal, et n’a surtout rien à voir avec le précédent grec (17% des recettes en 2011) parfois cité en référence.
Là où le bât blesse, c’est que cette situation a tendance à se dégrader. Avec la désinflation, la France voit son PIB nominal, soit la base de ses recettes, ralentir en 2025. Elle hérite par ailleurs d’un déficit primaire (hors charges d’intérêts) de près de EUR 120 milliards ou 4,1% du PIB au titre de 2024, l’un des plus importants d’Europe. Conséquence, son ratio d’endettement augmente, le tout étant de savoir pour combien de temps encore, et jusqu’où[2]. Jugée crédible par la Commission européenne, la trajectoire budgétaire anciennement proposée par le gouvernement « Barnier » rendait possible une stabilisation de la dette française aux alentours de 117% du PIB à horizon 2027. Il était alors question, pour y parvenir, de ramener le déficit à 5% du PIB en 2025, puis progressivement sous la barre des 3% à horizon 2029. Réécrite pour cause de censure, la feuille de route qui s’appliquera véritablement reste la principale inconnue de ce début d’année. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que la contrainte de maîtrise de l’endettement public qui s’impose à elle ne se desserrera pas.