La conjoncture économique brésilienne multiplie les bonnes surprises. La croissance et l’emploi résistent bien, l’inflation sous-jacente reflue, les excédents commerciaux battent des records et la monnaie tient bon malgré la remontée du dollar. Dans ce contexte, la banque centrale a amorcé, en août, le desserrement de sa politique monétaire. Ces performances conjuguées à la relance des politiques sociales ont permis à la cote de popularité de Lula de se redresser. À la quête de nouveaux relais de croissance pour réduire les inégalités et accélérer la transition énergétique, le Président a dévoilé le troisième volet de son Pacte d’accélération de la croissance (Novo PAC). Son financement pose toutefois question au vu du nouveau cadre budgétaire. Pour gagner des marges de manœuvre au Congrès et faire voter ses réformes (en particulier la très attendue réforme fiscale), la coalition au pouvoir s’est élargie à la droite.
Conjoncture : de bonnes surprises
Au S1 2023, la croissance et l’emploi ont finalement mieux résisté que prévu à la lutte contre l’inflation engagée par la banque centrale (BCB) depuis mars 2021 (12 hausses consécutives et un taux SELIC plafonnant à 13,75% depuis août 2022).
Après des récoltes exceptionnelles au T1 (facteurs climatiques favorables, hausse des surfaces cultivables et des gains de productivité), l’activité a de nouveau surpris à la hausse au T2 en progressant de 0,9% t/t (3,4% en g.a.) tandis que le taux de chômage a continué de refluer (baisse d’un point entre mars et août pour s’établir à 7,8%, un plus bas depuis 2015). Contrairement au T1, c’est la demande intérieure qui a tiré la croissance au T2 sous l’effet des mesures destinées à protéger le revenu disponible des ménages. La croissance a aussi été soutenue par les dépenses publiques et la reprise du tourisme[1].
Côté offre, les performances sont plus hétérogènes. Les services résistent tandis que le secteur manufacturier est plus à la peine. Dans l’élevage et l’extraction de matières premières, plusieurs secteurs devraient enregistrer des volumes de production record cette année (pétrole[2] et gaz, soja, maïs, blé, viande). Le dynamisme de ces secteurs a permis de dégager des excédents commerciaux inédits au cours des huit premiers mois de l’année (USD 73 mds) et une baisse du déficit courant[3]. Ce dernier reste bien couvert par les flux nets d’IDE malgré la diminution des entrées de capitaux étrangers[4]. Le remboursement de lignes de crédit en devises accordées en 2022 par la BCB et l’absence d’intervention sur le marché des changes ont, dans le même temps, permis un renforcement des réserves officielles de change (+ USD 20 mds depuis fin 2022 pour atteindre USD 340 mds fin septembre).
Au T3, l’activité a montré des signes d’essoufflement malgré une bonne entame du trimestre (hausse en juillet de l’indicateur d’activité IBC-BR de la banque centrale, expansion du PMI composite en août). La confiance des entreprises a rebondi en août (sur fond d’une première baisse des taux de la BCB). Elle reste cependant très fébrile dans l’industrie qui fait face à la fin des allégements fiscaux dans le secteur automobile, à la contraction des marges dans l’industrie manufacturière et à des coûts de financement réels toujours élevés.
À court terme, l’investissement ne devrait pas se redresser ; les enquêtes sectorielles font état de stocks en machines et équipements importants et le crédit (non affecté) aux entreprises continue de ralentir depuis mai. Le ralentissement de l’activité est aussi plus marqué depuis septembre (contraction du PMI composite, décélération des créations d’emplois). Au S2, le secteur primaire devrait contribuer négativement à la croissance, l’essentiel des récoltes ayant surtout eu lieu au T1.
La désinflation actuellement à l’œuvre au sein de l’économie n’est pas visible dans le taux d’inflation d’ensemble (4,6% en g.a. en août contre 3,2% en juin) en raison du rétablissement des taxes fédérales sur le prix des carburants. La variation mensuelle de l’indice IPCA montre toutefois une baisse des prix notamment dans les transports et les biens ménagers.
L’évolution favorable de l’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie), la décélération anticipée de la croissance dans les mois à venir et la détente des anticipations d’inflation ont amené la banque centrale à procéder depuis août à deux baisses de 50 pb du taux SELIC (et à annoncer des baisses de même ampleur dans les mois à venir).
La BCB alerte toutefois sur les risques (a) internes (l’économie croît à un rythme annualisé deux fois supérieur au potentiel de croissance, risques latents de dérapage budgétaire/extra-budgétaire) et (b) externes (effets du phénomène climatique El Niño, hausse plus persistante du prix du pétrole, hausse du dollar et des taux longs américains, inquiétudes renouvelées sur le marché immobilier chinois). Les baisses successives du SELIC auront finalement moins fragilisé le real que la remontée du dollar. La monnaie a perdu 10% de sa valeur contre le USD depuis août, mais affiche des gains de 5% depuis janvier.
Nouveau mandat mais vieilles recettes
La cote de popularité de Lula se redresse (elle a grimpé à 60% selon un sondage Genial/Quaest à la mi-août contre 52% en avril). Le Président profite non seulement d’une conjoncture économique favorable (deux points de plus de croissance attendus sur l’année, baisse du chômage) mais aussi d’avancées sociales importantes et d’autres mesures de soutien au pouvoir d’achat.
Le redéploiement, au cours de l’été, de programmes phares – Minha Casa / Minha Vida (logements), Brasil sin Fome (action contre la faim, anciennement Fome zero), Luz para Todos (électricité en zone rurale) – conjugué à la hausse des transferts sociaux (Bolsa familia), à la renégociation des dettes des ménages à faibles revenus (Desenrola Brasil)[5] ainsi qu’à la revalorisation du salaire minimum, des bourses d’études et des salaires des fonctionnaires a dopé la confiance des ménages. En septembre 2023, elle a atteint son plus haut niveau depuis février 2014.
La hausse historique du volume de crédits subventionnés (+27% en g.a.), dans le cadre du programme annuel de financement du secteur agricole (Plano Safra), et le lancement d’un programme spécifique à l’agriculture familiale lui ont aussi attiré la sympathie des petits et moyens agriculteurs habituellement plus proches du courant Bolsonariste.
À la recherche de nouveaux relais de croissance pour corriger les inégalités sociales et accélérer la transition énergétique, Lula a lancé le troisième volet de la PAC (programme de grands travaux sur lequel Lula et Dilma Rousseff s’étaient déjà appuyés entre 2007-2016). Le gouvernement a annoncé en août son intention d'investir BRL 371 mds (USD 72 mds) sur quatre ans. D’ici à la fin du mandat de Lula (2026), le programme (qui comprend également les dépenses d’entreprises publiques et des investissements privés) prévoit, au total, BRL 1400 mds d’investissements, soit environ 14% du PIB. Les plus gros montants iront au bâtiment (logements sociaux, écoles, hôpitaux etc.), à l’énergie (notamment renouvelable) et aux transports. Le gouvernement projette de générer 2,5 millions d'emplois directs et 1,5 million d'emplois indirects.
Comment financer le Novo PAC ?
PAC 1 et PAC 2 avaient connu des résultats mitigés, faute de financement et en raison de problèmes de gouvernance. Novo PAC (i.e. PAC 3) connaîtra-t-il le même sort ? Actuellement, la part à financer incombant au gouvernement fédéral est apparue largement au-dessus des contraintes du nouveau cadre budgétaire entériné par le Congrès fin août. Celui-ci prévoit en effet un plancher pour les investissements publics fédéraux (fixé à 0,7% du PIB, soit BRL 70 mds en 2023). En supposant que le gouvernement remplisse ses objectifs de résultat primaire, le cadre budgétaire permettrait ainsi d’engager au minimum BRL 280 mds de dépenses d’investissement au cours des 4 prochaines années (un plancher, en ne supposant aucune revalorisation de l’inflation).
Dans ce scénario, le déficit de financement fédéral de la PAC pourrait être de l’ordre de BRL 90 mds (ce déficit tomberait à BRL 70 mds en supposant une croissance nominale du PIB de 5% par an sur la période). Pour que le gouvernement puisse dynamiser davantage l’investissement public, il devra au préalable dégager des résultats primaires excédentaires, selon la nouvelle règle budgétaire. Cela paraît peu probable, du moins à court terme : en 2024, un ajustement d’au moins un point de PIB du résultat primaire serait nécessaire pour satisfaire l’objectif de résultat nul (et si l’objectif n’est pas atteint avec une tolérance de 0,25 point de PIB, des dépenses discrétionnaires, tels que les investissements publics, seraient bloquées jusqu’à ce que des mesures correctives soient prises).
À cet effet, le gouvernement ne pourra pas s’appuyer sur la réforme fiscale actuellement à l’étude au Sénat qui n’a pas vocation à accroître les recettes stricto sensu[6]. Le ministère des Finances a donc dû s’en remettre à un nouveau plan de hausse des recettes (estimé à BRL 168 mds, 1,5% du PIB) visant, outre la création de nouvelles taxes, à mettre fin à certaines exonérations et déductions fiscales (e.g. dividendes). Il prévoit aussi une réforme de l’impôt sur le revenu. Le parcours s’annonce semé d’embûches et pourrait se solder par une révision de l’objectif de résultat primaire.
Pour autant, depuis l’été, Lula est en meilleure posture pour dégager la majorité nécessaire au vote de ses réformes : il a débloqué d’importantes subventions parlementaires, cédé la direction de la banque publique Caixa Economica – un acteur majeur du crédit immobilier – à des alliés du président du Parlement et formé une alliance avec des partis conservateurs qui a donné lieu au premier remaniement ministériel de son mandat. Le gouvernement compte désormais 38 ministères issus de 11 partis politiques, un record.
Achevé de rédiger le 10 octobre 2023
Salim Hammad