Après la surperformance de 2023-2024, la croissance américaine est attendue en net ralentissement sous l’effet des chocs d’incertitude et tarifaire provoqués par la nouvelle administration. Les craintes de récession font un retour remarqué. Dans le même temps, l’inflation enregistrerait un rebond marqué sous l’effet des droits de douane supplémentaires. Face à la stagflation qui se dessine, la Fed devrait se garder d’assouplir sa politique monétaire en 2025.
Croissance : des lendemains qui déchantent ?
Croissance et inflationLes États-Unis ont connu une nouvelle année de croissance dynamique en 2024 (+2,8% en moyenne annuelle, après +2,9% en 2023) – nettement au-dessus de son rythme de long de terme (+1,8% selon la Fed). Celle-ci a été largement soutenue par la consommation des ménages, des gains de productivité élevés et le rééquilibrage par l’offre du marché de l’emploi permis par l’immigration.
La croissance devrait sensiblement refluer en 2025. Le choc tarifaire (voir ci-après) va peser sur l’activité : son effet inflationniste est négatif pour la demande des ménages, par ailleurs exposés au décrochage des marchés financiers (effet richesse). Le climat général d’incertitude et de volatilité financière alimente le risque d’une récession significative, que nous estimons à 25%, notamment en pesant sur les intentions d’investissement et d’embauches. Par ailleurs, un éventuel durcissement des conditions financières sur fond de sell-off obligataire prolongé peut représenter un frein important à l’activité. Finalement, si l’ampleur du recul est incertaine car elle dépend notamment du point d’atterrissage des tarifs douaniers, notre scénario central prévoit un ralentissement marqué de la croissance qui atteindrait +0,5% a/a au T4 2025 (contre +2,5% au T4 2024).
Pour l’heure, les signaux négatifs se situent principalement dans les données d’enquête. Le sentiment des ménages se dégrade fortement depuis novembre 2024. Les petites entreprises soulignent, quant à elles, des incertitudes substantielles dans l’enquête du NFIB, tandis que la confiance des chefs d’entreprise, mesurée par le CE Group, se situait en mars 2025 à un plus bas depuis 2012.
Trump contre le déficit commercial
Le déficit commercial des États-Unis a atteint -USD 1 202 mds en 2024, un record historique en valeur absolue (4,1% du PIB). Cet état de fait est à l’origine de l’offensive tarifaire menée par D. Trump, qui a culminé avec l’annonce, le 2 avril dernier, des « tarifs réciproques réduits » (de 10 à 50% en fonction du solde commercial bilatéral). Ceux-ci ont été suspendus (pour 90 jours) et remplacés par un tarif uniforme de 10% le 9 avril, à la suite de la panique boursière post-annonce du 2 avril (chutes de l’USD, des Treasuries et des actions américaines). Ce mouvement s’inscrit dans une volonté de réduction du déficit commercial, de réindustrialisation et d’augmentation des recettes fédérales. Dans le même temps, il est pensé comme une arme de négociation visant à remodeler les relations économiques globales plus à l’avantage des États-Unis.
Au 10 avril 2025, l’offensive tarifaire se concentrait sur la Chine (droits de douane supplémentaires de 10% en février, qui s’élèvent 145% en avril après les rétorsions chinoises), le Mexique (25%) et le Canada (idem, hors énergie : 10%) – hors biens couverts par l’accord de libre-échange USMCA qui en sont exemptés. Au niveau sectoriel, des tarifs de 25% sont entrés en vigueur sur l’acier et l’aluminium (12 mars), puis les véhicules automobiles (3 avril, en attendant les pièces automobiles le 3 mai). Les semiconducteurs et produits pharmaceutiques sont, pour l’heure, exemptés de tarif supplémentaire. Nous envisageons, in fine, une légère désescalade tarifaire, qui n’empêcherait pas les nouveaux standards de se situer sensiblement au-dessus des niveaux pré-Trump 2.0.
Nous anticipons la poursuite de l’affaiblissement de l’USD face à l’EUR, sous l’effet de la réduction du différentiel de croissance entre les États-Unis et la zone euro (et d’une remontée des taux longs européens). En 2026, la reprise de l’assouplissement monétaire de la Fed, combinée à une remontée des taux directeurs de la BCE au second semestre, contribuerait à renforcer davantage l’EUR/USD.
Marché du travail : jusqu’ici tout va bien ?
Les créations d’emplois se maintiennent au rythme mensuel de +150k - +170k depuis le second semestre 2024. C’est sensiblement au-dessus du niveau d’équilibre, estimé à moins de 100k par les officiels de la Fed. Dans le même temps, les licenciements ne dérapent pas et le taux de chômage (4,2% en mars 2025) reste en deçà de son niveau neutre (4,3% selon le Congressional Budget Office, CBO). Alors que les ménages se montrent pessimistes à propos des perspectives de chômage (en mars, 51% anticipaient davantage de chômage à 1 an selon l’Université du Michigan, un plus haut depuis avril 2020), nous envisageons une hausse à 4,6% d’ici à la fin 2025. Cependant, le risque accru de récession implique mécaniquement davantage de risques baissiers sur l’emploi. En outre, l’action menée sous l’égide du DOGE (Department of Government Efficiency) est susceptible d’affecter l’emploi fédéral (1,9% de l’emploi salarié en 2023) et associé (5,4% la même année).
Inflation : redécollage imminent
La désinflation marque le pas. Au T1 2025, l’inflation CPI headline et sous-jacente se sont élevées à +2,7% et + 3,1% a/a (contre +2,7% et +3,3% au T3 2024 au début des baisses de taux). Nous anticipons une nette remontée de l’inflation sous l’effet des politiques commerciale et migratoire de l’administration Trump. La hausse du prix des biens, directement impactés par les tarifs douaniers, constituera le vecteur premier. L’inflation sous-jacente accélèrerait jusqu’atteindre +4,4% a/a au T2 2026[1]. Les prémices du redécollage sont visibles dans l’indice des prix payés de l’ISM Manufacturing, indicateur avancé (à 1 an) de l’inflation sous-jacente, au plus haut depuis 2022 en mars.
Les anticipations d’inflation des ménages dérapent depuis l’élection de D. Trump. Selon l’enquête de l’Université du Michigan, elles sont passées de +2,7% à +5,0% à 1 an et de +3,0% à +4,1% à 5 ans (plus haut depuis 1991) entre octobre 2024 et mars 2025. Plus rassurant, les anticipations de moyen-long terme des marchés restent bien ancrées (swap d’inflation « 5Y5Y » inférieur à 2,2% en mars, cf. graphique 2).
Plafond de la dette en vue
Les prochains enjeux budgétaires relèvent de la prolongation et de l’extension des baisses d’impôts issues du Tax Cuts and Jobs Act (TCJA, loi budgétaire signature de Trump 1), dont les provisions non-permanentes expirent en fin d’année. Le Sénat a adopté, début avril, une résolution budgétaire en ce sens, qui occasionnerait un accroissement de USD 5,8 trn du déficit sur la période 2026 – 2034 (selon le Committee for a Responsible Budget) en cas de vote définitif. La question de la soutenabilité de la dette publique (voir encadré) se poserait alors avec une acuité renouvelée. L’enjeu lié au plafond de la dette va également rapidement intervenir. Le CBO estime que la « X-date », jour à partir duquel le Trésor ne pourra plus honorer ses obligations auprès de ses créanciers, interviendra en août ou en septembre 2025 en l’absence de relèvement du plafond (USD 36,1 trillions).
Pause prolongée pour la Fed
États-Unis : explosion des anticipations d’inflation des ménages depuis la victoire de TrumpLa Fed a interrompu son cycle d’assouplissement en 2025, maintenant à deux reprises sa cible de taux à +4,25% - +4,5%, du fait de la baisse des inquiétudes entourant l’emploi et de faibles progrès en matière de désinflation. Le mot d’ordre du comité (FOMC) est désormais d’attendre « l’effet net » (terminologie de J. Powell) des décisions de l’administration Trump – que nous jugeons au global négatif pour la croissance et haussier sur l’inflation (du fait des tarifs et restrictions migratoires) – avant tout nouvel ajustement. Dans ce contexte, nous anticipons une stabilité du taux directeur tout au long de 2025. En outre, malgré les craintes de récession, la perspective d’une baisse « préventive » nous apparaît irréaliste – et risquée – dans un contexte d’inflation persistante et attendue en hausse. L’assouplissement interviendrait en 2026 (-100 pb) face à la remontée du chômage et à un début de décrue inflationniste. Enfin, au-delà des seules décisions de taux, la Fed fait face à un enjeu maximal de préservation de son indépendance.
Focus | Métriques budgétaires : merci au « privilège exorbitant »
Le CBO prévoit que le déficit fédéral des États-Unis, déficitaire depuis 2001, atteindra 6,2% du PIB en 2025, avant une moyenne de 5,8% entre 2026 et 2035. Ces niveaux, inédits hors guerre ou récession, contribueraient à porter le ratio de dette/PIB à un plus haut niveau historique en 2029. De plus, ces projections reposent sur l’état actuel de la législation. Par exemple, elles prévoient une réduction de 1,0pp du déficit à horizon 2027, sous l’effet de la fin des provisions permanentes du TCJA. Or, l’objectif de les prolonger du tandem Trump/Bessent fait peser un risque haussier sur le déficit (voir « Plafond de la dette en vue »). Quant à la possibilité que les recettes douanières ou la baisse des dépenses (via les actions du DOGE ou un vote du Congrès) contribuent à réduire le déficit, elle semble irréaliste en raison de l’effet probablement négatif de ces mesures sur la demande. En outre, les États-Unis font déjà face à une augmentation sensible de la charge d’intérêts, qui excède la dépense discrétionnaire (hors défense) et la dépense militaire à partir de cette année.
Des métriques budgétaires sur une telle trajectoire nourriraient des craintes légitimes d’insoutenabilité de la dette publique pour tout autre souverain. Les États-Unis échappent à ces considérations en tant qu’émetteur de l’USD, monnaie de réserve, et des Treasuries, dont la fonction est prépondérante sur les marchés financiers. Néanmoins, la poursuite éventuelle, que l’on ne saurait tout à fait écarter, de politiques hétérodoxes, visant à remettre en cause l’indépendance de la Fed et/ou à déprécier l’USD en contraignant les possesseurs de devises à un échange contre des obligations perpétuelles (comme évoqué par Stephen Miran, président du Council of Economic Advisors), irait à l’encontre du statut privilégié du billet vert.
Achevé de rédiger le 11 avril 2025
[1] Prévision antérieure aux annonces du 2 avril 2025.