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Pologne : Quelques défis pour le futur gouvernement

16/10/2023
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Le gouvernement actuel brigue un troisième mandat aux élections législatives du 15 octobre prochain. Quelle qu’en soit l’issue, le futur gouvernement sera confronté à trois défis majeurs sur le plan économique : un ralentissement marqué de la croissance, une dégradation du déficit budgétaire et une hausse du risque de crédit. Toutefois, cette montée des risques ne constitue pas un réel motif d’inquiétude. Des garde-fous à la hausse de la dette publique existent. Le pays dispose aussi de liquidités extérieures confortables et le secteur bancaire est solide. Le reflux de l’inflation a facilité le changement de cap en matière de politique monétaire mais cela semble prématuré compte tenu des pressions salariales élevées.

Affaiblissement de l’activité économique en 2023

PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES

La croissance polonaise a été très erratique de la mi-2022 à la mi-2023. La tendance, néanmoins, a été à un fort ralentissement puis une entrée au récession début 2023. En glissement sur un an, le PIB est ainsi passé de 6 % au T2 2022 à -1,5 % au T2 2023.

Cette année, l’activité économique pâtit de l’affaiblissement de la demande intérieure et extérieure, l’acquis de croissance au T2 étant négatif de -1,3 %. Les exportations ont été moins dynamiques au cours des derniers mois et la situation ne va guère s’améliorer compte tenu du ralentissement de l’économie allemande.

L’investissement privé sera affecté par une demande extérieure en berne et un report probable de projets d’investissement face aux incertitudes électorales. À cela s’ajoutent le renchérissement et le resserrement des conditions de crédit, qui pénalisent à la fois l’investissement et la consommation des ménages.

En revanche, depuis peu la confiance des ménages s’améliore. Cela plaide a priori pour un rebond de la consommation au second semestre 2023 malgré une inflation encore forte. À partir de 2024, nous anticipons des perspectives de croissance plus élevées à mesure que les chocs se dissiperont. Le redressement attendu de l’économie de la zone euro, le reflux de l’inflation, le retour du salaire réel en territoire positif, la hausse prévue du salaire minimum en 2024 (+19% en 1 an) et la revalorisation de l’allocation pour enfant (+60 % en 2024) sont autant de facteurs qui contribuent à redynamiser l’économie. De surcroît, l’assouplissement monétaire viendrait en soutien au marché du crédit. Enfin, l’investissement public devrait bénéficier d’un éventuel déblocage de fonds européens d’ici 2024/2025.

Changement de cap prématuré de la politique monétaire

TAUX DIRECTEUR, TAUX D’INTÉRÊT RÉEL ET INFLATION

La Pologne s’est engagée dans un cycle d’assouplissement monétaire en septembre dernier avec une réduction du taux directeur de 75 points de base, à 6,00%. De nouvelles baisses de taux sont à prévoir dans les prochains mois.

L’action de la banque centrale a surpris les marchés. Elle s’interprète comme un signal fort concernant la nouvelle direction de la politique monétaire. L’action des autorités monétaires tient probablement compte du taux d’intérêt réel qui n’est pas loin de basculer en territoire positif. Néanmoins, l’ampleur de la baisse du taux directeur semble, à ce stade, prématurée car l’inflation se maintient à des niveaux élevés (8,2 % en g.a. en septembre), même si elle a reflué ces derniers mois.

D’un côté, la réduction de 12 % des prix de l’électricité, effective depuis le 19 septembre avec un effet rétroactif au 1er janvier 2023, devrait accentuer le désinflation. En revanche, l’impact potentiel de El Niño et la remontée significative des prix du pétrole depuis juin (proche de USD 100 le baril) vont jouer en sens inverse. Par ailleurs, l’inflation sous-jacente ne devrait pas baisser rapidement en raison de fortes pressions salariales. Les salaires dans l’industrie enregistrent toujours une progression à deux chiffres même si elle est légèrement plus faible (+10,4 % en g.a. en juillet, +11,9 % juin , +12,2 % mai). Selon les prévisions de la banque centrale, l’inflation ne reviendrait pas à la zone cible de 1,5 %-3,5 % avant 2025.

Le risque de crédit a augmenté mais reste gérable

Les comptes des ménages se sont nettement dégradés depuis 2022 avec l’alourdissement de la charge d’intérêts dans leur budget. En Pologne, les crédits sont essentiellement contractés à taux variable. Or, le taux hypothécaire à plus de 5 ans est passé de 2,4 % en moyenne en 2021 à 5,2 % en 2022, puis à 6,8 % au S1 2023.

Les mesures gouvernementales destinées à soutenir les ménages devraient apporter un certain répit. En juillet 2022, le gouvernement polonais avait introduit un moratoire sur les crédits hypothécaires en zlotys. Les ménages pouvaient ainsi suspendre leurs remboursements sans aucun frais pendant quatre échéances en 2022 et quatre autres en 2023. Une extension de cette mesure en 2024 figure parmi les promesses électorales.

Par ailleurs, les primo-accédants de moins de 45 ans bénéficient d’un nouveau programme depuis juillet dernier. Selon ce dispositif, une famille peut contracter un emprunt à un taux fixe de 2 % pendant 10 ans pour un montant de PLN 600 000 (i.e. environ EUR 130 000).

La politique monétaire est, elle aussi, mise à contribution. Le cycle d’assouplissement devrait se répercuter sur les taux hypothécaires et alléger le poids du remboursement de crédits.

Autre point marquant, le dossier des prêts hypothécaires libellés en franc suisse (CHF) reste ouvert malgré un long processus de désendettement. Ces prêts immobiliers représentaient 7,2 % du total en juillet 2023 contre 51,2 % en 2011. Le dernier développement en date est la décision de la Cour européenne de justice de juin 2023 sur les frais bancaires liés à ce type de prêts en CHF, qui induit un coût supplémentaire pour les banques (estimé à PLN 100 mds, soit EUR 21,6 mds, par les autorités).

Le système bancaire polonais reste bien capitalisé avec un ratio de fonds propres de 17,3 % en moyenne au T1 2023. La crise du Covid-19 a eu peu d’impact sur le ratio de créances douteuses, qui se maintient à 2,4 % depuis 2021. Le moratoire pourrait éventuellement conduire à une hausse de ce ratio une fois les prêts arrivés à expiration. Toutefois, le risque de crédit reste modéré à l’heure actuelle compte tenu des nombreuses mesures visant à soutenir les ménages. De même, la hausse du coût du risque a probablement été déjà provisionnée par les banques, qui sont par ailleurs bien capitalisées.

Le déficit budgétaire se dégrade mais la dette est soutenable

Le gouvernement anticipe un déficit budgétaire proche de 5 % du PIB en 2023 et de 4,5 % en 2024, bien plus que l’objectif de 3 % défini par les critères de Maastricht. Plusieurs facteurs vont en effet peser sur les comptes publics à court terme. En premier lieu les dépenses militaires vont fortement augmenter dans les années à venir en raison du plan de modernisation de l’armée. Ce poste de dépenses atteindrait probablement 4 % du PIB en 2023 et en 2024, un record parmi les pays de l’Union européenne, et il se maintiendrait autour de 2-3% au cours des années suivantes. En deuxième lieu, la charge d’intérêts s’est alourdie avec la remontée du taux des obligations d’État depuis 2022. Les charges d’intérêts de la dette rapportées aux recettes de l’État s’élèvent à 4,1 % au S1 2023 (après 3,6 % en 2022 et 2,8% en 2021).

POLOGNE : CHARGES D’INTÉRÊTS DE L’ÉTAT AUX RECETTES FISCALES

Enfin, des mesures liées au choc énergétique, la hausse des dépenses sociales (+60 % en 2024 pour les allocations pour enfants, revalorisation des salaires des fonctionnaires, gratuité des dépenses de santé pour les personnes âgées), ainsi qu’une baisse attendue des recettes induite par le ralentissement de la croissance vont significativement affecter le budget. Les besoins de financement vont aussi augmenter dans les deux prochaines années : plus de 90 % des PLN 290 mds estimés en 2023 ont déjà été financés. En 2024, ils vont probablement atteindre PLN 400 mds, dont environ PLN 200 mds de remboursements de dette venant à échéance. Cela implique que le gouvernement recoure davantage à un financement externe.

Ainsi, le ratio de dette publique rapportée au PIB va inévitablement augmenter à moyen terme même s’il restera probablement en dessous des 60%.

Pour autant, les finances publiques ne constituent pas un motif d’inquiétude. Le profil de la dette est solide car la majorité a été contractée à taux fixe et elle est surtout composée d’une maturité de 5 ans en moyenne. De même, la discipline budgétaire est reflétée dans la constitution du pays qui prévoit que la dette publique ne dépasse pas 60 % du PIB. En outre, la Pologne doit se conformer au pacte de stabilité et de croissance dans le cadre de ses engagements pris auprès de l’Union européenne. La clause dérogatoire du cadre budgétaire, activé par l’UE pendant la pandémie, ne sera plus en vigueur à partir de 2024. Des mesures de consolidation devront donc être mises en place rapidement.

La dette du gouvernement reste soutenable, selon les scénarios du FMI (central et dégradé). Des mesures visant à augmenter les recettes ou à contenir certains postes de dépense seront nécessaires à moyen/long terme pour préserver les comptes publics en cas de choc futur.

Le solde courant s’améliore

La balance courante est redevenue largement excédentaire, à EUR 6,9 mds en cumul sur les sept premiers mois de l’année, après un déficit de EUR 15,7 mds en 2022 (2,4 % du PIB). Cette année, le solde courant de la Pologne devrait nettement s’améliorer en raison de l’allègement de la facture énergétique et de la baisse attendue de la demande intérieure. Néanmoins, ce mieux est sans doute temporaire. L’augmentation prévue des dépenses militaires et des plans d’investissement majeurs dans les années à venir vont accroître les importations à court terme, et sans doute faire basculer les comptes extérieurs de nouveau dans le rouge en 2024 et 2025.

Concernant le taux de change, la tendance était plutôt à l’appréciation sur les huit premiers mois de l’année grâce à l’amélioration du solde courant et au dynamisme des entrées de capitaux. Le virage de la politique monétaire a entraîné une récente dépréciation du zloty (respectivement de 5,6% et de 3,4% vis-à-vis du dollar et de l’euro depuis début septembre). À court terme, le zloty subira probablement des pressions à la baisse en raison de l’assouplissement monétaire.

Achevé de rédiger le 3 octobre 2023

Cynthia Kalasopatan

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