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États-Unis : Hausse des taux longs et baisse des taux courts, quelles causes et quels effets possibles ?

11/02/2025
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Alors que la Réserve fédérale (Fed) a baissé de 100 pb sa cible de taux à partir du 18 septembre 2024, les rendements obligataires ont augmenté d’environ 80 pb[1]. Cette déconnexion, rare, évoque une version inversée du conundrum obligataire de Greenspan (2004–2005)[2] : durant cet épisode, qui a aussi touché l’Europe, la hausse des taux courts avait eu peu d’effets sur les taux longs. Comment expliquer ces mouvements contraires entre taux courts et taux longs ? Quelles en sont les implications ? Ces dernières excèdent le seul cas états-unien compte tenu du rôle central des bons du Trésor américain pour les autres souverains.

Cible de taux de la Fed et taux US à 10 ans

Une première explication réside dans les anticipations moindres de baisses de taux sur les marchés. Au 19 septembre dernier, les Fed Funds Futures impliquaient un taux directeur de 2,85% à la fin 2025, or, il s’élève à 3,77% aujourd’hui[1]. Ces mouvements sont liés, pour partie, au dynamisme de l’économie américaine qu’illustre la hausse du taux d’intérêt réel à 10 ans (passé de 1,6% à 1,8% entre septembre 2024 et janvier 2025). Les épisodes de sell-off (par exemple lors de la publication de chiffres des créations d’emplois plus robustes qu’escompté) montrent la sensibilité des marchés à la solidité de l’économie. Une des conséquences notables de l’évolution différenciée des taux à 2 ans et à 10 ans est l’interruption de plus de deux années d’inversion de la courbe des taux, considérée traditionnellement comme un indicateur avancé de récession. De ce point de vue, la repentification de la courbe émet un signal positif. Une explication complémentaire tient aux anticipations d’un regain d’inflation, comme en atteste la remontée de 30 pb du 10-year breakeven inflation rate entre septembre et janvier. En ce sens, un regain d’incertitude, qui pourrait affecter la croissance, semble jouer un rôle.

Jerome Powell, président de la Fed, met en avant une explication technique à cette divergence, à savoir une hausse de la prime de terme. Néanmoins, cette hausse s’apparente à une normalisation par rapport à son niveau prépandémique et l’argument semble réducteur au regard des éléments susmentionnés. De plus, on ne peut pas faire abstraction de la situation budgétaire de l’État fédéral, à savoir l’ampleur de ses besoins de financement et l’appel aux marchés qui s’en suit. Les calculs de la Fed de Cleveland, qui montrent une relative stabilité des primes de risque sur l’inflation et le taux réel, indiquent l’importance de ce facteur. De plus, la hausse des taux longs vient compliquer davantage l’équation budgétaire des États-Unis, par l’alourdissement de la charge d’intérêts et leur impact négatif sur la croissance, notamment par le canal de l’immobilier.

La divergence des taux longs et des taux courts interroge aussi sur l’efficacité de la transmission de la politique monétaire à l’économie, un point d’inquiétude en soi préjudiciable à la croissance. Finalement, la question centrale est celle de savoir si les taux longs augmentent pour de bonnes raisons, telles qu’un surplus de croissance, ou des mauvaises : plus d’inflation, la perspective de besoins de financement importants, hausse de l’’incertitude. À ce stade, et au regard de l’évolution des taux réels, des breakeven et de la prime de terme, les secondes semblent excéder les premières.

Anis Bensaidani et Hélène Baudchon – Achevé de rédiger le 10 février 2025


[1] Données à jour au 7 février 2025

[2] Ahmed Rashad et Alessandro Rebucci, A ‘reverse conundrum’ and foreign official demand for US Treasuries, CEPR, 15 Jan 2025 - Link

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies avancées