La consommation des ménages américains se situe, au troisième trimestre 2023, 10% au-dessus de son niveau d’avant la pandémie de Covid-19 quand celle des ménages français est à peine au-dessus (1%). Ce dynamisme outre-Atlantique s’appuie sur une évolution un peu plus favorable du pouvoir d’achat mais, surtout, sur une baisse du taux d’épargne. L’amélioration de la situation sur le marché du travail semble avoir eu plus d’impact de l’autre côté de l’Atlantique. Comme elle est en train de devenir moins favorable et que les ménages américains disposent d’un matelas d’épargne moins confortable pour amortir désormais l’impact du resserrement monétaire, la croissance américaine pourrait perdre un soutien important à l’horizon des prochains trimestres.
Jusqu’ici, la croissance américaine a remarquablement fait front face au choc inflationniste et à celui du resserrement monétaire tandis que la croissance de la zone a nettement marqué le pas. Les premières estimations de la croissance au T3 2023 l’illustrent bien : le PIB américain a progressé de 1,2% t/t tandis que le PIB de la zone euro a reculé de 0,1% t/t. Le très bon chiffre américain repose pour une grande part sur la consommation des ménages, en hausse de 1% t/t et contribuant à hauteur de 0,7 point de pourcentage à la croissance. La décomposition de la croissance de la zone euro n’est pas encore disponible mais on connaît celle de la croissance française (+0,1% t/t), souvent représentative de la zone euro dans son ensemble. Si au T3, la consommation privée française a nettement rebondi (+0,7% t/t), les trimestres précédents ont été plus en dents-de-scie.
La comparaison des niveaux actuels de la consommation privée avec ceux du T4 2019, point de référence avant la pandémie de Covid-19, rend très bien compte de l’écart de performance (cf. graphiques 1 et 2). La progression a été continue aux États-Unis depuis le creux du Covid au T2 2020 alors que l’évolution a été plus heurtée en France compte tenu des différentes phases de confinement. La stagnation de la consommation des ménages français depuis le T3 2021 est surtout frappante, de telle sorte qu’au T3 2023, elle se situe presque au même niveau qu’au T4 2019 (à peine 1% au-dessus, à la faveur du rebond du T3), tandis qu’aux États-Unis, elle s’établit 10% au-dessus. On remarquera toutefois que les grands postes de la consommation des ménages français n’ont pas flanché identiquement : leurs dépenses ont été tirées vers le bas par les achats de biens tandis que la consommation de services se situe, des deux côtés de l’Atlantique, 6% au-dessus de son niveau d’avant-Covid-19, après, pourtant, une chute plus importante en France pendant la pandémie.
Le choc inflationniste et de la hausse des taux étant d’ampleur comparable des deux côtés de l’Atlantique, on peut s’interroger sur les facteurs de progression de la consommation des ménages américains quand celle des ménages français a stagné (de manière plus attendue d’ailleurs). L’évolution du pouvoir d’achat des ménages apparaît à l’avantage des États-Unis mais avec un écart moins important que pour la consommation : il se situait, au T2 2023[1], 7% au-dessus du niveau du T4 2019 aux États-Unis contre 3% en France (cf. graphique 3). Certains facteurs de progression du revenu disponible ont pu jouer plus en faveur des consommateurs américains. Les mesures d’urgence pendant la pandémie ont, en effet, apporté un soutien plus direct (chèques) et important aux revenus des ménages américains, qui a soutenu la consommation lorsque les conditions sanitaires l’ont permis. En Europe et en France en particulier, les revenus ont globalement été préservés mais sans toutefois bénéficier d’un même choc positif temporaire que les Américains : il n’y a donc pas eu de sursaut de la consommation. En outre, une partie de la dynamique récente du revenu disponible des ménages français vient de la forte progression des revenus financiers et de la propriété. Or, cette forte progression est, pour partie, fictive, car elle est le résultat de conventions comptables sur la manière de calculer et d’attribuer un revenu aux propriétaires de logements. Et, concernant la hausse des intérêts et dividendes reçus, ce sont des revenus davantage épargnés que consommés.
La divergence de dynamique de consommation se situe donc, pour une bonne part, dans la différence de comportement d’épargne des ménages. L’évolution des taux d’épargne est, à cet égard, éclairante : aux États-Unis, il est légèrement plus bas qu’avant la pandémie tandis qu’en France, il est encore nettement au-dessus (cf. graphique 4). Le surcroît d’épargne constitué lors des confinements apparaît beaucoup plus entamé aux États-Unis qu’en France ou en Europe[2]. Les ménages américains ont également largement recouru au crédit à la consommation pour entretenir leurs dépenses alors que leur pouvoir d’achat décélérait.
Ce qui reste toutefois difficile à expliquer, c’est la raison pour laquelle l’épargne des ménages a joué son rôle d’amortisseur aux États-Unis et pas en France, pourquoi les ménages américains ont puisé dans leur épargne pour maintenir leurs dépenses de consommation contrairement aux ménages français. Une partie de la réponse se trouve peut-être du côté de la situation du marché du travail. La dynamique a été favorable des deux côtés de l’Atlantique, mais de manière plus surprenante côté français (cf. graphique 5). La baisse du taux de chômage a, de ce fait, peut-être été moins pleinement ressentie en France qu’aux États-Unis et n’a pas eu le même effet d’entraînement sur la consommation. Est-ce aussi une question de confiance ? Ce n’est pas clair. L’indicateur de confiance des ménages de l’INSEE pour la France se situe à un niveau déprimé selon les standards français mais c’est aussi le cas côté américain selon l’enquête de l’Université du Michigan tandis que le moral des ménages américains apparaît plus élevé selon l’indicateur du Conference Board (cf. graphique 6). Dans les trois cas, la confiance est orientée en hausse depuis la mi-2022, ce qui suggère que la consommation des ménages français est, pour l’heure, plus influencée par le bas niveau de leur confiance que par sa variation (en amélioration).
Les perspectives de croissance à l’horizon des prochains trimestres dépendent pour une grande part des évolutions de la consommation des ménages. La baisse de l’inflation combinée à la hausse des salaires (qui reste élevée même si elle se modère), constitue un facteur de soutien important des deux côtés de l’Atlantique. Mais ces perspectives apparaissent plus négatives aux États-Unis qu’en Europe dans la mesure où les ménages américains pourront moins compter sur leur matelas d’épargne pour continuer d’amortir l’impact du resserrement monétaire alors même que la situation sur le marché du travail devient moins favorable.