Au Chili, le rebond de l’activité économique observé en 2024 devrait se poursuivre en 2025. Les exportations de matières premières resteront dynamiques, tandis que la consommation privée bénéficiera du ralentissement de l’inflation et de l’amélioration progressive du marché du travail. Dans un contexte politique toujours tendu, et avec une coalition d’opposition renforcée par les résultats des récentes élections locales, le gouvernement tente de faire avancer ses réformes phares, notamment celle concernant le secteur de l’énergie, avant la fin du mandat qui s’achèvera à la fin de l’année 2025. Dans ce contexte, la consolidation progressive des finances publiques se poursuit, à un rythme moins rapide qu’initialement anticipé.
Rebond d'activité
Le PIB devrait afficher une croissance proche de son potentiel en 2024 et 2025, après une année de croissance quasi nulle en 2023 (+0,2%). Le rebond d’activité en 2024 est tiré par les exportations (cuivre, lithium et cellulose principalement), en hausse de 5% en moyenne et en glissement anuel (g.a.) sur les neuf premiers mois de l’année, et dont la progression devrait se poursuivre au cours des prochains mois. Les exportations de cuivre, notamment, devraient rester dynamiques, en partie grâce à la résolution de problèmes techniques. La consommation privée constitue le deuxième moteur de la croissance. Elle est soutenue par la décélération rapide de l’inflation (de 14% en août 2022 à 3,7% en mars 2024), l’amélioration progressive du marché du travail - le taux de chômage est ressorti à 8,7% en septembre et devrait continuer à décroître, pour atteindre 8% à la fin 2025 d’après les estimations du FMI - et de l’accès au crédit. L’investissement devrait progressivement se redresser au cours des prochains trimestres.
Le taux d’inflation s’est légèrement redressé au cours des derniers mois (il a atteint 4,1% en septembre 2024), en raison de chocs transitoires, notamment la fin du gel du prix de l’électricité (en vigueur depuis 2019). Le prix de l’électricité devrait augmenter de 50% environ d’ici 2026. La Banque centrale a abaissé son principal taux d’intérêt de 600 points de base depuis juin 2023 (à 5,25% en octobre) et a indiqué que la baisse se poursuivrait au cours des prochains mois, en ligne avec l’évolution des prévisions macroéconomiques.
Balance des risques
À très court terme, les risques pesant sur la croissance restent orientés à la baisse, principalement en raison de facteurs externes. La potentielle intensification des conflits au Moyen-Orient pourrait entraîner une hausse du prix du pétrole (dont le Chili est importateur net), tandis que le très probable durcissement de la politique commerciale des États-Unis pèsera sur le secteur exportateur chilien.
L’effet du ralentissement de la croissance chinoise sur l’économie chilienne est plus difficile à qualifier. Certes, la demande chinoise de cuivre représente actuellement près de la moitié de la demande mondiale et la Chine est le premier partenaire commercial du Chili (destinataire de plus de 40% des exportations totales du pays, et de 70% de ses exportations de cuivre). Néanmoins, la demande de cuivre provenant des secteurs liés plus ou moins directement à la transition bas-carbone reste dynamique ; elle pourrait partiellement compenser la baisse de la demande en provenance du secteur de la construction (environ 30% de la demande de cuivre chinoise). Au total, les importations de cuivre chinoises ont ralenti. Elles continuent néanmoins d’augmenter (+4,5% en g.a. sur les neuf premiers mois de 2024) et les perspectives restent relativement optimistes. L’Agence internationale de l’Énergie précise d’ailleurs dans son dernier rapport que la baisse (modérée) du prix du cuivre observée au cours des derniers mois est plutôt due à un excès d’offre (liée à la mise en route de nouvelles exploitations minières et à la fin de travaux de maintenance dans divers pays) et que les prévisions pour les deux années à venir sont orientées à la hausse. Concernant les exportations de cuivre, l’effet du ralentissement chinois pourrait donc rester marginal.
Cela dit, les relations entre les économies chinoise et chilienne dépassent largement le cadre des seules exportations de cuivre. Le Chili est le principal interlocuteur de la Chine dans la région. En effet, les relations diplomatiques entre les deux pays existent depuis plus de 70 ans et de nombreux accords commerciaux ont été signés au cours des quinze dernières années. Surtout, la stratégie d’investissement dans le secteur de l’énergie menée par le gouvernement chinois (principalement le lithium, l’éolien, le solaire, l’hydrogène vert) s’est naturellement portée vers le Chili. Les investissements directs étrangers et les prises de participations dans des entreprises chiliennes du secteur de l’énergie ont augmenté de manière exponentielle au cours des trois dernières décennies. Dans le cas du lithium par exemple, la Chine détient environ 30% des parts de la principale société chilienne productrice, la Sociedad Química y Minera (environ la moitié de la production totale de lithium chilien à l’heure actuelle).
Au-delà des enjeux de court terme, le défi que doit relever l’économie chilienne est donc de parvenir à diminuer sa double dépendance aux matières premières (la diversification de l’économie est en cours, mais les exportations de matières premières représentent encore plus de 50% du total), d’une part, et à la Chine (l’acteur principal de l’ensemble de la chaîne de valeur des matériaux critiques, et principalement du lithium), d’autre part. Les politiques nécessaires pour progresser au sein des chaînes de valeur sont peu à peu mises en place, mais les effets restent timides. D’après la base de données TiVA fournie par l’OCDE (qui permet de quantifier la valeur ajoutée par chaque pays dans les échanges internationaux), la valeur ajoutée des exportations chiliennes à destination de la Chine a progressé continûment au cours des deux dernières décennies (y compris hors secteur minier).
Elle reste néanmoins relativement faible. Par ailleurs, la montée en gamme dans les chaînes de valeur, dans le cas d'une industrie des piles au lithium-ion par exemple, est étroitement liée à la perspective de développement d'une industrie à grande échelle, l'électromobilité, dans une zone géographique voisine, ce qui n’est pas le cas actuellement en Amérique latine.
Début de l'année électorale
La fermeture du chapitre constitutionnel (pour « plusieurs années », d’après le gouvernement) a permis de diminuer sensiblement le bruit politique et les nombreuses incertitudes des investisseurs quant au cadre institutionnel chilien. Le gouvernement a pu se concentrer sur plusieurs réformes majeures, dont la nouvelle loi budgétaire, adoptée en juillet 2024, qui fixe de façon formelle un plafond de dette publique à 45% du PIB. Une loi de conformité fiscale a ensuite été approuvée en septembre. Son but est de « rendre l’imposition plus juste », tout en combattant l’évasion fiscale. Le principal objectif est d’augmenter les revenus d’un montant équivalant à 1,5% du PIB, de manière à financer la future hausse des pensions de retraite et d’autres dépenses sociales.
Cela dit, le paysage politique chilien reste polarisé et fragmenté. Le besoin de réformes structurelles fait largement consensus, mais la philosophie des réformes à adopter est âprement discutée. Le gouvernement doit composer avec une popularité en baisse, de fortes attentes populaires et une opposition vigoureuse (les partis d’opposition disposent de la majorité au Sénat). Les marges de manœuvre dont dispose le gouvernement pour mettre en place ses réformes avant la fin du mandat (la prochaine élection générale est prévue pour l’automne 2025) ont été réduites par le résultat des élections municipales et régionales de fin octobre d’où la coalition d’opposition est sortie renforcée. Les deux réformes phares du mandat - celle du système de retraites et celle du secteur de l’énergie (y compris les détails très attendus par les investisseurs concernant la stratégie nationale du lithium et l’exploitation des salars « stratégiques ») - sont toujours en discussion au Parlement.
C’est dans ce cadre que le président Boric a présenté le budget du gouvernement pour l’année 2025. La consolidation budgétaire devrait se poursuivre à un rythme plus lent qu’initialement anticipé (réduction progressive du déficit public pour atteindre l’équilibre d’ici 2029, contre 2028 dans le budget précédent). Cette hypothèse nous semble encore optimiste. Pour 2025, par exemple, le gouvernement mise sur une hausse contenue des dépenses (4% en termes réels, soit un taux de croissance équivalant à celui observé au cours des deux dernières années) et une hausse (peu probable) des revenus de plus de 9% en termes réels (au cours des dix dernières années, les revenus ont progressé d’à peine plus de 3,5% par an en moyenne). Le rebond d’activité, l’augmentation des revenus liés au secteur minier (lihium et cuivre) et les effets de la nouvelle loi ne seront certainement pas suffisants pour atteindre un tel objectif.
Le risque lié aux finances publiques reste cependant modéré au Chili. Si la dette publique a augmenté continûment au cours des dernières années, elle reste modérée, proche de 40% du PIB, et présente un profil favorable (elle est majoritairement libellée en monnaie locale, avec une maturité moyenne supérieure à 10 ans).
Achevé de rédiger le 7 novembre 2024