La croissance économique reste solide mais elle devrait ralentir en 2025. En raison de son degré d’ouverture élevé, l’économie de la Malaisie est plus vulnérable au ralentissement chinois que l’Inde ou l’Indonésie. De plus, les tensions entre les États-Unis et la Chine pourraient rendre plus complexe la mise en œuvre de son programme de développement industriel (« New Industrial Masterplan ») pourtant indispensable pour donner un nouveau souffle à sa croissance. Les marges de manœuvre des autorités pour soutenir l’économie sont limitées. La Banque centrale devrait laisser ses taux directeurs inchangés à horizon des six prochains mois, contrairement aux autres banques centrales d’Asie. Les risques inflationnistes sont orientés à la hausse en raison de la suppression des subventions sur l’énergie et de la hausse des salaires. Par ailleurs, la consolidation budgétaire, entamée depuis deux ans, se fait au détriment des dépenses d’investissement.
Décélération attendue de la croissance
La Malaisie est le pays d’Asie émergente avec les plus hauts niveaux de revenus (2,5 fois le PIB par tête de l’Indonésie, 1,6 fois celui de la Chine et de la Thaïlande à parité de pouvoir d’achat) mais elle ne fait pas encore partie de la catégorie des pays dits à « hauts revenus ». Elle pourrait ne jamais le devenir à moins de parvenir à élever le rythme de croissance de son économie qui a commencé à ralentir bien avant la pandémie (de 5,8% sur la période 2010-2014 à 4,9% sur la période 2015-2019). Contrairement à d’autres pays d’Asie, comme l’Inde ou l’Indonésie, la croissance de la Malaisie est structurellement plus dépendante de ses exportations que de sa consommation intérieure.
Or, le pays subit la concurrence étrangère, notamment celle du Vietnam, dont les parts de marché mondial ont augmenté depuis dix ans alors que les siennes ont pratiquement stagné à 1,3%.
Pour stimuler sa croissance, notamment dans le secteur manufacturier, le gouvernement a donc adopté un programme de développement « New industrial Masterplan 2030 » (NIMP 2030) qui vise à accroître son intégration dans les chaînes de valeurs mondiales, en particulier dans les secteurs de la microélectronique, et à se positionner comme un acteur clé des technologies vertes à forte valeur ajoutée. La mise en œuvre d’un tel programme pourrait toutefois s’avérer difficile compte tenu de ses faibles marges de manœuvre budgétaires. À ce jour et selon les dernières prévisions du FMI, la croissance de la Malaisie devrait ralentir au cours des cinq prochaines années pour s’établir à 3,9% par an en moyenne.
Sur les neuf premiers mois de l’année 2024, la progression du PIB réel aurait atteint 5,1% (vs. 2,9% en 2023) selon les premières estimations. Elle devrait être de 5,1% sur l’ensemble de l’année (vs. 3,6% en 2023). L’activité a été soutenue par le dynamisme de la consommation des ménages, favorisée par la bonne tenue du marché du travail (le taux de chômage a baissé à 3,2% en août, un niveau légèrement inférieur à celui qui prévalait avant la pandémie), la hausse des salaires (+ 5,6% en g.a. en juin 2024 pour le salaire médian), et une maîtrise des pressions inflationnistes (1,8% sur les neuf premiers mois de l’année). Les investissements ont accéléré et la contribution des exportations nettes à la croissance est repassée en territoire positif au deuxième trimestre en raison, notamment, de la reprise des exportations de produits électriques et électroniques, reflet du rebond du cycle électronique mondial.
En 2025, la croissance devrait ralentir. La politique budgétaire sera plus restrictive et la consommation des ménages devrait décélérer car la bonne dynamique du marché du travail devrait s’essouffler. La croissance devrait s’établir entre 4% et 4,5% selon les prévisions du ministère des Finances, un niveau supérieur à celui de la Thaïlande mais inférieur à celui des autres pays de l’ASEAN. Les risques sur la croissance sont orientés à la hausse. Le pays est à la fois vulnérable à un ralentissement économique mondial, à un choc sur les prix des matières premières et à un retournement du marché électronique.
Pas d'assouplissement monétaire en vue
Contrairement aux autres banques centrales d’Asie, la Banque centrale de Malaisie (Bank Negara Malaysia, BNM) a, pour l’instant, maintenu ses taux directeurs inchangés. Il paraît peu probable qu’elle assouplisse sa politique monétaire à horizon des six prochains mois car sa croissance est robuste. De plus, même si l’inflation est maîtrisée, les risques sont orientés à la hausse en raison des changements de politique adoptés par le gouvernement. Dans son budget 2025, le gouvernement a rappelé que les subventions sur les prix du diesel (RON 95) seraient totalement levées d’ici la mi-2025. Par ailleurs, les salaires des fonctionnaires seront augmentés en décembre 2024 et janvier 2025 (pour une augmentation totale variant de 7% à 15% selon le niveau de rémunération) ainsi que le salaire minimum dans le secteur privé (+13,3%). Cette mesure soutiendra la demande intérieure mais pourrait générer une hausse de l’inflation qui atteindrait entre 2% et 3,5% en 2025 selon le ministère des Finances.
Poursuite de la consolidation budgétaire
Dans le budget voté au Parlement en octobre, le gouvernement prévoit de poursuivre sa consolidation budgétaire. Bien que toujours supérieur à son niveau de 2019, son déficit devrait baisser de 4,3% du PIB cette année à 3,8% du PIB l’année prochaine, et son déficit primaire devrait être réduit de 0,5 point de pourcentage (pp) à 1,2% du PIB. Les recettes budgétaires, attendues en légère baisse par rapport à cette année (-0,1pp à 16,1% du PIB), devraient rester inférieures de 2,4pp au niveau de 2019. Le gouvernement refuse de ré-instaurer la taxe sur les biens et services supprimée en 2018 et les recettes issues des activités liées au pétrole et au gaz sont attendues en baisse. La diminution des dépenses publiques, grâce à la suppression des subventions, sera utilisée pour réduire le déficit et non pas pour accroître les dépenses d’investissement, lesquelles vont diminuer à 4,1% du PIB.
La dette fédérale devrait rester stable autour de 64% du PIB. Le paiement des intérêts sur la dette devrait absorber 15,6% des recettes. À moyen terme, le gouvernement a réaffirmé sa volonté de réduire le déficit et la dette à respectivement 3% et 60% du PIB.
Forte vulnérabilité au ralentissement chinois
La Malaisie est vulnérable au ralentissement économique chinois. Selon les estimations de la banque malaise UOB, une baisse de la croissance chinoise de 1pp entraînerait une diminution de la croissance de la Malaisie comprise entre 0,3pp et 0,5pp. Le ralentissement chinois agit via trois canaux : i) les flux commerciaux (le canal de transmission le plus important) et les prix des matières premières, ii) l’afflux de touristes, et, dans une moindre mesure, iii) les investissements directs étrangers (IDE).
L’intégration de la Malaisie dans le commerce mondial est plus importante que celle des autres pays de l’ASEAN. Ses exportations représentent 68,6% du PIB (en moyenne sur les cinq dernières années).
Par ailleurs, elle est devenue beaucoup plus vulnérable aux cycles économiques mondiaux car la concentration de ses exportations par produit a augmenté depuis 2016. En dehors de Hong-Kong et de Taiwan, la Malaisie est le pays d’Asie avec l’indice de concentration par produits le plus élevé. La Chine est son premier fournisseur et son deuxième marché à l’exportation (13,5% de ses exportations en 2023) derrière Singapour mais devant les États-Unis.
La Malaisie exporte principalement des produits électriques et électroniques (38,4% de ses exportations), en particulier à destination de la Chine (14,9% du total), ainsi que des hydrocarbures (qui constituent 10,5% de ses exportations vers la Chine). Bien que toujours modestes, ses parts de marché en Chine ont augmenté depuis 2017 (+1pp à 4% des importations chinoises totales), en particulier les ventes de produits électroniques (hors composants), l’aluminium, le cuivre et le pétrole raffiné. En revanche, et contrairement aux autres pays d’Asie (comme le Vietnam, Taiwan et la Corée du Sud), la Malaisie n’a pas su tirer profit des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis pour accroître ses parts de marché sur le sol américain. Depuis 2017, ces dernières ont même légèrement baissé de 0,1pp pour s’établir à seulement 1,5% en 2023 (celles du Vietnam ont augmenté de 1,7pp pour atteindre 3,8%). La décélération de la croissance chinoise s’est déjà traduite par une baisse des exportations de la Malaisie sur les neuf premiers mois de 2024 (-1,9%), en particulier ses exportations de machines et équipements de transport (-10,4%).
Le ralentissement économique chinois, s’il perdurait, pourrait aussi se traduire par une baisse du prix des matières premières qui pèserait non seulement sur les comptes extérieurs de la Malaisie mais aussi sur ses finances publiques. Les exportations de matières premières représentaient 31,4% de ses exportations en 2023 et les revenus issus des activités pétrolières devraient constituer encore près de 16% de ses recettes budgétaires en 2025 (2,7% du PIB). Fin octobre, les prix des métaux continuaient d’enregistrer une évolution positive par rapport à la même époque l’année dernière (hors nickel) mais le prix du pétrole était inférieur de près de 16% au prix enregistré il y a un an. Les risques de dérapage budgétaire restent à ce jour contenus car les hypothèses budgétaires sont assez conservatrices (le ministère des Finances prévoit un prix du pétrole compris entre USD75 et USD80 le baril).
Le deuxième canal par lequel le ralentissement chinois pourrait peser sur la Malaisie est le tourisme, dont les recettes s’élevaient à 6% du PIB avant la pandémie. En 2019, les touristes chinois représentaient 18% des recettes touristiques totales, mais, en 2023, elles étaient toujours inférieures de 5,7pp au niveau pré-pandémique et aucun rebond n’est à attendre à court terme. La confiance des ménages chinois reste déprimée et les entrées touristiques ont fortement baissé en septembre.
Enfin, concernant le canal des investissements, les IDE chinois, bien qu’en hausse depuis 2021, restent modestes (3,7% des IDE reçus par le pays en 2023) en comparaison des investissements en provenance des autres pays d’Asie (les IDE en provenance de Singapour, de Hong-Kong et du Japon ont constitué respectivement 21,3%, 10,9% et 9,9% des IDE nets reçus par la Malaisie en 2023) et des États-Unis (11,5% du total). Par ailleurs, même si le gouvernement envisage une collaboration accrue avec les autres économies d’Asie, et notamment avec la Chine dans le cadre du plan NIMP 2030, ses projets pourraient être contraints par les tensions géopolitiques entre la Chine et les États-Unis. En effet, le gouvernement américain pourrait interdire à ses entreprises d’investir dans les pays où la Chine est implantée car cela pourrait être un moyen pour elle de détourner les mesures restrictives américaines.
Achevé de rédiger le 5 novembre 2024