Le difficile rebond de l’activité économique depuis deux ans est symptomatique de toutes les contraintes subies par le territoire hongkongais. La politique monétaire, qui doit suivre celle des États-Unis, a été restrictive jusqu’en septembre 2024, avec des conséquences d’autant plus douloureuses que l’inflation à Hong Kong est restée modérée et que la demande intérieure avait au contraire besoin de soutien. Le cycle économique est de fait bien davantage synchronisé avec celui de la Chine continentale. À très court terme, la croissance économique pourrait accélérer, aidée par l’assouplissement monétaire en cours et le renforcement attendu de la demande chinoise, mais les risques baissiers restent importants. À moyen terme, les perspectives du territoire hongkongais dépendent de la poursuite de son intégration économique et financière avec la Chine continentale.
L’activité retrouve tout juste son niveau de 2018
Au T3 2024, l’activité économique a reculé en rythme trimestriel (-1,1% t/t corrigé des variations saisonnières), après une croissance modeste au T2 (+0,3% t/t) et un T1 plus solide (+2,5% t/t). La performance du T3, plus mauvaise qu’attendu, résulte principalement du ralentissement des exportations de marchandises et de la nouvelle baisse de la consommation privée. Plus généralement, l’activité a souffert depuis le début de l’année du maintien de conditions monétaires et financières restrictives et de la faiblesse de la demande intérieure en Chine – qui a notamment pesé sur la confiance et affecté les secteurs liés au tourisme à Hong Kong. Ceci a fortement aggravé les difficultés de l’économie hongkongaise à se relever des chocs successifs qu’ont constitué les mouvements protestataires de 2019, les bouleversements institutionnels depuis 2020 et la crise sanitaire de 2020-2022.
Sur les trois premiers trimestres de 2024, la croissance économique s’est établie à 2,6% en glissement annuel (g.a.), tirée par les exportations nettes de biens et l’investissement. La consommation privée et les exportations nettes de services ont, en revanche, apporté des contributions négatives à la croissance du PIB réel (graphique 1). En supposant une accélération au T4 et une croissance de +2,8% sur l’ensemble de l’année, le PIB réel devrait tout juste atteindre en 2024 son niveau de 2018. Consommation privée, investissement, échanges de biens et services : aucune de ces composantes n’aura récupéré en 2024 son niveau de 2018 (en termes réels), alors que les dépenses publiques devraient être environ 25% supérieures.
Contraintes multiples
D’importants freins ont limité le rebond de la demande intérieure depuis la fin de la crise sanitaire. Tout d’abord, alors que le gouvernement a maintenu une politique budgétaire relativement accommodante, les conditions monétaires et de crédit ont été durcies, en ligne avec le cycle de resserrement monétaire aux États-Unis (puisque Hong Kong est doté d’un régime de currency board). Le taux directeur hongkongais est monté de 0,5% en mars 2022 à 5,75% en août 2023, pour ensuite rester à ce niveau historiquement élevé jusqu’à mi-septembre 2024 – alors même que la reprise post-Covid était à la peine et que les pressions inflationnistes restaient très modérées. En moyenne annuelle, l’inflation des prix à la consommation est restée proche de 2% depuis 2022.
Ces conditions monétaires très restrictives ont affecté la consommation et l’investissement privés à travers la contraction du crédit bancaire (-3,6% en g.a. à fin 2023 et -3,1% en septembre 2024), la hausse du poids du service de la dette pour les ménages et les entreprises, et la baisse de la valeur des actifs immobiliers et financiers (graphique 2). En septembre 2024, le volume de transactions immobilières (en cumul sur douze mois) était inférieur de 40% à son niveau de 2021, et le prix moyen des logements était en baisse de 27% par rapport à fin 2021. Les effets de richesse négatifs induits par cette baisse des prix immobiliers ont été aggravés par la correction boursière : l’indice Hang Seng a perdu 22% entre décembre 2021 et septembre 2024 (mais il a récemment rebondi).
La demande intérieure, l’immobilier et les marchés financiers ont également été pénalisés par le faible niveau de confiance des résidents et des investisseurs étrangers, les effets de contagion de la crise immobilière en Chine (notamment via les répercussions des difficultés financières des promoteurs) et la faiblesse de la demande des consommateurs chinois. Le nombre de touristes visitant le territoire (8 sur 10 viennent de Chine) s’est redressé doucement depuis 2022 et il était, au T3 2024, encore 30% en-dessous de son niveau du T3 2018. Ceci s’explique largement par la frilosité des ménages chinois et par l’appréciation du HKD par rapport au RMB du printemps 2022 jusqu’à l’été 2024. À l’inverse, le nombre de départs de hongkongais a dépassé son niveau de 2018-2019 depuis l’été dernier. Finalement, les ventes au détail sur le territoire hongkongais (dont plus du tiers provenait des dépenses de touristes en 2018) ont connu une reprise fragile depuis 2022. Sur les neuf premiers mois de 2024, elles ont même de nouveau chuté (-9% en g.a. en volume), et restaient 30% inférieures à leur niveau de 2018.
Par ailleurs, Hong Kong jouant un rôle de plateforme de transit et de réexportation de marchandises (les réexportations constituent 99% de ses exportations et 92% de ses importations), son activité de commerce extérieur dépend des fluctuations de la demande mondiale et des flux commerciaux de la Chine continentale (qui représente 56% de ses exportations et 44% de ses importations). Ainsi, après une contraction en 2023, la contribution du commerce extérieur net de biens a rebondi, bénéficiant de la vigueur des exportations de la Chine et des autres pays d’Asie industrialisée au cours des premiers mois de 2024. Mais elle s’est affaiblie pendant l’été et cette tendance pourrait se poursuivre à court terme, dans un contexte de montée des barrières douanières.
Changement de cycle en cours
À l’inverse, la demande intérieure et les exportations de services pourraient se renforcer légèrement dans les prochains trimestres. D’une part, la politique économique sera plus accommodante. Sur le plan monétaire, Hong Kong a entamé mi-septembre un cycle d’assouplissement, qui se poursuivra au rythme imposé par la Fed américaine : le taux directeur est passé à 5% au 8 novembre et continuera d’être abaissé d’ici la fin 2025. Sur le plan budgétaire, le gouvernement semble préférer retarder le processus d’ajustement et poursuivre une politique de soutien modéré. Les autorités ont également annoncé le mois dernier un nouvel assouplissement des règles prudentielles pour stimuler la demande de prêts et de logements. D’autre part, les activités liées au tourisme pourraient bénéficier d’un regain d’intérêt des consommateurs chinois pour le territoire hongkongais – à condition que leurs revenus et leur confiance soient renforcés par les nouvelles mesures de soutien mises en œuvre par Pékin, et que le yuan s’apprécie contre le dollar US et le HKD. Or, le mouvement d’appréciation observé en août-septembre s’est interrompu, et est incertain à court terme étant donné le risque inflationniste des mesures envisagées par Trump et le risque de nouvelles tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine.
Un avenir lié à celui de la Chine continentale
Les risques baissiers sur notre prévision de croissance à court terme (2,7% en 2025) sont donc élevés. À moyen terme, nous tablons sur une croissance du PIB réel de 2,4% par an en moyenne (2026-2029), contre 2,8% par an sur la période 2014-2018. Les perspectives de croissance restent soutenues par les solides fondamentaux macroéconomiques de Hong Kong : les comptes externes et les finances publiques sont robustes, et les larges réserves de change et réserves budgétaires donnent aux autorités une solide capacité financière pour faire face aux difficultés conjoncturelles, soutenir le développement du territoire et tenter de répondre aux défis structurels (amélioration de la protection sociale et de l’offre de logements, adaptation au dérèglement climatique, transition bas-carbone). Hong Kong est également doté d’un système financier solide et bien supervisé et de secteurs de services compétitifs.
Cependant, plusieurs facteurs tendent à dégrader la croissance potentielle de l’économie hongkongaise. Premièrement, les dynamiques démographiques : la population vieillit (la part de la population ayant plus de 65 ans est passée de 17% en 2018 à 22,8%, Hong Kong devenant une société « super âgée ») ; la population en âge de travailler a diminué pour atteindre 5,06 millions d’individus mi-2024 (-5,2% depuis 2018), soit 67,2% de la population totale ; et les talents quittent le territoire (émigration des résidents, transferts des sièges d’entreprises multinationales).
Deuxièmement, les changements institutionnels depuis 2020, la hausse du risque politique et la perte de « neutralité géopolitique » de la Région Administrative Spéciale de Hong Kong pèsent sur la confiance des investisseurs locaux et étrangers. Ceci a contribué à la difficile reprise de l’investissement après les épisodes de contraction en 2019-2020 et en 2022 (l’investissement sera en 2024 environ 10% en-dessous de son niveau de 2018 en termes réels). Le ratio d’investissement a chuté à 15,8% du PIB au S1 2024, contre 21,6% en 2016-2018, ce qui augure mal de la dynamique de croissance à venir. En outre, la perception d’un environnement des affaires dégradé pourrait fragiliser les fondements de la réussite de Hong Kong en tant que centre commercial et financier basé sur la libre circulation des biens et des capitaux et sur un cadre légal et réglementaire stable et transparent. Hong Kong reste parmi les cinq principaux centres financiers internationaux, mais son secteur finance & assurance (21% du PIB, soit le secteur le plus important de l’économie) a déjà accusé une contraction de son activité depuis deux ans.
Il est probable que Hong Kong conserve un rôle crucial de plateforme de services et de centre financier, en devenant encore davantage tourné vers les besoins de la Chine. La place de Hong Kong joue d’abord un rôle clé dans l’internationalisation du RMB ; elle est le principal pool de liquidités en RMB offshore et le premier centre de transactions de RMB offshore (traitant plus de 70% des paiements SWIFT en RMB). Hong Kong est aussi une importante plateforme de financements pour les entreprises chinoises (qui représentent plus des ¾ de sa capitalisation boursière). Enfin, la multiplication des dispositifs “Connect schemes” depuis dix ans a facilité les transactions financières et les flux d’investissements de portefeuille entre la Chine et Hong Kong. Et Hong Kong reste le point de passage de 60% du total des flux d’investissements directs (ID) vers et en provenance de la Chine continentale. Ce dernier rôle pourrait se renforcer : si les flux d’ID entrants en Chine baissent depuis 2022, les entreprises chinoises devraient, au contraire, augmenter leurs investissements dans le reste du monde.
Achevé de rédiger le 8 novembre 2024