En Europe centrale, l’activité économique a ralenti au T3 2024. L’économie polonaise a mieux résisté sur les trois premiers trimestres de l’année. Dans la région, l’inflation est repartie à la hausse et le retour à la cible n’est pas prévu avant 2026. À l’exception de la République tchèque, l’ensemble des pays d’Europe centrale sont en procédure pour déficit excessif. Fait marquant, plusieurs d’entre eux ont eu davantage recours aux marchés internationaux de capitaux. Cette situation s’accompagne d’un risque de change plus élevé mais, d’une manière générale, la gestion de la dette libellée en devises étrangères a été prudente. Les flux de capitaux ont enregistré un rebond au T3 et l’Europe centrale demeure une destination attractive à court et moyen terme pour ces flux.
Ralentissement de l'activité économique
Au cours du premier semestre 2024, et dans l’ensemble des pays d’Europe centrale, la consommation des ménages s’est redressée grâce à la bonne tenue des salaires réels. L’amélioration a été particulièrement marquée en Roumanie, en Pologne et en Hongrie. En revanche, l’investissement et la demande extérieure ralentissent sensiblement pour tous les pays de la région depuis la fin 2023.
Au troisième trimestre, la croissance a reflué à 2,3% en g.a. après 3,6% au T2 dans l’ensemble des pays d’Europe centrale (Pologne, Hongrie, Roumanie, République tchèque, Slovaquie et Bulgarie). Fait marquant, la Hongrie a basculé en récession technique avec un recul du PIB pendant deux trimestres consécutifs (T2 : -0,2%, T3 : -0,7%).En République tchèque et en Slovaquie, l’activité économique a fait preuve de résilience avec une croissance relativement similaire à celle du trimestre précédent. Au quatrième trimestre, la croissance resterait probablement en berne en raison des effets des inondations subies par les pays d’Europe centrale en septembre dernier.
Sur l’ensemble de cette année, la Pologne pourrait toutefois faire partie des économies les plus performantes de la région malgré les vents contraires. L’acquis de croissance y est déjà de 2,5% au T3. En revanche, la Hongrie et la Roumanie resteraient probablement à la traîne en 2024 avec respectivement un acquis de 0,6% et de 0,7% au T3.
Les perspectives de croissance de la zone restent bien orientées pour 2025. La politique monétaire redeviendrait très probablement plus accommodante en 2025, et la politique budgétaire ne devrait pas se durcir.
L’amélioration de la demande extérieure, bien que modérée, viendrait également en appui. Les risques sont néanmoins baissiers en raison d’un très probable durcissement protectionniste de l’administration Trump aux États-Unis qui pourrait affaiblir l’économie européenne, l’UE étant la principale destination des exportations des pays d’Europe centrale.
Pas de retour de l’inflation à l’objectif cible avant 2026
Dans la région, l’inflation est repartie à la hausse en octobre. Parmi les explications figurent, entre autres, l’augmentation des prix des biens alimentaires et, plus spécifiquement, en Hongrie, les taxes sur les transactions financières mises en place en août dernier. Pour la Pologne, le regain d’inflation est temporaire. En effet, il résulte de l’augmentation du plafond des prix de l’électricité et du gaz au deuxième semestre de cette année ; le point haut de l’inflation est attendu pour le T1 2025 en Pologne. Cependant, plusieurs de ces pays (Hongrie, Pologne et Roumanie) anticipent le retour à une désinflation modérée en 2025. En effet, les pressions salariales demeurent importantes et l’inflation sous-jacente est, de ce fait, plus élevée que l’inflation globale. La Slovaquie devrait, quant à elle, enregistrer une accélération plus marquée en raison de la suppression des mesures de soutien liées à l’énergie et de l’augmentation du taux de TVA (de 20% à 23%) à partir du 1er janvier 2025. Le retour de l’inflation à l’objectif cible de la banque centrale n’est pas prévu avant 2026 pour la plupart des pays d’Europe centrale, notamment la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie.
Politique monétaire accommodante
Le reflux sensible de l’inflation, depuis le pic observé début 2023, a facilité l’adoption d’un assouplissement monétaire par la plupart des pays de la région dès fin 2023, dont le degré diffère selon les pays. Les Banques centrales de la République tchèque et de la Roumanie ont opté pour un assouplissement relativement mesuré avec respectivement une baisse cumulée de 225 points de base (pb) et de 25pb.
En Hongrie, la baisse du taux directeur a été plus agressive, à 650pb en cumul, même si cela découle d’un resserrement plus agressif en 2022. La Pologne, qui avait baissé son taux directeur à deux reprises en septembre et en octobre 2023, a maintenu un statu quo monétaire depuis lors (taux directeur inchangé à 5,75%). Cette prudence s’explique par l’anticipation d’une montée de l’inflation à partir de la mi-2024.
À court terme, un changement de cap en matière de politique monétaire est attendu en Hongrie et en Pologne. L’assouplissement monétaire en Pologne pourrait avoir lieu au mieux à la fin du premier trimestre 2025 si l’on se réfère aux récents commentaires de la Banque centrale polonaise ; fin 2025, le taux directeur pourrait ainsi s’établir à 4,00%. En Hongrie, les autorités monétaires ont récemment décidé d’une pause, probablement jusqu’en mars 2025, date à laquelle le mandat de l’actuel gouverneur de la Banque centrale prendra fin ; au-delà, un assouplissement n’est pas à exclure.
Recours aux émissions obligataires internationales
L’Europe centrale compte quatre pays sous procédure pour déficit excessif. La Pologne, la Hongrie et la Slovaquie le sont depuis cet été, la Roumanie depuis plus longtemps (début 2020). En Pologne, le déficit budgétaire, déjà de 5,3% du PIB en 2023, devrait s’aggraver en 2024. En Europe centrale, le creusement du déficit budgétaire et l’augmentation des besoins de financements publics qui en découle ont poussé les gouvernements à lever davantage de fonds sur les marchés obligataires internationaux depuis 2023. Ce mouvement s’est accentué en 2024 et devrait rester soutenu en 2025. Selon Bloomberg, avant 2023, le montant pour l’ensemble des pays d’Europe centrale ne dépassait pas les USD 10 mds par an. Or, il a été supérieur à USD 30 mds en 2023 et devrait largement excéder USD 40 mds en 2024. La Pologne, la Hongrie et la Roumanie y ont eu recours à plusieurs reprises cette année. Pour 2025, la Pologne l’envisage de nouveau.
Les pays d’Europe centrale disposent de marchés obligataires domestiques très développés, ces levées de dette sur les marchés obligataires internationaux peuvent a priori surprendre. L’explication est double. En premier lieu, le coût d’emprunt sur les marchés euro-obligataires est bien plus faible que celui sur les marchés domestiques, malgré l’assouplissement monétaire amorcé par certains pays. Deuxièmement, le recours aux financements extérieurs permet de limiter un effet d’éviction des entreprises privées en concurrence avec l’État sur le marché domestique.
L’augmentation des émissions obligataires en devises s’accompagne d’un risque de change plus élevé. Ce risque reste néanmoins maîtrisable à l’heure actuelle compte tenu de la gestion prudente de la dette publique en Hongrie et en Pologne. La proportion autorisée de cette dette libellée en devises étrangères est respectivement de 30% en Hongrie et de 25% en Pologne (avec des dépassements temporaires possibles dans le cas de la Pologne). Pour ces deux pays, les ratios sont proches de leur limite mais ne la dépassent pas. En revanche, en Roumanie, ce ratio est très élevé à 51,8% en 2023. La majorité de la dette en devises étrangères étant libellée en euro, le risque de change reste contenu. En effet, le pays a adopté un régime de change géré, ce qui permet une relative stabilité de la devise roumaine vis-à-vis de l’euro.
Rebond des flux de capitaux au T3
Les réserves de change des pays d’Europe centrale ont atteint EUR 467 mds fin octobre 2024, soit une augmentation de EUR 39,5 mds sur les 10 premiers mois de l’année. Ce montant est déjà supérieur à celui de l’année 2023. La Pologne a contribué à elle seule à hauteur de 50% à cette hausse, suivie, dans une moindre mesure, par la Hongrie et la Roumanie.
L’augmentation plus marquée des réserves de change depuis 2023 s’explique en partie par le retour d’un excédent courant en Hongrie, en Pologne et en République tchèque. Par ailleurs, l’importance des capitaux étrangers dans la région y contribue également. Les années 2021 et 2022 ont été marquées, en particulier, par un retour en force des flux d’investissements directs étrangers (IDE) et des flux de portefeuille. Ces derniers ont ralenti en 2023 mais restent proches de la moyenne des années pré-Covid 19. Cette année, les flux nets de capitaux restent bien orientés même si un recul a été enregistré au T2 2024. Les premières estimations au T3 pour certains pays de la région montrent un rebond qui a largement compensé le repli du trimestre précédent.
La Pologne, la Hongrie et la Roumanie captent l’essentiel des flux nets d’IDE depuis trois ans. Fait marquant, la Roumanie est également devenue en 2020 une destination phare pour les flux nets de portefeuille (1,7% PIB en 2021, 2,4% en 2022, 6,5% en 2023). Par ailleurs, des réformes ont été mises en place pour obtenir le statut de « pays émergent » (le pays figure actuellement dans la catégorie frontier markets) et d’intégrer l’indice MSCI émergents. L’attractivité de la Roumanie serait renforcée si cet objectif se concrétisait rapidement.
À court et moyen terme, la région demeure une destination attractive pour les flux de capitaux en raison de la réorganisation de l’activité productive des pays développés, du fait des chocs d’approvisionnement observés lors de la crise de la Covid-19 et de la montée du protectionnisme. Par ailleurs, la Hongrie bénéficie de la manne des IDE chinois depuis 2022.
Achevé de rédiger le 12 novembre 2024