En Chine, la politique économique a pris un tournant résolument expansionniste depuis fin septembre. Cela a donné une nouvelle impulsion à l’activité, qui devrait se renforcer à très court terme. Toutefois, sur l’ensemble de 2025, la croissance continuera de ralentir. Les contraintes pesant sur la demande intérieure persistent : les ajustements dans le secteur immobilier ne sont pas terminés, la confiance du secteur privé reste fragile et les ménages attendent toujours que les conditions sur le marché du travail s’améliorent. Par ailleurs, les risques qui pèsent sur la croissance se sont accrus avec l’élection de Donald Trump. La Chine pourra répondre aux nouvelles barrières douanières américaines de multiples façons, allant de mesures de rétorsion à la dépréciation de sa monnaie et à la poursuite de la réorientation de ses flux commerciaux. Les autorités semblent également prêtes à poursuivre l’assouplissement de leurs politiques monétaire et budgétaire.
Légère accélération en cours
La croissance économique a accéléré à +0,9% en rythme trimestriel (t/t) au T3 2024, après sa mauvaise performance du T2 (+0,5% t/t). Elle s’est établie à +4,8% en glissement annuel (g.a.) sur les trois premiers trimestres de 2024, et devrait atteindre la cible de « 5% environ » fixée par les autorités pour cette année. Ce scénario suppose que la série de mesures de relance annoncées depuis la dernière semaine de septembre parvienne à redonner de l’élan à l’activité dans les services au T4, grâce à un début de stabilisation du marché immobilier et une amélioration de la confiance des consommateurs.
Le pari n’est pas gagné mais, depuis deux mois, les autorités ont montré une nouvelle détermination à revigorer la demande intérieure et l’activité a, de fait, commencé à se renforcer.
Dans les services, la croissance de l’activité a accéléré à +5,1% en g.a. en septembre et +6,3% en octobre, contre +4,7% en moyenne sur les quatre mois précédents. Cette amélioration s’accompagne de celle des ventes au détail, qui ont été encouragées par le lancement de campagnes de soldes et la poursuite des programmes de « remplacement des biens de consommation durable » subventionnés par les pouvoirs publics (les ventes d'appareils électroménagers ont bondi de 39% en g.a. en octobre). Toutefois, la croissance des ventes au détail n’atteignait que +4,5% en g.a. en termes réels en octobre (après +2,8% en g.a. en moyenne sur les neuf premiers mois de 2024), à comparer à la croissance moyenne de +7% des trois années précédant la crise sanitaire. À très court terme, la dynamique plus favorable de la consommation privée devrait se poursuivre, et ce d’autant que l’activité sur le marché immobilier a donné des signes encourageants en octobre. La contraction des volumes de ventes s’est presque interrompue (-1,6% en g.a. après - 12% au T3 2024 et -20% au S1 2024), ce qui révèle une légère amélioration du sentiment des ménages et un effet enfin positif de l’assouplissement des règles encadrant les prêts au logement. En revanche, l’activité de chantiers (démarrages et finalisations) a continué de chuter en octobre (de respectivement -27% et -20% en g.a.).
Dans le secteur industriel, la croissance a accéléré à +5,4% en g.a. en septembre après quatre mois de ralentissement, et s’est stabilisée en octobre (+5,3%). À très court terme, la croissance industrielle pourrait bénéficier d’une amélioration de la demande intérieure ainsi que d’un regain des commandes à l’exportation, en anticipation des hausses des droits de douane américains attendues en 2025. Les exportations de marchandises chinoises ont rebondi en octobre, en volume comme en valeur (+12,7% en g.a. en dollars courants, après +4,6% en g.a. en moyenne sur les neuf premiers mois de 2024), avec un prix moyen à l’exportation toujours en baisse (baisse estimée à -4% en g.a. au T3).
La progression de l’investissement est en léger recul depuis l’été par rapport au S1 et a atteint +3,4% en g.a. en valeur sur les dix premiers mois de 2024. Elle a logiquement été tirée par l’investissement dans le secteur manufacturier (+9,3%) et les infrastructures publiques (+4,3%). La contraction de l’investissement immobilier s’est poursuivie (-10,3%).
Les freins internes persistent
Après une accélération au T4 2024 et début 2025, la croissance économique retrouvera une tendance baissière et devrait s’établir à +4,5% sur l’ensemble de 2025. Les risques sur ce scénario sont élevés. Sur le plan interne, ces risques s’expliquent principalement par la crise du secteur immobilier et la confiance durablement dégradée des ménages et des investisseurs privés.
La correction du secteur immobilier devrait se poursuivre, même si les autorités réussissent à atténuer la crise en ranimant la demande de logements et en réduisant les stocks de biens invendus grâce à des achats par les collectivités locales. Les ajustements sont loin d’être terminés, les prix continuent de baisser (-8,9% en g.a. en octobre pour les logements anciens), les stocks de logements invendus et inachevés sont encore conséquents, et les promoteurs sont toujours confrontés à de graves difficultés financières. Le FMI estime ainsi qu’à la mi-2024 environ la moitié d’entre eux rencontraient des problèmes de solvabilité.
La consommation privée pourrait donc rester déprimée par les effets de richesse négatifs liés à la baisse des prix des logements et les répercussions de la crise immobilière sur le moral des ménages et leur propension à épargner. À ceci s’ajoutent des conditions sur le marché du travail toujours dégradées par rapport aux années d’avant-Covid. Le taux de chômage moyen a retrouvé son niveau de 2019 (il a baissé à 5% en octobre), mais le chômage des jeunes est toujours plus élevé. De plus, le nombre moyen d’heures travaillées reste sous sa tendance de long terme (graphique 1), et les revenus progressent moins vite. Sur les trois premiers trimestres de 2024, le revenu disponible par tête a augmenté de +4,9% en g.a. en termes réels (contre une hausse moyenne de +6,5% par an en 2017-2019).
Dans ces conditions, l’indice de confiance des consommateurs s’est maintenu en baisse depuis avril (atteignant 85,7 en septembre, contre plus de 110 avant les confinements du printemps 2022), et sa sous-composante « emploi » a atteint un plus bas historique en septembre (71,3). Le taux d’épargne des ménages reste très élevé. Il est estimé proche de 37% du revenu disponible, et n’a pas retrouvé son niveau d’avant-Covid (il était passé de 34,8% en 2019 à 38,1% en 2020).
Enfin, les facteurs qui ont pesé sur la confiance et l’investissement du secteur privé depuis 2020 devraient persister (l’investissement privé a quasiment stagné en g.a. sur les dix premiers de 2024). D’une part, les profits des entreprises se sont dégradés en raison de la faiblesse de la demande intérieure et des pressions déflationnistes – les prix à la production continuent de baisser (-2,9% en g.a. en octobre) et l’inflation des prix à la consommation reste faible (+0,3% en g.a. en octobre et +0,5% au T3). D’autre part, alors que le risque politique et les incertitudes réglementaires dans les services demeurent, les risques géopolitiques et les tensions commerciales avec les États-Unis devraient s’intensifier.
Les risques externes augmentent
Sur le plan externe, le principal risque qui pèse sur la croissance chinoise est la montée du protectionnisme avec l’arrivée de Trump à la présidence des États-Unis en janvier prochain.
La politique industrielle mise en œuvre par Pékin, renforcée dans la période post-Covid pour stimuler l’activité économique et renforcer la sécurité nationale, a soutenu l’expansion et la montée en gamme du secteur manufacturier. Aidés par les subventions publiques et la compétitivité du yuan, les exportateurs chinois ont baissé leurs prix et gagné des parts de marché mondial dans une large gamme de secteurs. Cette stratégie a déjà amené, au cours des derniers mois, un nombre croissant de pays à introduire des barrières tarifaires à l’encontre de la Chine. Cette dérive protectionniste pourrait considérablement s’aggraver en 2025. En effet, Trump a menacé d’imposer un droit de douane universel de 10% sur les importations en provenance de tous les pays et de 60% sur les importations en provenance de Chine. Depuis début 2020, les États-Unis taxent 66% des importations de biens, avec un droit de douane moyen de 19,3% (contre 3,1% début 2018, avant la « première guerre commerciale » entre la Chine et les États-Unis).
Les répercussions directes sur les exportations, l’investissement et la croissance chinoise seront importantes. Elles sont néanmoins difficiles à estimer pour le moment car elles dépendent du calendrier de mise en œuvre des nouveaux droits de douane, de leur ampleur exacte et des mesures de rétorsion appliquées par la Chine et les autres pays partenaires commerciaux. En outre, l’Union européenne pourrait également accroître ses droits de douane.
Pékin semble se préparer à des négociations avec Washington pour éviter une nouvelle guerre commerciale. Toutefois, elle se prépare aussi à réagir en cas de hausse des droits de douane américains et de ralentissement de ses exportations. La Chine devrait y répondre de multiples façons : i/ avec des mesures de rétorsion (son droit de douane sur les importations de biens américains est passé de 8% à 21,1% entre début 2018 et début 2020, suivant de près la hausse imposée par les États-Unis), des représailles non tarifaires et de nouveaux contrôles sur ses exportations de matériaux critiques ; ii/ en laissant le yuan se déprécier, bien que la marge de manœuvre de la banque centrale pour agir sur le taux de change soit plus réduite qu’en 2018-2019 (graphique 2) ; iii/ en poursuivant la réorientation de ses flux commerciaux et la délocalisation de sa production pour contourner les droits de douane, compenser les pertes de part de marché aux États-Unis et étendre ses relations commerciales avec des partenaires alliés politiques ; et iv/ en assouplissant encore les politiques monétaire et budgétaire pour soutenir la demande intérieure. Les autorités disposent pour cela d’un peu de marge de manœuvre.
Les mesures de soutien pourront être renforcées
Les autorités ont multiplié, depuis la dernière semaine de septembre, les mesures d’assouplissement monétaire et de soutien au secteur immobilier et aux marchés actions. Si les premières mesures sont dans la lignée de l’assouplissement mené depuis plusieurs mois, le soutien aux marchés boursiers est plus nouveau et vise à renforcer la confiance des épargnants et des investisseurs.
En revanche, décevant les attentes, les autorités n’ont pas accompagné ces mesures monétaires et financières d’importantes mesures de soutien direct aux revenus des ménages. Le gouvernement central a toutefois bien confirmé le 8 novembre dernier le volet budgétaire de son plan. Il s’agit d’un programme de renforcement des finances des collectivités locales, qui permet de réduire les risques de crédit dans le secteur financier et d’améliorer la capacité des collectivités à stimuler l’activité. Pékin augmente donc, une nouvelle fois, le quota d’émissions d’obligations spéciales alloué aux collectivités, d’un montant total de RMB 10 000 milliards, soit 7,5% du PIB estimé de 2024, à répartir sur les cinq prochaines années. Avec ces nouvelles ressources, les collectivités doivent refinancer une partie de leur dette « cachée », contractée par leurs véhicules de financement. Le swap de dette doit réduire les risques de défaut des véhicules de financement à court terme et alléger la charge d’intérêts pour les collectivités qui bénéficient de taux plus bas sur leur dette obligataire, et améliorer la soutenabilité de leur endettement total. Le refinancement d’une dette cachée par de la dette inscrite au bilan n’améliore cependant que très partiellement la solvabilité des collectivités locales.
Achevé de rédiger le 20 novembre 2024