L’économie continue de résister. Un nouvel épisode de sécheresse pèsera sur la croissance en 2024, mais l’activité hors agriculture reste soutenue. L’investissement se redresse fortement et le reflux rapide de l’inflation soutient la consommation des ménages. La stabilité macroéconomique n’est pas menacée. L’envolée des annonces de projets d’IDE constitue un autre motif de satisfaction. Idéalement situé et offrant des avantages indéniables dans un contexte de fragmentation géoéconomique, le Maroc semble tirer parti de la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales. L’impact pourrait être considérable. Néanmoins, il en faudra sans doute plus pour endiguer un chômage qui ne cesse d’augmenter.
Croissance : un ralentissement à relativiser
Après un rebond à 3,4% en 2023, la croissance va décélérer et passer sous les 3% en 2024. Elle n’a ainsi atteint que 2,5% en g.a. en moyenne sur les six premiers mois de l’année. La contraction de 5% de la valeur ajoutée agricole, en raison d’une nouvelle sécheresse, explique l’essentiel du ralentissement. Hors agriculture, en revanche, l’activité reste soutenue à 3,3% en g.a. au S1 2024, soit un rythme similaire à sa dynamique pré-pandémique. Surtout, les moteurs de la croissance se rééquilibrent à mesure que les chocs se dissipent.
En 2022 et au S1 2023, l’activité a été principalement tirée par les échanges extérieurs de biens et services (graphique 1). Depuis le S2 2023, leur contribution à la croissance est redevenue négative, ce qui n’est pas inquiétant dans la mesure où la plupart des secteurs tournés vers l’extérieur enregistrent toujours des performances solides.
À fin août, les exportations de marchandises et les recettes touristiques affichaient des hausses respectives de 5,5% et 7,1%. En parallèle, la demande intérieure a continué de montrer des signaux encourageants de consolidation, en particulier l’investissement qui se redresse fortement depuis le T4 2023 après deux années difficiles. La bonne résistance de la consommation privée se confirme également. Malgré une confiance des ménages en berne en raison notamment d’un marché du travail dégradé (voir ci-dessous), elle progresse désormais à un rythme annuel légèrement supérieur à 3% grâce à deux facteurs de soutien qui vont perdurer : les transferts financiers significatifs de la diaspora marocaine et la baisse de l’inflation.
La baisse de l’inflation offre des marges de manœuvre
Le risque inflationniste s’est nettement réduit. L’inflation des prix à la consommation a rapidement baissé depuis le pic de 10% en g.a. atteint au début 2023. Elle oscille désormais autour de 1% grâce au reflux de l’inflation des prix alimentaires, dont l’envolée à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine avait contribué aux ¾ de la hausse de l’indice des prix à la consommation (IPC). L’inflation hors alimentation est restée beaucoup plus contenue, passant d’un point haut à 5% à la mi-2022 à 1% en septembre 2024, notamment grâce à la baisse des cours mondiaux de l’énergie.
Dans ce contexte, les autorités monétaires ont procédé à une première baisse de taux de 25 points de base (pb) à 2,75% en juin 2024, puis maintenu le statu quo en septembre. Vont-elles poursuivre le mouvement de baisse lors de la prochaine réunion en décembre? D’un côté, de nombreux voyants sont au vert : ré-ancrage des anticipations d’ inflation proches des 2% contre presque 5% au T2 2023, environnement extérieur plutôt favorable grâce notamment à l’assouplissement de la politique monétaire de la BCE et de la Fed (le MAD est arrimé à 60% à l’euro et 40% au dollar). D’un autre côté, la vigueur de la demande domestique, ou encore les incertitudes géopolitiques au Moyen-Orient pourraient inciter la Banque centrale à temporiser de nouveau. De plus,
les conditions monétaires sont toujours accommodantes. Le taux directeur réel (ex-ante) est redevenu positif mais il demeure en dessous du taux neutre, estimé par le FMI à 1-1,5%.
Quoi qu’il en soit, la Banque centrale dispose de marges de manœuvre plus confortables pour piloter sa politique monétaire, d’autant que les risques macro-financiers sont également contenus.
Des comptes extérieurs et budgétaires solides
Malgré des cours du pétrole élevés (15-20% des importations totales du Maroc) et une conjoncture dégradée en Europe, le principal partenaire commercial du Maroc, le déficit courant s’est fortement réduit en 2023, pour atteindre 0,6% du PIB. Il va se creuser cette année sous l’effet d’une hausse des importations due à la fois par les nouveaux projets d’investissement et la hausse des besoins de biens alimentaires (liée à la mauvaise campagne agricole). Mais la bonne tenue des principales sources de devises (exportations de marchandises, transferts privés, recettes touristiques) devrait permettre de maintenir le déficit courant entre 1 et 2% du PIB.
Ce niveau modéré de déficit n’est pas une source d’instabilité pour une économie qui bénéficie par ailleurs d’entrées de capitaux robustes. De plus, les réserves de change avoisinent les six mois d’importations. Avec une dette extérieure inférieure à 50% du PIB et des primes de risque revenues à leur niveau pré-pandémie, le Maroc dispose aussi de leviers pour emprunter sur les marchés financiers internationaux si nécessaire.
Les finances publiques sont également solides. Depuis le choc de la pandémie, le déficit budgétaire s’est contracté de presque 3 points de PIB (à 4,4% du PIB en 2023) en dépit d’une conjoncture parfois défavorable, de l’effort soutenu du gouvernement en termes d’investissement (+1,7 points de PIB entre 2019 et 2023) et de la mise en place de réformes coûteuses (refonte du système de protection sociale : 1,5-2% du PIB par an). Le déficit devrait se stabiliser à 4,3% du PIB en 2024 puis se réduire à nouveau en 2025, grâce notamment à la poursuite de la réforme du système de subventions. Selon la nouvelle loi de finances, le déficit budgétaire serait ainsi ramené à 3,5% du PIB en 2025, un objectif ambitieux mais crédible au regard de la bonne tenue du programme de consolidation des finances publiques jusqu’à présent. Ce faisant, la dette du gouvernement poursuivrait sa lente décrue. À 69,5% du PIB, elle reste élevée mais son profil est favorable. À peine un quart du stock de dette est libellé en devises. De plus, l’assouplissement de la politique monétaire ne peut qu’améliorer des conditions de financement déjà avantageuses pour le Trésor public. Le taux apparent de la dette du gouvernement marocain est de 3,3% à fin 2023, soit l’un des plus bas de la région, et le regain de confiance des investisseurs dans la stabilité macroéconomique s’accompagne d’un allongement de la maturité de la dette domestique qui atteint désormais sept ans et trois mois.
Dégradation tendancielle du marché du travail
L’horizon s’éclaircit notamment sur le plan de la croissance économique : un rebond à 4% est attendu pour 2025, en supposant une meilleure campagne agricole et une bonne tenue de l’investissement. Malgré la persistance de risques qui pèsent, en particulier, sur les cours mondiaux du pétrole, la dynamique des finances publiques et extérieures devrait rester sous contrôle sans entraver la capacité des autorités à soutenir l’économie et à mener à bien plusieurs chantiers structurants, dont l’extension de la couverture sociale est sans doute le projet le plus ambitieux.
Néanmoins, la dégradation continue du marché du travail soulève des questions de fond. Le taux de chômage culmine désormais à 13,6%, soit 3 points de plus que son niveau pré-pandémique, tandis que le taux d’activité ne cesse de reculer. De fait, le Maroc perd en moyenne plus de 90 000 emplois chaque année depuis 2020, ce qui peut s’expliquer en grande partie par la multiplication des épisodes de sécheresse (le secteur agricole contribue pour 30% de l’emploi) mais pas seulement. Les limites du modèle économique du Maroc étaient déjà visibles avant 2020. La croissance économique moyenne a ralenti de 5% par an sur la première partie des années 2000 et à 3-3,5% sur la période 2015-2019. De plus, son contenu en emplois s’est détérioré. Chaque point de PIB supplémentaire ne générait déjà plus que 12 400 emplois entre 2010 et 2019 contre 31 300 entre 2001 et 2009. En cas de choc dans l’agriculture, l’économie n’est donc plus en mesure d’absorber les destructions d’emplois de ce secteur. Or, la situation ne devrait pas s’améliorer dans les années à venir au regard de la vulnérabilité du Maroc au changement climatique et l’absence d’accélération attendue de la croissance économique. Selon les prévisions du FMI, la croissance devrait atteindre 3,4% par an en moyenne sur la période 2026-2029. Elle resterait parmi les plus élevées des pays importateurs de pétrole de la région, mais insuffisante pour satisfaire les besoins de développement économique et social du Maroc.
Investissements étrangers : un levier à fort potentiel
Conscientes de ces difficultés, les autorités ont lancé en 2021 un vaste programme pluriannuel qui vise à remodeler en profondeur le modèle de développement du Maroc. La portée des réformes reste encore difficile à mesurer. Néanmoins, l’économie marocaine dispose d’atouts indéniables qui devraient l’aider à tirer parti du contexte actuel de réorganisation des chaînes de production mondiales : une situation géographique stratégique, de solides infrastructures, un environnement macroéconomique stable, et des accords commerciaux avec l’Union européenne et les États-Unis.
Plusieurs indicateurs attestent ainsi d’un changement profond de l’attractivité du Royaume. Les annonces de nouveaux projets d’investissements directs étrangers (IDE) ont été multipliées par cinq au cours des deux dernières années (graphique 2).
Le Maroc est le pays où la part de nouveaux projets ramené en points de PIB est la plus élevée comparé à d’autres pays « connecteurs » : 14% en 2023 contre moins de 2% pour le Mexique et la Turquie. En outre, cette envolée s’accompagne de l’émergence d’un nouvel investisseur, la Chine. Cette dernière représente historiquement moins de 2% des flux d’IDE, mais compte pour presque 30% des annonces de projets d’IDE en 2022-23.
Le poids grandissant dans la composition des IDE du secteur manufacturier, désormais principal récipiendaire, traduit aussi une intégration accrue dans les chaînes de valeur mondiale.
L’impact de ces nouveaux projets est potentiellement considérable mais ne doit pour le moment pas être sur-estimé. Le Maroc vient de connaitre de profondes mutations avec le développement de la filière automobile. Les exportations de ce secteur ont plus que triplé en une décennie, ce qui a considérablement amélioré la capacité de résistance de l’économie à des chocs extérieurs sans pour autant relever son potentiel de croissance. Renforcer les liens entre le développement de ces niches industrielles à haute valeur ajoutée et le reste de l’économie sera donc un des principaux enjeux des prochaines années.
Achevé de rédiger le 05/11/2024